Le film SAPIN$ : un coin de rue pour s’ouvrir sur le monde
Par Ève Ménard
Le premier long métrage de Stéphane Moukarzel, SAPIN$, prend l’affiche dans les salles de cinéma le 22 décembre. L’histoire est campée dans un quartier du Bronx, à New York, dans lequel Rémi, 21 ans, est parachuté un peu malgré lui. Pour rembourser une dette qui menace son avenir, il quitte La Tuque pour la Grande Pomme, où il vend des sapins de Noël. Sur son petit coin de rue, il fait non seulement la rencontre de Laura, une activiste française avec qui il travaille, mais aussi de toute une communauté. Un bel éloge à l’humanité et à l’ouverture à l’autre.
À travers un mélange des genres et des tons, Stéphane Moukarzel parvient à proposer une oeuvre qui nous fait à la fois sourire et réfléchir. On discute du processus créatif avec le réalisateur et co-scénariste.
Le film sort pendant la période des Fêtes. Pourtant, il ne s’agit pas simplement d’un film de Noël. Il y a une belle profondeur aussi.
Dès le début, c’est une préoccupation que j’avais. Oui, il faut que ce soit drôle, mais il faut que ça dise quelque chose aussi. Ce n’est pas un film à message nécessairement, mais je voulais que ça nous fasse réfléchir. L’idée est partie d’un de mes amis qui a déjà vendu des sapins à New York. Il me parlait de son expérience et je me suis dit : wow, il y a vraiment un univers cinématographique là-dedans. Mais à ce moment-là, je ne savais pas quelle histoire je voulais raconter exactement. Quand j’ai commencé à me poser la question, on était en 2018. Trump était au pouvoir et plusieurs gouvernements en Europe de l’Est viraient à l’extrême droite. Je me disais qu’il fallait parler de la communauté, de quelque chose de collectif, de l’ouverture sur le monde.
Qu’est-ce que vous avez eu envie de dire à travers ce film ?
Il faut qu’on sorte de chez nous, qu’on aille à la rencontre des autres et c’est comme ça qu’on va être plus ouverts, plus curieux et moins protectionnistes. Ce n’est pas un film qui parle de ça à proprement dit, mais c’est le moteur de l’histoire. S’il y a un message, c’est celui-là : plus on va à la rencontre des autres et moins on va se replier sur nous-mêmes. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai choisi de prendre un personnage [Rémi] qui avait peu d’expériences et qui n’était pas vraiment sorti de chez lui. Et on lui fait faire un voyage qui n’est pas instagramable. On lui fait faire un vrai voyage. Il n’est pas à un endroit où tous les gens qui vont à New York vont se faire photographier. Mais il n’a pas le choix d’être au même coin de rue. Et à force d’être au même endroit, il est sur le chemin des gens. Il doit entrer en interaction avec eux et c’est ça qui va le transformer graduellement.
Pour vous inspirer dans l’écriture du scénario, je crois que vous avez rencontré plusieurs vendeurs de sapins.
Oui, d’abord, je me suis assis pendant deux heures avec mon ami. Je l’ai enregistré et je lui ai posé plein de questions. Après, il m’a référé à une amie avec qui il avait vendu des sapins. J’ai rencontré cette fille qui m’a ensuite référé à deux autres gars. J’en ai rencontré quatre ou cinq comme ça. J’ai compilé toutes leurs anecdotes et leurs souvenirs pour comprendre comment fonctionne ce système, comment on leur livre les sapins, comment ils sont payés. À partir de là, j’ai commencé à écrire avec mon co-scénariste. Ensuite, on est allés à New York pendant le mois de décembre pour voir des vendeurs sur place. Il y a plein de stands partout à New York !
Comment avez-vous construit le personnage de Laura ?
J’ai rencontré des femmes activistes, dont Extinction Rebellion, un groupe d’activistes féministes montréalais. J’ai eu une rencontre avec trois des filles vraiment impliquées dans ce groupe et ça m’a beaucoup nourri. Ça m’a aidé à comprendre l’état d’esprit, le côté un peu contradictoire et désespéré de ces activistes. J’aime bien travailler d’une façon documentaire : je fais des recherches et je m’inspire de la réalité. Ensuite, j’aime mettre ça dans une forme fictive. Avec Laura, notre gros défi, c’est qu’il fallait qu’elle contraste avec Rémi. Mais en même temps, il ne fallait pas qu’elle soit trop fatigante et qu’elle fasse toujours la morale. Il fallait lui trouver des contradictions et une sorte de vulnérabilité. Une activiste m’avait d’ailleurs dit : « Tu sais un moment donné que tu ne peux pas vivre dans un repli total de la société. T’es obligée de fonctionner un peu dans le système pour pouvoir le changer ».
Les personnages qui font partie du quartier new yorkais sont aussi très intéressants. J’imagine que ça vous a permis de présenter de nouveaux visages, des acteurs qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran ?
Dans mes recherches et mes entrevues avec les vendeurs de sapins, c’est revenu sans arrêt : chaque personne m’a dit que quand on est là, les gens et le quartier prennent soin de nous. Ils savent qu’on travaille fort, qu’on est là pour faire du bien. Et là, toutes sortes d’énergumènes viennent nous voir, des plus aisés ou des plus pauvres. Il y a donc une grande galerie de personnages et c’est l’fun de pouvoir diversifier ça. New York, c’est aussi une ville très mélangée culturellement. D’ailleurs, je ne voulais pas camper l’histoire dans Manhattan, mais dans le Bronx, avec son côté latino et afro-américain. C’est quelque chose que je voulais dès le début. Je voulais que le personnage de Rémi soit vraiment dépaysé, qu’il soit en contact avec des gens qu’il ne côtoie pas normalement à La Tuque.