L'hôtel Beaulieu, présumément quelques années après sa construction. Crédit : Histoire et archives Laurentides

Hôtel Plouffe : Témoin de l’histoire de Saint-Jérôme

Par Simon Cordeau

Construit en 1877, l’hôtel Beaulieu (mieux connu comme l’hôtel Plouffe) est l’un des plus vieux bâtiments encore debout de Saint-Jérôme. Son histoire révèle les transformations profondes qu’a traversé Saint-Jérôme à la fin du 19e siècle, lorsque la ville entre dans la modernité.

En 1876, le rêve du curé Labelle se réalise : le premier train arrive à la gare de Saint-Jérôme. La même année arrive le premier aqueduc de la ville, fait en bois !, précise Mégane Beauséjour, technicienne en archivistique d’Histoire et archives Laurentides (HAL). « Plusieurs touristes provenant de Montréal prenaient le train pour aller dans le Nord. Saint-Jérôme devient un arrêt touristique pour plusieurs. Certains passaient même toutes les vacances à Saint-Jérôme ! », raconte Mme Beauséjour.

Mais il faut bien accueillir tous ces voyageurs quelque part. Ainsi, le curé Labelle approche Louis Beaulieu pour qu’il construise un hôtel. C’est ce qu’il fit, en 1877, à quelques pas de la gare du Canadien Pacifique.

Destination : Saint-Jérôme

Gare du Canadien Pacifique à Saint-Jérôme. Date inconnue. Autour, des charretiers attendent les voyageurs pour les amener aux hôtels. Crédit : Histoire et archives Laurentides

À l’époque, Saint-Jérôme est encore toute petite. Elle n’a pas encore son statut de ville, qu’elle obtiendra en 1881. Et elle compte « à peine 3 000 habitants ». « Louis Beaulieu, qui se veut innovateur, construit son hôtel sous une architecture de style néo-renaissance : « une tendance d’influence à l’italienne ». L’hôtel Beaulieu devient alors un signe évident de modernité, car il rompt avec les constructions traditionnelles », détaille Mme Beauséjour.

L’hôtel est encore plus avant-gardiste lorsqu’on comprend qu’il précède l’arrivée de la papeterie Rolland (1882), la Maison Prévost (1891), le service d’égout (1894) et même la cathédrale (1897) et le Vieux-Palais (1924). « L’hôtel en lui-même est donc un bâtiment impressionnant pour l’époque. »

Le tourisme deviendra même une partie importante de l’économie jérômienne à la fin du 19e siècle. Malgré sa petite taille, Saint-Jérôme compte plus d’une dizaine d’établissements pour loger les touristes, comme des auberges et des hôtels.

Le Château Larose et l’hôtel Plouffe

En 1913, Louis Beaulieu vend son hôtel à Théophile Larose. Celui-ci renomme l’hôtel le Château Larose, pour le rendre « plus prestigieux », raconte Mme Beauséjour. Le député Athanase David y est même accueilli lors d’un banquet, en 1916.

Larose vend ensuite l’hôtel à Cléophas Grignon en 1916, qui le revend à Oliva Laurin en 1920. Celle-ci le revend à Édouard Plouffe l’année suivante. Originaire de Saint-Jovite, Édouard Plouffe achète aussi plusieurs autres hôtels associés aux gares du Canadien Pacifique, dont celui du lac Mercier à Mont-Tremblant, en 1927.

Il restera propriétaire de l’hôtel jusqu’à son décès, en 1962. Son fils François lui succède, mais un an plus tard, il décède tragiquement dans un accident de la route. Sa femme, Rollande Larose, et son fils, Pierre, héritent de l’entreprise. Puis ils la vendent aux quatre soeurs de François, soit Gabrielle, Marcelle, Jeannette et Yvette, en 1968.

« Une réputation peu enviable »

Sous la gouverne d’Édouard et de son fils François, l’hôtel Plouffe devient « un véritable rendez-vous des ouvriers et petites gens », rapporte Henri Prévost dans un article de L’Écho mag en 1999. « Malgré la « grande noirceur » des années 50, l’hôtel Plouffe se tirait très bien d’affaires, notamment grâce aux bonnes relations que François Plouffe entretenait avec le régime Duplessis. » À l’époque, il n’y a que sept permis de vente d’alcool pour tout Saint-Jérôme !

L’endroit acquiert cependant une mauvaise réputation et s’attire les critiques du clergé, étant donné ses pratiques peu éthiques. On achète toutes les bouteilles de 10 onces à la Commission des liqueurs pour les revendre à profit. On change les chèques des ouvriers de la Rolland, de la Dominion Rubber et de la Regent, qui « flambaient une bonne partie sur place ». « Certains jeudis, on y changeait jusqu’à 15 000 $ », confie Pierre Plouffe à Henri Prévost. Des joueurs de cartes se réunissent dans deux chambres pour faire des paris. Et la prostitution y est « tout à fait tolérée ».

En 1977, l’hôtel Plouffe fête son centenaire en grand. Pour l’occasion, le prix des produits d’alcool est fixé à 20 sous : leur prix 100 ans auparavant ! Il se vend alors 256 caisses de bière et 71 bouteilles de 40 onces d’alcool, peut-on lire dans une note de HAL.

Après les Plouffe

L’hôtel en 2021, situé au coin des rues Godmer et de la Gare. Archives

En 1990, l’entreprise est vendue à Marc Latour. En 1999, Henri Prévost rapporte que Marie-Josée Latour « cherche à renouveler sa clientèle, un véritable défi compte tenu de sa réputation peu enviable ». On aménage donc une terrasse et on inaugure une salle de dégustation de porto, de scotch et de cigares, nommée Le salon d’Édouard.

En 2015 toutefois, six personnes soupçonnées de trafic de cocaïne au bar Le 110, situé dans l’hôtel, sont arrêtées. La fille du propriétaire, Marie-Josée Latour, 50 ans, est parmi les accusés, ainsi que deux employés.

Aujourd’hui, le bâtiment sert de maison de chambres, et le premier étage est toujours à louer.

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