Jardins : Cultiver en collectivité
Par Simon Cordeau
L’herbe est encore loin de verdir, sous la neige fondante. Pourtant, c’est déjà le temps de penser à ses semis et au jardin. Mais peut-être que vous n’avez pas le pouce vert ? Ou que vous n’avez pas d’espace propice dans votre cour ? Dans ce cas, vous pourriez vous trouver un petit lopin dans un jardin communautaire, ou participer à un jardin collectif. Mais faites vite : les places sont limitées.
À Sainte-Adèle, ce sera le troisième été du jardin communautaire. Le 18 mars, la Ville ouvrait les inscriptions en ligne. Le 21 mars, tous les lots étaient déjà réservés, à l’exception d’une boîte surélevée, réservée aux personnes à mobilité réduite. On invitait alors les citoyens à mettre leur nom sur une liste d’attente. Cependant, il n’y avait que 7 lots de disponibles sur 24, explique le responsable Charles Gallant-Roberge. « On a offert la possibilité aux jardiniers de l’année dernière de conserver leur lot. »
Trouver un lot
« C’est un jeune projet. Ça n’a jamais été complètement rempli, ces deux dernières années. Et ceux qui ont ajouté de l’engrais, par exemple, veulent garder leur lot », continue M. Gallant-Roberge. En prévision de la popularité grandissante, on avait même construit quatre lots supplémentaires pour cette année. « Éventuellement, si la demande continue à croître, on en ajoutera, peut-être dans un autre endroit pour rester à proximité des gens. Pour que, dans la mesure du possible, ils n’aient pas besoin d’y aller en auto. »
À Saint-Sauveur, il se libère aussi quelques lots dans le jardin communautaire Yvon-Corbeil chaque année. Celui-ci compte 40 lots de 10’x10′. « Sur le groupe de l’année passée, presque la totalité est revenue. Il y en a peut-être six de disponibles », explique Luc Leblanc. Il invite d’ailleurs les Sauverois intéressés à lui écrire : luc.leblanc@bell.net.
Jardiner entre voisins
Tant à Sainte-Adèle qu’à Saint-Sauveur, il s’agit de jardins communautaires. Chacun a sa petite parcelle, qu’il cultive, entretient et récolte lui-même. « Ce sont principalement des aînés, des retraités, qui ont plus de temps. Mais on a aussi des parents avec leurs enfants, des couples, et des amis qui prennent un lot ensemble », raconte M. Gallant-Roberge.
Pourtant, ce n’est pas l’espace qui manque dans la région. Pourquoi ne pas simplement cultiver chez soi ? Pour M. Leblanc, ce serait difficile. « Je demeure dans le secteur non-urbanisé. J’ai beaucoup d’arbres sur mon terrain, donc pas beaucoup de soleil. J’ai aussi des chevreuils et des marmottes. Le jardin est un terrain clôturé. Il y a moins de danger que des animaux sauvages entrent. » À Sainte-Adèle, le sol est souvent rocailleux, et donc peu fertile, ajoute M. Gallant-Roberge.
Surtout, cultiver entre voisins a ses avantages. « Si je veux des trucs, mon voisin peut m’en donner. Et si j’ai trop de tomates, j’en donne », illustre M. Leblanc. Lorsqu’il part en vacances, quelqu’un est là pour arroser ses plants et désherber, et il rend la pareille à son retour. Tout se passe dans l’échange, le partage et l’entraide. Il y a même un cabanon, avec des outils communautaires. « Il y a un tableau blanc à l’intérieur, où les gens s’écrivent des messages », indique M. Gallant-Roberge.
« On sollicite l’ensemble pour les travaux collectifs. Au printemps, il y a une corvée d’ouverture, pour nettoyer le terrain et racler », ajoute M. Leblanc. Il y a aussi quelques espaces collectifs, comme des plants de fines herbes. « C’est nous qui les plantons et c’est libre-service. »
Jardiner ensemble
À Saint-Jérôme, les Citoyens actifs du Vieux-Bellefeuille ont plusieurs projets en branle pour ranimer la vie de quartier. L’un d’eux est le jardin collectif, à côté de l’église Notre-Dame-de-la-Salette. Inauguré l’année dernière, il comptera 10 bacs cette année. S’ajouteront aussi une table de pique-nique, une pergola pour les plantes grimpantes et avoir un peu d’ombre, et même un hôtel à insectes, qui permettra aux familles d’observer et d’apprendre sur les insectes. D’ailleurs, ces nouveaux éléments seront construits par les scouts, précise Mélissa Vincent, présidente des Citoyens actifs.
Contrairement au jardin communautaire, tout dans un jardin collectif est partagé : les efforts comme les récoltes. « Nous sommes une quinzaine de bénévoles. Et on ajoute 20 de plus si on inclut nos partenaires », explique Mme Vincent. D’ailleurs, le groupe vient d’avoir une rencontre, début mars, pour planifier l’été. « L’an dernier, nous avons planté trop de tomates. Ça prenait trop de place ! Même chose pour les brocolis : on a dû les arracher. » Au menu cette année : tomates, concombres, poivrons, carottes, radis, basilic, courgettes et courges butternuts, fraises, épinards, kale, laitue frisée, céleri-rave…
Difficile, cependant, d’évaluer les récoltes de l’année dernière. « Les gens pouvaient récolter au fur et à mesure, quand les légumes étaient prêts. Nous n’avons pas eu beaucoup de gaspillage. C’est signe que les citoyens se sont appropriés le projet », se réjouit Mme Vincent. Selon elle, le jardin sert aussi de lieu de socialisation et d’éducation. L’école est juste en face, et les scouts apprennent en contribuant.
Jardiner pour tous
L’été, sur le bord du P’tit Train du Nord, au Cégep de Saint-Jérôme, on peut voir pousser des fruits et des légumes. Il est même indiqué qu’on peut se servir librement. Il s’agit d’une initiative des Incroyables comestibles Rivière-du-Nord. « C’est un mouvement citoyen mondial, qui a commencé en Angleterre en 2008 », explique l’agronome Lucie Tanguay. « Deux femmes ont commencé ça dans un petit village. Elles n’étaient même pas jardinières. Mais il y avait beaucoup de précarité économique et sociale dans leur village. Elles se disaient : « Il faut nourrir les gens. » »
Le jardin et ses récoltes sont ouverts à tous. « On n’a pas besoin d’être membre pour venir travailler, cultiver ou même cueillir. C’est vraiment un regroupement volontaire, citoyen. On n’a pas d’assemblée générale, pas de rapport, pas de structure. C’est parfait pour l’intergénérationnel », détaille Mme Tanguay. Tous les mercredis matins, ou à peu près, les gens se rassemblent pour jardiner.
Cet été, le jardin en sera à sa septième année. « On commence à avoir de l’expérience. » Chaque année, le jardin grandit un peu. Mme Tanguay me parle de la haie fruitière. Y poussent des amélanches, du sureau, des groseilles et du cassis. En-dessous poussent des plantes rampantes comestibles, comme de l’origan, de la menthe et des fraises. Par ses projets, le jardin sert aussi à l’éducation populaire, explique l’agronome. « C’est pour montrer aux gens qu’il n’existe pas juste les haies de cèdre. C’est possible de faire des belles haies comestibles, même dans un petit espace. »
Cultiver sa communauté
L’autonomie alimentaire est aussi une des valeurs cardinales des Incroyables comestibles. On priorise les fruits et les légumes perpétuels. « On les plante une fois, et ils reviennent chaque année », illustre l’agronome. Elle donne l’exemple des framboisiers. Il y a 7 ans, on a planté 15 plants. « Ç’a triplé de grosseur. Et là, en plus de donner des framboises, on n’arrête pas de donner des plants chaque année. Ils vont nous nourrir pendant 100 ans ! » L’agronome parle aussi des topinambours, de la rhubarbe, des patates, de l’ail, de la livèche, des asperges… « Ce sont tous des beaux fruits et légumes nordiques, adaptés à notre climat, nourrissants, mais méconnus parce que les gens ont perdu ça. »
Surtout, les efforts des jardiniers servent à créer un sentiment de communauté. « Toutes les semaines, on a des témoignages de gens qui passent. Ils nous disent : « Merci d’être là, de faire ça pour nous. Juste de vous voir, ça fait du bien au moral. » Ça, c’est notre récompense », se réjouit Mme Tanguay. Elle raconte comment, durant la récolte des haricots qui prend quelques semaines, les passants sont toujours surpris de s’en faire offrir gratuitement. « Dans le temps des framboises, c’est tellement beau de voir les enfants les cueillir », ajoute la jardinière.
« On ne fait pas juste semer des graines dans la terre, mais aussi dans le coeur et l’esprit des gens. […] C’est une lutte douce contre l’exclusion sociale », souligne l’agronome. L’ouverture du jardin devrait se faire dès que la neige sera fondue.