L'autrice Janis Locas est native de Prévost. Crédit : Marjorie Guindon

Roman : le quotidien chaotique et poétique d’une mère

Par Simon Cordeau

Dès ses premières pages, le roman Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement de Janis Locas est chaotique et étourdissant. L’autrice native de Prévost y raconte le quotidien de Jessica avec ses deux enfants, son entreprise et son conjoint absent. Elle tente d’écrire un livre, où elle fuit et redécouvre son côté artistique. Mais ses enfants l’interrompent constamment et la ramène à la réalité.

« Je ne pense pas que Jessica n’a jamais regretté d’avoir des enfants. C’est juste qu’elle est prise avec ce quotidien-là, cet ennui-là, cette obligation de passer toutes les fins de semaine toute seule avec les enfants », explique Janis. En plus de la responsabilité d’être mère, il y a une inquiétude sur la santé de son fils, Nathan, qui sous-tend une partie du livre. « Il y a toujours Nathan qui tousse. Elle a toujours le ventre crispé. Il va falloir retourner à l’hôpital. »

Frontière floue entre réalité et fiction

Dans son livre, Janis crée une mise en abîme, où son personnage est également autrice et tente d’écrire sur sa vie de mère. Et cette frontière, entre réalité et fiction, devient floue alors qu’on avance dans l’histoire. « Il y a une porosité entre le réel et le monde littéraire qu’elle est en train de créer. Et ces allers-retours ajoutent à l’étourdissement. […] C’est mon plaisir : montrer les ficelles narratives. On est dans un livre, pas dans la vraie vie. Donc on peut jouer avec ça », illustre l’autrice.

En écrivant, le personnage de Jessica rêve de fuir son quotidien. « C’est ça qu’elle va trouver dans sa rencontre avec Dave Feu : un chorégraphe qui fait des spectacles complètement éclatés, pétés, où il y a des gars tout-nus qui se tapent dessus. Dave St-Pierre, dont c’est inspiré, fait ce genre de spectacle-là. »

Retrouver la poésie

Jessica a également une agence de rédaction, L’Encre sèche, qui n’écrit que sur des choses non-vivantes. « Ça décrit à quel point elle est morte et desséchée de l’intérieur. Et c’est ça au fond qu’il fallait qu’elle règle. » Ainsi, Jessica cherche dans son quotidien des petits moments de poésie. Acheter un lilas et le planter. Écouter du Connie Francis avec sa fille. Acheter une BD sur le sexe, gênée et rebelle comme une gamine. Ou simplement savourer un moment de silence et de solitude.

« C’est par des tout-petits moments pas compliqués et gratuits qu’elle va reprendre contact avec la beauté de la vie. Et ça passe par des moments artistiques. Ce n’est pas juste l’histoire d’une mère écoeurée à la maison. C’est une mère qui, au contact de l’art, va embellir sa vie et sa relation avec ses enfants. »

Dans le chaos, ces petits moments brillent encore plus, comme un souffle d’air frais. « C’est comme si l’absence de chaos et d’inquiétude, juste ça, c’est le bonheur ! [Rires] Tu n’as même pas besoin de quelque chose de plus », résume l’autrice.

Le conjoint absent

À travers tout ça, le conjoint de Jessica, Éric, est souvent absent, faisant des heures supplémentaires et rentrant tard le soir. Et lorsqu’il est présent, sa relation avec Jessica est souvent passive-agressive. « Le personnage d’Éric, on l’a travaillé et retravaillé », confie Janis. Elle a voulu en faire un personnage « complexe », qui n’est ni noir, ni blanc. « Justement pour qu’on se questionne. Qu’est-ce qu’on tolère dans un couple ? C’était de le rendre ambigu. »

Avant la publication du livre, Janis a demandé à des lectrices leur avis sur Éric. « Une lectrice m’a dit : « Ben non : c’est juste un gars ! » [Rires] Et j’ai quelqu’un qui m’a dit : « Éric est insupportable ! » »

L’autrice voulait aussi mettre en lumière l’aspect du travail. « Lui, il ne peut pas faire du temps partiel ou s’en aller de la job. Et c’est toujours comme ça. Mais elle, il faut qu’elle le fasse. Alors qu’avec son entreprise, elle a aussi des obligations. C’est comme un double standard. » Ou est-ce Jessica qui s’en met trop sur les épaules ? Elle-même se questionne si elle n’est pas une « control freak », ajoute Janis.

Retour du féminisme

Dans le livre, Jessica est souvent seule face à ses questionnements et ses contradictions. Mais pour l’autrice, la validation de ce qu’elle vit vient des lectrices. « Depuis que mon livre est publié, j’ai eu tellement de commentaires de femmes qui m’ont dit : “Je me suis tellement reconnue là-dedans. D’être en même temps débordée, écoeurée, le chum n’en fait pas assez, mais je suis control freak » », raconte-t-elle.

Janis a commencé son livre en 2011. C’était avant le mouvement de dénonciation #moiaussi et avant qu’on commence à parler de la charge mentale, indique-t-elle. « Les filles ne se disaient même pas féministes. C’était un mot qu’on n’employait plus. C’était démodé. »

Puis en 2015, Justin Trudeau se proclame féministe. Selon lui, tout le monde devrait l’être, puisqu’il s’agit de viser l’égalité entre les hommes et les femmes, se souvient l’autrice. « En même temps, c’est l’année où Taylor Swift a dit la même chose. Et la ministre de la Condition féminine, Lise Thériault, avait fait le contraire. Pour elle, le féminisme était dépassé. C’était vraiment une époque charnière. »

Quand Janis est elle-même devenue mère, elle confie être « tombée en bas de [s]a chaise ». « À l’école, j’ai vécu la parfaite égalité. J’ai toujours eu ma juste part. J’avais des bourses et des prix. Et là je suis tombée enceinte. Mon conjoint est un super bon gars, avec qui je suis encore aujourd’hui. Mais être mère, ça change tout. […] Sa carrière allait passer avant la mienne, c’était sûr et c’est comme ça que les choses fonctionnaient. »

Les Laurentides à l’honneur

Janis Locas a passé toute sa jeunesse à Prévost, au Domaine Laurentien, sur la rue des Pélicans. C’était avant la construction des Clos Prévostois, indique-t-elle. « Quand j’étais petite, il n’y avait rien derrière chez moi jusqu’à Saint-Hippolyte. Je pouvais aller jouer là. »

C’est à l’école Val-des-Monts, au primaire, qu’elle commence à écrire. « En 6e année, j’ai gagné le concours littéraire du Club optimiste de Saint-Jérôme. Après, en 2e secondaire à Frenette, j’ai gagné le concours Richelieu », raconte-t-elle. Elle a aussi travaillé à Saint-Sauveur, pour une boutique qui vendait des robes très chères. « On se promenait dans la rue avec des cartes pour faire de la publicité », se souvient-elle. Maintenant résidente de Montréal, Janis est encore souvent dans les Laurentides. « On fait notre ski de fond et nos promenades ici. »

Saint-Jérôme et les alentours sont le théâtre de plusieurs scènes du livre. Jessica a des souvenirs marquants de son passage à la Polyvalente, et Dave Feu vient de Sainte-Sophie, entre autres. « Pour écrire le livre, il a fallu que je refasse des séjours à Sainte-Sophie et à Saint-Jérôme, pour voir le nom des rues. Je suis retournée chez Charley Patate manger une poutine [rires]. »

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