(Photo : Courtoisie Ville de Saint-Colomban)

Communauté nourricière : bâtir l’autonomie alimentaire

Par Simon Cordeau

À Saint-Adolphe-d’Howard, des citoyens s’organisent pour créer une communauté nourricière. À Saint-Colomban, le projet avance depuis déjà quelques années pour pallier le « désert alimentaire » dans la ville. Qu’est-ce qu’une communauté nourricière? « C’est un groupe de gens qui essaient de rendre leur système alimentaire plus résilient », résume Audrie Tremblay, directrice générale de la coopérative de solidarité Jardins Nourri-Cîmes, à Saint-Adolphe. L’objectif, à terme, est que les citoyens se nourrissent de manière locale et durable pour atteindre, le plus possible, l’autonomie alimentaire.

Pour ce faire, il faut revoir où les aliments sont produits, comment ils sont transformés et comment ils sont vendus et distribués. « Dans une démarche de développement durable, il y a toujours l’idée de faire les choses comme il faut. Il faut revoir beaucoup de choses pour notre autonomie alimentaire. Pas juste à Saint-Adolphe, mais aussi au Québec, voire dans le monde », soutient Mme Tremblay.

S’alimenter localement

Saint-Colomban est un désert alimentaire, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune épicerie sur son territoire. « Je pense qu’on est la seule ville au Québec où vivent 18 000 personnes sans épicerie », déplore le maire, Xavier-Antoine Lalande. Les raisons sont d’abord historiques et géographiques, explique-t-il. « La moitié de la population fait son épicerie à Saint-Jérôme, et l’autre moitié à Saint-Canut. »

Ce vide est tout même un problème que le maire aimerait voir comblé. Convaincre un épicier de s’installer est toutefois ardu, même si le potentiel est là. « Ils se disent : « S’il n’y a personne, il doit y avoir une raison. » Mais en attendant, nous à la Ville, on ne reste pas inactifs », continue le maire. C’est pourquoi la Ville a entrepris de devenir une communauté nourricière. D’abord, elle a mis sur pied un marché public. « D’habitude, c’est la dernière étape. Nous, on a fait l’inverse pour arrimer la population au marché. On savait qu’on allait combler un besoin. » Après quelques années, l’idée est un « grand succès », témoigne M. Lalande.

À Saint-Adolphe-d’Howard, des paniers de produits locaux et frais sont disponibles depuis deux ans, explique Mme Tremblay. « Ça donne accès à des légumes et des fruits bio de proximité. On voulait travailler avec une coopérative, comme la ferme La Roquette, pour propager ce modèle qu’on aime bien. »

Créer un mouvement citoyen

Pour aller plus loin cependant, la participation citoyenne est essentielle. Une consultation s’est d’ailleurs tenue le 19 novembre dernier à Saint-Adolphe. Une cinquantaine de personnes y ont participé, se réjouit Mme Tremblay. « Il y a de la demande pour plus d’accès à des aliments de qualité. Les gens ne veulent pas tout le temps devoir faire des kilomètres. Ils ont envie de participer à un modèle qui n’est pas celui-ci actuellement. Ils veulent quelque chose à l’image des gens. »

La consultation se poursuit en ligne jusqu’au 4 décembre, au mieuxnourrirstadolphe.cocoriko.org.

À Saint-Colomban, il a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour créer le marché public. « Le nerf de la guerre, ce sont les producteurs. Souvent, ils n’ont pas assez d’employés pour être partout en même temps. Les premières années, c’était très difficile de les convaincre », raconte M. Lalande.

Maintenant toutefois, l’engouement est réel. Tellement, qu’on doit refuser des producteurs! Le marché public est même devenu un lieu de rassemblement communautaire. « Les gens viennent et s’amusent. Il y a des liens qui se tissent. Il y a des musiciens en direct, et on a amélioré la diversité musicale. On a construit un four à pizza extérieur aussi. Et l’année prochaine, il y aura encore plus de kiosques », se réjouit le maire. L’évènement attire même des touristes de l’extérieur, souligne-t-il.

Se cultiver

Saint-Colomban tient aussi un marché nourricier, au début du mois de mai. On y vend des semences, des plants potagers, des spores de champignons, bref tout le nécessaire pour cultiver chez soi. On peut même y apprendre comment se construire un poulailler, ainsi que les implications d’élever soi-même des poules, indique le maire. « Le but est de préparer et d’alimenter le terrain pour la saison horticole.

M. Lalande souligne que les terrains de sa ville sont grands, avec 40 000 pieds carrés en moyenne. « Le manque d’espace n’est pas une excuse. » Des jardins collectifs et communautaires ont aussi été mis sur pied. « On a ajouté un volet communautaire, pour la sociabilité. On a une OMH [Office municipal d’habitation] ici, et on voulait un jardin à proximité. Les gens peuvent avoir un espace où ils sont accompagnés et où on leur donne des ressources. »

À Saint-Adolphe, on travaille sur plusieurs projets d’agriculture urbaine, comme des bacs avec les aînés, explique Mme Tremblay. Ces bacs permettent également de cultiver à des endroits moins propices à l’agriculture, comme les terres rocailleuses de Saint-Adolphe et de Saint-Colomban. « On a aussi une serre, de 30 par 100 pieds. On est en démarche pour l’installer », continue Mme Tremblay.

À travers ces projets, Mme Tremblay et M. Lalande soulignent l’importance de partager le travail, mais aussi les connaissances et les ressources. « On travaille à développer les compétences individuelles, pour que tous aient un jardin, mais aussi les compétences pour le faire », illustre M. Lalande.

Être autonomes et résilients

Au bout du compte, pour développer une communauté nourricière, il faut plusieurs projets complémentaires qui se renforcent l’un l’autre. Surtout, il faut de la patience.

C’est un peu comme ce projet de forêt nourricière dont nous parle Mme Tremblay. L’idée est de construire un écosystème, en choisissant des plantes qui grandiront en symbiose. « Chaque plante a une fonction : certaines captent l’azote et la transmettent aux autres, d’autres couvrent le sol pour qu’il reste humide. Il s’agit de trouver une combinaison de plantes qui va nourrir les gens. » À terme, cette forêt devient permanente et autonome, mais il faut environ 5 ans avant d’en voir les bénéfices, estime Mme Tremblay. « Il faut être patient, mais c’est pérenne dans le temps. Ce n’est pas comme les plantes annuelles : on les plante, on les récolte, et on recommence », compare-t-elle.

Ces nouvelles façons de faire amènent aussi de la variété dans nos assiettes : des plantes nouvelles, absentes de la cultivation industrielle. Là aussi, l’éducation des citoyens est importante. « Notre souci, c’est de ne pas gaspiller », indique M. Lalande. L’année dernière, les récoltes du jardin collectif ont été données à l’aide alimentaire. « Il y avait beaucoup de légumes-feuilles, certains qui ne sont pas communs. On a eu des questions : « C’est quoi ça? Qu’est-ce que je fais avec ça? » Même moi, je ne sais pas cuisiner tous les aliments du monde », illustre le maire.

Avec une diversité de sources et de produits, l’alimentation des citoyens est aussi plus résiliente. « On est moins dépendants de ce qui se passe, des variations dans les chaînes d’approvisionnement, ou des changements climatiques. » Mme Tremblay repense à la tornade qui a traversé Saint-Adolphe cet été. « S’il y a un accident et que notre serre est touchée, on sait qu’il y a d’autres projets en cours. On ne met pas tous nos oeufs dans le même panier. »

« On ne dit pas qu’on pourra nourrir tout le monde. Mais ceux qu’on nourrit, on les nourrit bien », conclut Mme Tremblay.

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