Chronique : Culture rétro
Par Simon Cordeau
Chaque semaine paraissent de nouveaux films, livres, albums, séries télé, bandes dessinées… On perd rapidement le compte, et c’est parfois difficile de démêler le bon du mauvais. C’est pourquoi, souvent, je préfère prendre un peu de recul, et me pencher sur des oeuvres moins actuelles, mais intemporelles.
Il y a déjà sur ma liste une foule de classiques encensés que je n’ai pas encore eu le temps de découvrir. Ce sont des valeurs sûres, ou des incontournables de leur époque, ou des curiosités dont l’étrangeté surprend encore aujourd’hui. Pourquoi ajouter à la pile une oeuvre nouvelle, mais qui fanera peut-être déjà la semaine prochaine ?
Perles oubliées
C’est encore plus vrai pour notre culture québécoise. Pour la garder vivante, il faut aussi en connaître le passé et l’évolution, ses oeuvres phares et marquantes.
Je lis présentement Red Ketchup. Créé par Pierre Fournier et Réal Godbout en 1982, il est devenu un personnage culte de la bande dessinée québécoise. Pourtant, Red Ketchup est (très) américain : agent du FBI, toxicomane, super violent et impulsif, increvable… Il rappelle ses héros hyper masculins qui suent la testostérone, interprétés par Arnold Schwarzenegger ou Chuck Norris. Là aussi, tout le plaisir se trouve dans la surabondance d’action destructrice, de violence gratuite et du ridicule des situations invraisemblables. Mais Red Ketchup a une qualité de plus. La bande dessinée est écrite en français québécois. Et elle nous rappelle qu’on peut explorer tous les médias et tous les styles, sans sortir du Québec.
C’est un peu la même chose lorsqu’on regarde IXE-13, disponible sur le site de l’ONF. Film de 1971 par Jacques Godbout, il met en vedette les membres des Cyniques, dans un pastiche des romans-feuilletons québécois d’IXE-13, « l’as des espions canadiens ». Il s’agit en fait d’une comédie absurde tournée dans des décors en carton (littéralement), avec des éléments de comédie musicale. On y retrouve aussi les codes des films d’espionnage à la James Bond. Mais comme c’est une production d’ici, on ressent tout de suite une familiarité, une complicité avec l’oeuvre. Et ce, dès le début, alors que le film s’ouvre avec le serment interminable d’un prêtre en chaire : l’une des victimes préférées des Cyniques.
Nostalgie familière
En fouillant ainsi dans le passé, on peut ressentir une certaine nostalgie pour une époque révolue, qu’on a connu ou pas. D’ailleurs, les producteurs ont eux aussi ce goût pour la nostalgie. Les remakes de vieux succès sont légion, même ici. Avez-vous vu la renaissance d’Un gars, une fille ? J’ai aussi hâte à celle de La petite vie. D’ailleurs, Red Ketchup aura bientôt sa série animée.
Bien sûr, c’est toujours plaisant de renouer avec des personnages aimés qu’on croyait disparus. Mais à la place, pourquoi ne pas simplement regarder la version originale ? Bon, certains aspects ont mal vieilli. Mais cela fait aussi partie de leur charme. On constate que les choses ont changé, alors que d’autres choses sont restées les mêmes. Où a-t-on fait du progrès ? Où fait-on du surplace ? C’est parfois dans le reflet du passé, en prenant un peu de perspective, que le présent et ses enjeux se révèlent différemment.
Références communes
Surtout, on oublie parfois que la culture, au sens large, c’est d’abord des références communes. Ce sont des histoires, fictives ou vraies, qu’on partage et qui transcendent les générations. C’est une façon de reconnecter avec notre propre histoire, nos origines et nos identités.
Aujourd’hui, cette culture est plus accessible que jamais. Pas besoin de chercher au club vidéo, ni de fouiller dans les bacs à CD au magasin. Assis dans votre salon, allez vous perdre sur le site de l’ONF. Laissez-vous tenter par un film de Pierre Perrault et son regard poétique et documentaire sur la société québécoise d’alors. Ou explorez Éléphant, qui vise à numériser et à rendre accessible la « mémoire du cinéma québécois ». Ou ouvrez votre application de musique préférée, et (re)découvrez Les Classels, Harmonium ou les BB. Ou replongez-vous dans les mots d’Anne Hébert, de Gaston Miron ou de Michel Tremblay. Je suis sûr que quelques classiques québécois vous ont échappé.
Lors de votre prochaine soirée sociale, vous ne pourrez peut-être pas commenter sur la dernière mégaproduction hollywoodienne. Mais vous serez surpris de voir quelles réactions provoquera votre intérêt nouveau pour un morceau de culture d’hier.