L’histoire du porc racontée
Par Simon Cordeau
Nous mangeons du porc depuis la préhistoire, et du boudin depuis l’Antiquité au moins. Dans son ouvrage Copains comme cochons : La petite histoire du porc et son boudin, Jean-Pierre Lemasson, professeur retraité de l’histoire de la gastronomie québécoise à l’UQAM, a décidé d’en retracer l’histoire. « L’alimentation, c’est une petite histoire. Mais sans elle, il n’y a pas de grande histoire. »
Le cochon, d’hier à aujourd’hui
Le cochon est avec nous depuis, littéralement, des millénaires. Facile à nourrir (il mange n’importe quoi), se reproduisant vite (et souvent!), le cochon était une source accessible et relativement abondante de viande et de gras. Tant les riches élites que les pauvres paysans pouvaient en profiter.
D’ailleurs, il est arrivé ici, en Amérique, en même temps que les explorateurs européens. « Même Jacques Cartier avait amené des cochons », précise M. Lemasson. Il faut toutefois attendre Samuel de Champlain, en 1608, pour que leur présence devienne permanente. Champlain, en fondant Québec, installe une ferme pour nourrir la nouvelle colonie avec diverses bêtes, dont le cochon. « Dès la naissance de la Nouvelle-France, le cochon était présent! »
Le boudin pour accéder au divin
On mange probablement du boudin depuis l’Antiquité, mais déterminer le moment de son apparition dans notre assiette est plus difficile. Le boudin est peut-être grec, romain ou même égyptien! Quoiqu’il en soit, il faut attendre la fin du Moyen-Âge pour en trouver la première recette.
Il est aussi fascinant de voir le rapport intime entre le boudin… et le divin. « Dans toutes les cultures, le sang représente la vie. Il est marqué d’une très forte connotation sacrée. Au fond, il y a un côté divin dans le sang. » Toutefois les religions sont divisées sur l’interprétation de cet aspect divin. « Pour les juifs, toucher au sang, manger du sang, c’est attenter à la vie, d’une certaine façon. » C’est aussi le cas pour les musulmans, souligne le chercheur.
Les catholiques, au contraire, font communion en buvant le sang du Christ. « L’Église considère le sang comme consommable. » Ainsi, le sang cuit du boudin contient, en quelque sorte, une porte vers le sacré.
Le porc, vecteur de maladies
Jusqu’à tout récemment, les cochons habitaient les villes et leurs rues à nos côtés, se nourrissant de détritus et se vautrant dans la fange. On les abattait même en pleine rue, pour assurer aux clients la fraîcheur de la viande.
Au 19e siècle, une préoccupation accrue pour l’hygiène et la transmission des maladies vient changer la donne. En 1841, Montréal interdit l’abattage en public. Puis en 1868 et en 1874, deux règlements viennent interdire les porcs et leur élevage dans la ville. À l’époque, Montréal est touchée par une épidémie de tuberculose. On veut donc enlever le sale cochon, perçu comme un vecteur de maladies, de l’espace public.
Le retour du respect
Aujourd’hui, les cochons sont enfermés dans des usines, élevés et abattus loin des yeux. Si les porcs deviennent maintenant plus gros et plus gras plus rapidement, nous avons perdu quelque chose au change, selon M. Lemasson.
Avant, au moment d’abattre un cochon, on faisait la « tuée ». On rassemblait la famille et le voisinage pour abattre, découper et cuisiner le porc et ses parties. L’évènement était festif et se terminait par un festin. Le rituel, explique M. Lemasson, confrontait chacun à sa propre mort, à travers celle de l’animal, mais aussi son rapport intime avec la vie, et la nécessité de se nourrir. L’auteur déplore que ce rapport entre la vie, la mort et notre assiette se soit perdu.