(Photo : Ève Ménard )
Marisol Sarrazin et sa mère, Ginette Anfousse, ont collaboré sur l'écriture et l'illustration de plusieurs livres jeunesse.

Littérature jeunesse: Marquer les générations

Par Ève Ménard

Pionnière de la littérature jeunesse au Québec, Ginette Anfousse a vécu pendant des années de son écriture. Sa fille, Marisol Sarrazin, a illustré une centaine d’albums. Elles ont aussi toutes les deux collaboré sur différents projets. Ces deux générations de femmes réfléchissent à leur legs et à l’industrie qui les a révélées.

Le nom de Ginette Anfousse ne vous dit peut-être rien, mais les titres de ses livres, probablement que si : elle est bien connue pour ses séries mettant en vedette les personnages de Pichou et Jiji, de Rosalie Dansereau ou de Polo, la souris. À travers sa carrière, ses livres se sont vendus par millions d’exemplaires à travers le monde et sont encore dans les libraires, les écoles ou les bibliothèques. Ils ont été traduits en anglais, en indonésien, en espagnol, en grec, en chinois, en allemand, etc.

Ginette Anfousse est bien connue pour ses personnages de Jiji et Pichou, de Rosalie ou de Polo.

« Il n’y avait plus un livre qui passait devant moi »

Aujourd’hui, Ginette Anfousse se fait plus discrète. Elle habite une maison nouvellement construite à Sainte-Adèle. C’est sa fille qui a dessiné les plans et l’aménagement paysager. Ce refuge permet à la septuagénaire de retrouver ses premiers amours : le dessin et la peinture.

Mais ses yeux pétillent toujours quand on lui parle de lecture, d’écriture ou de ses personnages qui ont accompagné des centaines de milliers d’enfants. Elle se souvient parfaitement de cette journée de 4e année, où elle est tombée amoureuse des livres. « La professeure nous avait dit que si on était gentils, elle nous lirait une histoire à la fin de la journée. C’était Les Malheurs de Sophie », se rappelle-t-elle. « Elle nous lisait environ 15 minutes à tous les jours. C’était un suspens. Après ça, il n’y a plus un livre qui passait devant moi : je les dévorais. »

Chez sa fille, la piqure n’est pas aussi vive. Enfant, Marisol grandit avec un père et une mère qui passent tout leur temps à lire. « Moi, j’étais enfant unique et je trouvais ça plate », raconte-t-elle en riant. « Est-ce que je peux lui dire ta célèbre phrase ? », lui demande Ginette Anfousse. Avec l’accord de sa fille, l’auteure se retourne vers moi pour me raconter cette succulente anecdote. « Un moment donné, Marisol, toute petite, est venue nous voir son père et moi. Elle nous a dit :  »Je veux vous dire quelque chose : les fruits ce n’est pas un dessert et les livres, ce n’est pas un cadeau » ». Toutes les deux éclatent de rire.

L’atelier de Marisol est situé dans sa maison, à Sainte-Adèle.

Sa fille comme muse

Ginette Anfousse est entrée à l’école des Beaux-Arts dans les années 1960. La grève étudiante de 1968 paralyse toutefois le milieu de l’éducation. Au même moment, Radio-Québec, l’ancêtre de Télé-Québec, prend forme. « J’ai pris des dessins que je faisais à l’école et je suis allée les voir. Ils m’ont engagée tout de suite », raconte Ginette Anfousse. Celle-ci travaille alors quelques années comme conceptrice visuelle pour les premières émissions jeunesse québécoises.

Animée par une soif de liberté et l’envie d’imaginer ses propres histoires, Ginette Anfousse quitte ensuite Montréal et s’installe à Val-David, où elle habitera pendant 25 ans. Sa fille grandit ici, dans les Laurentides. C’est dans la région que l’auteure dessine ses premiers livres : Mon ami Pichou et La Cachette. « Immédiatement, ç’a été un succès. Il s’est vraiment passé quelque chose », se souvient l’écrivaine. Cette série, destinée à un public de trois à huit ans, s’échelonne sur treize numéros. Les aventures de Pichou et Jiji sont d’ailleurs majoritairement inspirées de celles de sa fille, qui avait 7 ou 8 ans à l’époque des premiers livres. « C’étaient comme les premiers livres québécois où les personnages parlaient directement aux enfants. Tous les jeunes Québécois se reconnaissaient », souligne Marisol.

Après cette première série, Ginette Anfousse crée le personnage de Rosalie Dansereau, une orpheline élevée par sept tantes plutôt désagréables, dans le cadre d’une série de romans pour jeunes adolescents. À l’époque, l’écrivaine aime écrire, mais elle a moins envie de dessiner. Sa fille, alors âgée de 19 ans, lui propose de dessiner ses nouveaux personnages. Ginette Anfousse apporte ses illustrations à sa maison d’édition, La Courte Échelle, sans mentionner d’où elles proviennent. C’est un coup de cœur : toute la série des Rosalie a finalement été illustrée par Marisol. Le duo mère-fille collabore ensuite sur une série mettant en vedette Polo, une petite souris.

Marisol a dessiné une centaine de livres, traduits dans une dizaine de langues. (Crédit: Marisol Sarrazin)

D’hier à aujourd’hui

Lorsque Ginette Anfousse commence à écrire des livres jeunesse, ce genre littéraire est particulièrement effervescent. « C’était très fort. Je gagnais ma vie pendant plusieurs années. Maintenant, il y a tellement de livres et de maisons d’édition, c’est plus difficile », constate l’auteure, aujourd’hui âgée de 78 ans.

« À force d’avoir autant de gens qui publient leur livre, plus personne ne gagne sa vie avec ça. Ce n’était pas ça, il y a vingt ans », témoigne Marisol. L’illustratrice a dessiné une centaine de livres, traduits dans une dizaine de langues. Son travail lui a valu plusieurs prix également. Le livre Pas de taches pour une girafe a été tiré à près de 500 000 exemplaires seulement au Québec, et nommé parmi les 100 livres incontournables du Canada francophone.

Actuellement, Marisol fait beaucoup de tournées dans les écoles. Ça lui permet de continuer à gagner sa vie. Aujourd’hui, un auteur ou un illustrateur doit diversifier sa pratique pour en vivre. « Quand j’ai eu mon enfant, j’ai pris un pas de recul. Et je trouvais qu’au Renaud-Bray, il y avait tellement de jouets. C’est un choc à chaque fois. Tu vas dans la section jeunesse et le trois-quarts, ce sont des jeux. Avant, c’était important les livres et les éditions québécoises. Maintenant, c’est noyé, c’est devenu très commercial », déplore l’illustratrice.

Marisol a collaboré avec sa mère sur différents projets. Notamment, elle a illustré la série du personnage de Polo, une petite souris. (Crédit: Marisol Sarrazin)

Jiji est tous les enfants  

Les livres de Ginette Anfousse et les illustrations de Marisol Sarrazin, on les retrouve encore dans les écoles, dans les bibliothèques et dans les librairies.

C’est quoi, le secret de cette longévité ? Les histoires sont intemporelles et elles peuvent rejoindre tout le monde, souligne Ginette Anfousse. La plus belle critique qu’elle a lue au sujet de ses livres provenait d’ailleurs d’une lectrice anglophone. Elle disait que Jiji est tous les enfants. « Ça m’a touchée », se remémore Ginette Anfousse.

Les hommages pleuvent toujours sur cette grande pointure de la littérature jeunesse. Sa fille et elle me montrent un courriel, récemment envoyé par une enseignante au primaire. Cette dernière affirme avoir été marquée, jeune, par les livres de Ginette Anfousse. Elle les cite toujours régulièrement à ses élèves. Un certain Xavier Dolan a déjà rédigé un long message à la maison d’édition de Ginette Anfousse : il voulait obtenir les originaux de la collection des Pichou. Ces livres l’ont aussi profondément marqué. Une femme iranienne, immigrée au Québec, a également contacté la maison d’édition, juste avant la pandémie. « Elle a dit à mon éditeur qu’elle avait tout appris du Québec à travers les Rosalie. Elle a tellement aimé le livre qu’elle l’a traduit en farsi et fait éditer en Iran », raconte l’auteure.


Le saviez-vous ?

Des dessins de Marisol Sarrazin ont déjà été refusés aux États-Unis. La raison ? Elle avait dessiné des pis à une vache.

Surtout dans le milieu scolaire, les cadres sont de plus en plus rigides lorsqu’il s’agit de littérature jeunesse, constate l’illustratrice. « Dans le livre Papaye le panda, il y a la tortue qui prête sa carapace à Papaye pour le mettre à l’abri de la pluie. Elle est ensuite de dos, elle prend sa douche et tu vois ses fesses. Aux États-Unis, ils ont mis des bulles », raconte-t-elle.

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