(Photo : Courtoisie )
Le livre Presque vierge de Josée Blanchette est sorti en librairie à la fin du mois de septembre.

Le récit de Josée Blanchette : « L’amour n’a pas d’âge, mais le consentement oui »

Par Ève Ménard

Depuis sa sortie à la fin du mois de septembre, le livre Presque vierge de Josée Blanchette provoque beaucoup de réactions. Sa réception publique témoigne du chemin qu’il reste à parcourir dans la compréhension du consentement et dans le traitement médiatique des victimes d’abus sexuels.

Le récit raconte la relation de Josée Blanchette avec son professeur de cégep dans les années 1970. Il a 45 ans et elle, 15. Cette relation abusive durera cinq ans. En 2018, l’autrice apprend que cet homme a été condamné pour pédophilie, alors qu’il était famille d’accueil. Dans le jugement qui le condamne à 18 mois de prison, on écrit qu’il n’a pas d’antécédents judiciaires. « On en connaît au moins une, et c’est moi », dit Josée Blanchette, qui a décidé d’écrire ce livre pour libérer la parole des femmes.

Dans le communiqué de presse adressé aux médias, on y lit que Josée Blanchette s’attaque à « un tabou tragiquement indémodable ». C’est son éditrice qui a écrit cette phrase, nous dit la chroniqueuse. « Je la trouve tellement vraie. Malheureusement, on ne peut pas ranger ça juste dans “c’est les années 70”. »

Ça arrive encore

Les nombreux témoignages que Josée Blanchette reçoit depuis la sortie du livre révèlent effectivement qu’il ne s’agit en rien d’une affaire d’époque. « Je reçois des lettres, des messages, c’est fou. Les femmes m’écrivent … je n’en reviens pas ». Des femmes qui ont vécu des histoires abusives semblables au cégep, à l’université et même au secondaire, ou qui ont vécu d’autres formes d’abus ou d’exploitation sexuelle. Ce sont des femmes de tous les âges. Certaines arrivent en larmes à des séances de dédicace. « Il y a des professeures qui sont venues me voir pour me dire qu’elles tentaient de dénoncer ça actuellement, mais qu’on essayait de les museler. En fait, on protège la réputation des institutions d’abord », constate Josée Blanchette.

Josée Blanchette veut que les relations entre professeurs et étudiants soient complètement interdites dans les institutions (Crédit photo : Dominique Lafond).

Les institutions, c’est la prochaine bataille de l’autrice. Devant les réactions et les témoignages, Josée Blanchette souhaite maintenant s’attaquer à la législation. « On va pousser au niveau des lois, parce qu’on ne peut pas en rester là. Ça n’a pas de bon sens. Il semble que ça n’a absolument pas évolué depuis les années 70. On est encore avec des étudiantes qui sont des proies », s’indigne Josée Blanchette. Et aujourd’hui, il est encore plus facile pour les prédateurs d’entrer en contact avec les étudiantes, parce qu’elles ont toutes un cellulaire, ajoute l’autrice.

Celle-ci veut que les relations soient interdites entre les professeurs et les étudiants dans les institutions collégiales et universitaires, peu importe l’âge des étudiants. Actuellement, la législation oblige ces institutions à encadrer les relations, dans le cadre de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. Certaines écoles ont toutefois choisi de les interdire complètement. « Tu vas au bureau des ressources humaines et tu dis : « Je sors avec les étudiantes ». Ok, en autant que tu ne lui donnes pas de cours, tout va bien », illustre Josée Blanchette sur le flou législatif actuel dans les institutions.

Selon elle, cela a pour effet de protéger les prédateurs. « Il y en a qui font de grandes carrières. Et ce qui est magnifique quand tu es un prédateur et que tu es dans une institution scolaire, c’est que toi tu vieillis, et les cohortes, elles, ne vieillissent jamais. Moi, quand j’ai laissé mon prof, il est retourné avec une fille de 17 ans, elle venait de rentrer au cégep », raconte-t-elle.

« L’amour n’a pas d’âge, mais le consentement oui », affirme Josée Blanchette à propos du discours que l’on entend souvent concernant les écarts d’âge dans des relations intimes et amoureuses. Elle rappelle que dans son roman Mon (jeune) amant français, le personnage de Jeanne a 55 ans et celui de Robin, 30. « Non, il n’y a pas d’âge. Mais tout le monde est majeur là-dedans et il n’y a pas de relation d’autorité. »

Tribunal public violent

Le lancement du livre et sa réception ont été très difficiles. « Je ne m’attendais pas à ça », confie Josée Blanchette. Outre les témoignages de femmes, et de quelques hommes, qui se reconnaissent dans son récit, Presque vierge a aussi suscité son lot de commentaires misogynes sur les réseaux sociaux et de questions tendancieuses dans certaines entrevues, relate l’autrice.

« J’ai reçu des questions extrêmement violentes depuis le début de la promotion du livre. » C’était parfois dans le ton des questions, ou ça passait par des questions insidieuses ou qui tendent à remettre la faute sur la victime, précise Josée Blanchette. Ça ne s’est toutefois pas passé en ondes, mais surtout en coulisses. L’autrice croit qu’il y a une éducation à faire dans la population et dans les institutions, mais aussi dans les médias, au sujet du consentement et des questions à ne pas poser à des victimes d’abus sexuels.

Il arrive aussi que le propos du livre soit détourné, remarque Josée Blanchette. Notamment, les gens se sont beaucoup attardés à son âge. « Le sujet, ce n’est pas que j’ai 15 ans au cégep, c’est que j’ai un professeur de 45 ans qui m’a repérée et qui a décidé qu’il ferait du grooming », s’indigne l’autrice. « C’est de la prédation dans un cadre scolaire. »

Ainsi, le discours public ou médiatique a parfois tendance à ramener l’attention sur la victime plutôt que sur le véritable problème. « On me demande toujours : “Qu’est-ce que ça aurait pris pour te faire changer d’idée ?”, mais non, ce n’est pas à la victime de 15 ans de changer d’idée. C’est sur le prédateur qu’il faut travailler, sur des lois justement. C’est ça qu’il faut faire, qu’on travaille sur les adultes. “Qu’est-ce que ça aurait pris”, c’est comme si c’était moi la fautive. Ça, ça m’a beaucoup surprise dans les entrevues », reconnaît l’autrice.

Après son passage à Tout le monde en parle, Josée Blanchette a arrêté de lire les commentaires sur la page de l’émission. « Je me suis dit que je ne suis pas capable de lire ça. » Il s’agissait de commentaires misogynes, ou de commentaires qui suggèrent qu’elle avait provoqué son professeur. « Ça montre que la population ne comprend pas. Elle cherche des coupables. C’est soit la faute de ses parents, soit c’est sa faute à elle, parce qu’elle était provocante. ». Et même si elle avait été provocante, « c’est lui l’adulte, c’est à lui de mettre un frein à ça », martèle Josée Blanchette.

« Je comprends que les filles ne se sentent pas outillées pour aller sur la place publique avec leurs histoires. Parce que si elles se font reculpabiliser encore une fois, déjà qu’elles ont honte, tu ne veux pas repasser dans le tordeur et revivre ton histoire comme si c’est toi qui est coupable », déplore Josée Blanchette. « C’est vraiment dur, et moi, je suis une fille qui a 40 ans d’expérience dans les médias. C’est violent. Il y a des jeunes qui m’écrivent et me disent : « Je ne pourrais jamais avoir les couilles que vous avez eu d’écrire mon histoire ». Je les comprends, c’est trop dur », dit-elle.

Et l’omerta, au final, sert les agresseurs et les prédateurs, nous rappelle l’autrice.


Qu’est-ce que le grooming ?

« Il y a « ‘grooming » quand quelqu’un (très souvent un adulte) prend contact avec un enfant/mineur afin de lier des rapports émotionnels avec lui dans le but de le soumettre à des abus sexuels ou à son exploitation sexuelle. »

Source : Child Helpline International


Le consentement au Canada

« L’âge de consentement aux activités sexuelles est de 16 ans. Autrement dit, une personne doit avoir au moins 16 ans pour pouvoir légalement donner son consentement à des activités sexuelles.

Une jeune personne de 16 ou 17 ans ne peut pas consentir à des activités sexuelles si son partenaire sexuel est en situation de confiance ou d’autorité vis-à-vis d’elle (par exemple, son enseignant ou enseignante ou son entraîneur ou entraîneuse). »

Source : Gouvernement du Canada


Ressources pour les victimes d’exploitation sexuelle

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