Crédit : Stéphanie Jasmin

Les dix commandements de Dorothy Dix : Décider d’être heureuse

Par Simon Cordeau

La pièce Les dix commandements de Dorothy Dix sera de passage au Théâtre Gilles-Vigneault le 25 octobre prochain. Julie Le Breton y incarne une femme sans âge, qui revisite les fragments de sa vie. Stéphanie Jasmin, autrice de la pièce et codirectrice artistique d’UBU, y explore le sens du bonheur pour les femmes qui ont traversé le 20e siècle sans choisir leur vie. Entrevue.

Revenir sur sa vie

Mme Jasmin parle d’une pièce « intime ». « C’est vraiment ma grand-mère qui m’a inspirée ce texte-là. Elle a vécu 100 ans. Et vers la fin de sa vie, j’étais au bord de la mer avec elle. Elle voyait son mari faire le clown avec son fils. Son mari avait perdu la mémoire. Et elle a fait un commentaire d’une voix que je n’avais jamais entendue : une voix de lucidité, de femme en dehors des âges. Elle a dit : « Tout ça pour ça ». Comme si elle avait pu vivre une autre histoire. »

Ce moment a surpris et bouleversé l’autrice, raconte-t-elle. « Ma grand-mère était une femme généreuse, souriante, avec beaucoup d’humilité, qui a eu plusieurs enfants. Et tout à coup, à côté de moi, j’avais une femme âgée, qui avait des regrets et des désirs. Peut-être celui d’avoir eu une autre vie. »

Mme Jasmin a voulu explorer et élaborer cette nouvelle voix, sans âge et sans concession. « C’est comme une conscience sur sa vie : une femme qu’on entend déambuler dans ses pensées, qui s’y perd et s’y retrouve à la fois. »

Elle souligne toutefois que sa grand-mère n’est que le point de départ. « Ce n’est pas tant son histoire. Je ne voulais pas raconter ses souvenirs », nuance l’autrice.

Pour une vie heureuse

L’autrice avait aussi envie d’explorer l’idée du bonheur, à travers cette femme qui a vécu le 20e siècle et l’émancipation féminine, mais sans nécessairement participer à ces combats. « C’est une femme déjà un peu prise dans sa vie, comme plein de femmes qui se mariaient, qui avaient des enfants et qui faisaient une croix sur l’option d’une autre vie. […] Mais une vie qui n’a pas été le récit ou le rêve qu’on aurait voulu qu’elle soit, est-ce que c’est précieux ? », s’interroge-t-elle.

Le personnage se raconte donc sa vie par fragments, avec des allers-retours dans sa mémoire. Pour structurer la pièce, l’autrice s’est inspirée des Dix commandements pour une vie heureuse de la journaliste et chroniqueuse américaine Dorothy Dix, que lisait sa grand-mère. « Elle a connu son apogée dans les années 1920-1930, où elle rejoignait des millions de lecteurs. Ses articles étaient vendus et publiés un peu partout dans le monde. Elle écrivait des conseils de vie et répondait à ses lectrices », raconte Mme Jasmin.

L’autrice a trouvé ces commandements à la fois émancipateurs et durs. « C’est très américain. C’est un bonheur qu’on doit presque se discipliner à avoir. […] Il faut être courageux, et ça nous permet de passer à travers les choses. » Les dix parties de la pièce sont structurées autour de ces commandements. Par exemple, l’un dit « Make up your mind to be happy » (Décide d’être heureuse) et explore l’idée « du maquillage, du masque, du sourire fabriqué ». Un autre dit « Keep busy » (Reste occupée).

Incarner

C’est Julie Le Breton qui incarne le personnage, seule sur scène pendant 1 h 15 environ. « Elle a vraiment embrassé le personnage. Elle s’est engagée dans toutes ses nuances. Je me sens privilégiée que ce soit elle qui l’incarne. »

Au fur et à mesure qu’elle revisite sa vie et actualise sa mémoire, la femme est traversée par plusieurs états et sentiments. « C’est une voix qu’on ne peut entendre qu’au théâtre. Elle se parle à elle-même, presque avec étonnement, alors qu’elle va d’un temps à l’autre, d’un constat à l’autre », explique Mme Jasmin.

L’autrice a imaginé la pièce comme « une promenade », au mouvement lent. « C’est un déplacement intérieur qui correspond visuellement à un vrai mouvement. J’ai filmé cette promenade, au gré de la journée, comme un long plan séquence. » Celui-ci est projeté en arrière-plan. D’ailleurs, la mer est un « leitmotiv poétique, qui revient souvent dans la pièce ». L’enregistrement de « deux musiciens virtuoses » à la harpe et au violoncelle rythme aussi les scènes.

« C’est comme un écrin de lumière, de musique et de signes poétiques qui portent l’actrice, dans toute cette traversée qu’elle nous propose », illustre Mme Jasmin.

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