Distiller le terroir québécois
Par Simon Cordeau
Les distillateurs ne manquent pas d’idées ni d’audace pour offrir des spiritueux issus de notre terroir. Mais le monopole de la SAQ rend difficile la commercialisation de nouveaux produits. Entrevue avec deux distilleries des Laurentides qui trouvent des façons de faire leur place.
Un terroir d’ici
Alors que d’autres distilleries achètent leur alcool de l’Ontario, La Manufacture à Sainte-Agathe-des-Monts produit ses spiritueux du grain à la bouteille et avec des céréales 100 % québécoises, explique le distillateur Laurent Roche-Ballard.
Le gin Panacée est de facture plus classique, mais avec des notes boréales qui mettent de l’avant les épices et les plantes du terroir québécois. Le gin Koï, fait de blé et de maïs québécois, offre plutôt des notes asiatiques d’agrumes, de gingembre et de citronnelle. « On utilise du gingembre biologique qui pousse à Mont-Tremblant, de la Ferme aux petits oignons », souligne Laurent.
Une expertise travaillée
« Notre production principale, à 95 % et plus, c’est du whisky single malt », explique Michel Dubé, copropriétaire de Côte des Saints à Mirabel. Celui-ci est fait des céréales et de l’eau de Mirabel.
Le whisky est vieilli dans d’anciens fûts, par exemple de bourbon, de Sherry Oloroso, de Sauternes ou de Porto Tawny. « Présentement, dans nos chais, on a 3 000 barils en vieillissement, dans une quarantaine d’essences différentes, qui seront prêts d’ici 2 à 3 ans. »
Fabriquer du whisky est un long processus, souligne Michel. « On a commencé en 2015, lorsqu’on a acheté la terre et fait construire le bâtiment. On a fait immigrer un distillateur spécialisé des États-Unis avec sa famille. […] Puis on a produit notre première cuvée en 2019, et on a vendu notre première bouteille en 2023 », illustre-t-il.
La distillerie des autres
Pour Laurent, le fait que la SAQ ait le monopole sur la vente de spiritueux rend difficile le développement de nouveaux produits. « On vend les produits que la SAQ veut bien nous acheter. » Par exemple, La Manufacture fait une édition de son Panacée vieilli en fût de chêne, qui est « un très bon vendeur ». Mais la SAQ n’en achète que 10 caisses par année, en octobre. « C’est dommage », déplore-t-il.
Pour croître, la distillerie se tourne donc vers la production pour d’autres personnes. « On a repris les produits d’Au Pied de Cochon : les gins Mononcle et Matante, et la vodka aromatisée au piment fort. » Cela permet d’améliorer des recettes existantes et d’offrir un produit complètement québécois, explique Laurent. Ces gins ont d’ailleurs remporté des médailles récemment.
Faire sa place à l’international
Côte des Saints mise plutôt sur le marché international. « On produit 500 000 bouteilles par année. Le marché du Québec est trop petit », illustre Michel. Et comme produire du whisky est long et complexe, un produit de qualité a plus de chance de se démarquer.
D’ailleurs, trois de ses whisky ont remporté les trois premières places comme meilleurs whiskys canadiens au International Whisky Competition. Et avoir un produit « 100 % local à Mirabel » aide beaucoup. « C’est l’expression du terroir, et celui du Québec a une bonne réputation à l’international. Les gens nous le disent : c’est ce qu’ils recherchent », souligne Michel.