Le féminisme et ses enjeux, vus par une pionnière en études féministes
Par Simon Cordeau
Dans le cadre de la Journée internationale du droit des femmes, nous avons voulu questionner différentes générations sur leur vision de la condition féminine, en 2023.
Denyse Côté est sociologue, professeure au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), et considérée comme une pionnière en études féministes.
C’est quoi le féminisme pour vous?
C’est une question qui est bien large! C’est avant tout une façon de voir les choses, une philosophie, qui pose la question de l’égalité des femmes, et des hommes bien sûr. C’est aussi un mouvement social.
Dans un contexte où tout le monde peut se revendiquer femme et où on déconstruit les identités de genre, c’est quoi être une femme?
Je ne suis pas de la jeune génération. Ces choix-là, je ne les ai jamais eus : de chercher quelle identité de genre j’avais. Je n’avais pas le choix. C’était la petite fille avec des barrettes qui n’avait pas le droit de jouer au baseball avec son frère. Mon identité a été construite il y a longtemps, dans des règles strictes.
Être femme, c’est bien des choses à la fois, bien des identités. Je critique les gens qui restreignent l’identité de femme à la couleur rose bonbon, au maquillage ou aux traits d’une féminité « commerciale ». C’est une variété d’identités et de vécus.
Ressentez-vous une pression pour atteindre des standards de beauté?
Je suis rendue à l’âge où, de toute façon, on m’infantilise parce que je suis trop vieille. C’est comme ça dès qu’on commence à avoir des rides. Vous avez vu, CBC qui a renvoyé la journaliste Lisa LaFlamme parce qu’elle avait les cheveux gris? Ce n’est pas un standard de beauté, mais d’âge.
J’ai eu un rapport avec les standards de beauté quand j’étais jeune. Ils étaient très stricts, et je me suis battue contre ça. À une époque où c’était complètement inconcevable, dans les années 1970, j’ai délaissé les talons hauts et la jupe, et j’ai mis des jeans. C’était une forme de contestation. Je n’ai jamais porté de maquillage, même à une époque où il y avait beaucoup de pression.
Les pressions ne diminuent pas. Mais ce qu’on considère comme un standard de beauté, ça, ça change beaucoup. Le quoi et le comment évoluent. Mais la pression, elle, est toujours là. La féminité se construit autour de ces pressions sociales. La masculinité aussi! On peut prendre l’exemple de la violence dans les initiations au hockey, qui commencent à ressortir.
C’est quoi une masculinité positive selon vous?
Je vais vous dire comment j’ai éduqué mon fils : à être androgyne. Il avait des jouets de fille et de gars, des amies de fille et de gars. J’ai appris à mon fils à régler ses problèmes sans violence, et à estimer ses amies de fille autant que ses amis de gars. Je lui ai transmis le respect.
La masculinité positive, ce serait celle qui n’est pas bâtie sur la misogynie et la violence. Si un jeune homme entend certains propos, dans sa famille ou au hockey par exemple. « T’es pas un gars si tu fais ci ou si tu es ça. Toutes les filles sont des bitches. » C’est difficile de se sortir ça de la tête. J’ai essayé d’éviter de mettre mon fils dans une situation comme ça.
Par contre, dans un univers androgyne, où les rôles sont fluides entre les garçons et les filles dans la maison, les enfants vont être bien là-dedans et auront tendance à le reproduire.
Quelle sera la prochaine lutte pour les femmes?
Ce sont toujours les mêmes. Ça n’a pas changé. C’est l’éducation des femmes, le travail, le revenu. Il y a encore des domaines qui sont féminins ou masculins, comme la danse, les sciences infirmières, les sciences ou la construction.
La violence, encore. Le comment change, comme la violence familiale ou le harcèlement des ex-conjoints. Ce qui a changé, c’est qu’on a maintenant conscience de l’existence de ces problèmes-là. Mais le problème persiste.
La représentation politique, aussi. On s’est battues des années dans le vide. Et aux dernières élections, il y a eu un bond. [46,4 % des députés à l’Assemblée nationale sont des femmes.] Il y a une nouvelle génération de conseillères municipales, de députées et de mairesses, qui ont une vision rajeunie et une pensée écologique.
Souvent, les changements sociaux prennent du temps. Et parfois, ça régresse. On ne peut jamais le savoir. Et ce n’est jamais tout à fait acquis. Mais on va prendre ce qu’on a.