Difficile de garder les enseignants

Par Simon Cordeau

Le 6 février, le Journal de Montréal rapportait que quelque 4 000 enseignants avaient démissionné ces trois dernières années au Québec. Nous n’avons pas pu obtenir de chiffres ni de commentaires du Centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord (CSSRDN) avant de mettre sous presse. Mais pour Christian Aubin, président du Syndicat de l’enseignement de la Rivière-du-Nord, cela n’a rien d’étonnant. « Malheureusement, oui, on parle de démissions, mais aussi de retraites. Mettons que les gens n’ont pas le goût de rester. »

« Je n’ai pas de statistiques sur les démissions ou leurs motifs. Mais personnellement, je vois que ça ne va pas bien. On est en pénurie, et plus de gens quittent », continue M. Aubin. À titre d’exemple, il indique avoir eu des démissions en début d’année, parce que le CSSRDN a resserré les critères pour les congés. « Il y en a qui ont dit : « Parfait, je démissionne. Je vais dans le centre de services scolaire juste à côté. Ils vont accepter : il manque d’enseignants partout » », illustre-t-il. D’autres quittent complètement l’enseignement.

Un milieu plus violent

La violence croissante, tant verbale que physique, dans les établissements scolaires amène aussi des enseignants à reconsidérer leur carrière.

Le 27 janvier dernier, un élève de troisième secondaire de l’école Émilien-Frenette a été arrêté, à la suite de menaces sérieuses contre un enseignant et des membres du personnel. À l’école Saint-Stanislas, un élève a été pris avec un fusil à plomb dans son sac, rapporte M. Aubin. La vidéo d’une jeune fille de l’École polyvalente Saint-Jérôme, giflée et humiliée, a aussi créé l’émoi dans les médias, début février. « Ça fait 35 ans que je suis là, dont 30 ans au syndicat. Et il y a une vague de ces évènements. Selon comment c’est traité, ça donne le goût de démissionner », regrette M. Aubin.

Par ailleurs, le président déplore que le CSSRDN considère ramener l’élève arrêté à l’école Émilien-Frenette. « L’enfant a droit à une éducation, bien sûr. Mais il a fait un geste majeur. Peut-on le changer d’école? Des écoles secondaires à Saint-Jérôme, il y en a beaucoup. Le prof qui a reçu ces menaces ne va pas bien. Mais ses collègues ne sont pas rassurés non plus », plaide-t-il.

Les suspensions imposées aux élèves délinquants sont aussi insuffisantes, plaide M. Aubin. « Quand j’ai commencé, on pouvait suspendre un élève une semaine. Et si ça ne marchait pas, on le renvoyait une deuxième semaine. Aujourd’hui, c’est trois jours maximum. Un élève peut n’avoir rien compris, mais revenir quand même. »

Retraites précipitées

Plusieurs autres raisons peuvent motiver les départs des enseignants. Par exemple, plusieurs tombent en congé de maladie. « Donc ils réfléchissent à leur avenir », indique M. Aubin.

Les départs à la retraite semblent plus nombreux, mais aussi plus précipités. « Normalement, les gens prennent leur retraite au 30 juin. Ils ne veulent pas laisser leurs élèves en cours de route. Mais ç’a changé. Maintenant, quand ils atteignent la date du 35 ans de service, ils ne font pas d’extra. Je reçois des lettres de retraite en novembre, décembre, janvier… »

D’autres préfèrent simplement changer de carrière, où ils trouvent de meilleures conditions de travail. « Un m’a dit : « Je suis maintenant au Costco. Ils me paient 50 000 $ pour placer du stock. À l’école, j’étais intimidé » », illustre M. Aubin.

Revenir?

Robert Durocher, enseignant à Saint-Stanislas puis aux Hauts-Sommets, nous confiait qu’il avait quitté son poste pour préserver sa santé, lors d’une entrevue en 2021. Toujours passionné, il avait fini par revenir, mais à temps partiel et pour faire de la suppléance. Selon M. Aubin, son cas n’est pas unique. « Oui, certains reviennent dépanner. Le gouvernement a mis des incitatifs. Les retraités qui reviennent sont payés plus cher. […] En suppléance, tu n’as pas de correction le soir, pas de bulletins à préparer, etc. Mais tu es suppléant : quand tu entres dans la classe, tous les élèves veulent t’essayer, et ils s’en permettent. »

M. Aubin indique toutefois que les incitations n’ont pas eu l’effet espéré. « Ça ne se bouscule pas. Plusieurs se disent qu’ils préfèrent faire autre chose. »

Les « sept travaux » du ministre

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a révélé les sept priorités qui guideront ses décisions, le 26 janvier dernier. M. Aubin regrette que modifier la classe ne fasse pas partie des « sept travaux » du ministre. « Les enseignants, au secondaire par exemple, sont rendus avec des classes de 32 élèves. Et il y en a 16, parfois plus, qui ont des problèmes : dyslexie, trouble d’opposition, trouble de comportement, etc. Une classe régulière, ça existe de moins en moins. »

Le président salue toutefois d’apporter une aide supplémentaire aux enseignants. « On l’avait demandé. Les filles en technique de garde, au primaire, on peut bonifier leur contrat et les envoyer surveiller pendant les récréations. Et ça libère des profs pour faire de la récupération en classe. » Il voit aussi d’un bon oeil la formation accélérée des enseignants par un nouveau programme.

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