(Photo : Nordy)
Même après la retraite, Pierre Gougoux n’arrêtera jamais d’enseigner.

Gravir la montagne, ensemble

Par Simon Cordeau

Sur le chemin Brunet, à Sainte-Agathe, il est impossible de manquer la maison jaune de Pierre Gougoux. Lorsque nous arrivons chez lui, il tombe une fine neige, et le soleil peine à percer les nuages. Le temps est doux, parfait pour une journée de randonnée dans les sentiers qui montent dans la forêt. Il ne reste qu’à attendre les élèves de deuxième secondaire, venus de Montréal pour s’initier au plein air.

La maison jaune est entourée de bâtiments de ferme. Pierre Gougoux sort de la longue grange rouge. Deux agneaux viennent tout juste de naître, nous annonce-t-il, alors qu’il nous invite à l’intérieur. Pendant que Pierre tente de leur donner du lait, les autres moutons nous regardent hébétés. Puis surgit le chant d’un coq, plus loin dans la grange.

En attendant les élèves, Pierre nous fait visiter sa fermette, où il demeure depuis 38 ans. C’est le point de départ du réseau de sentiers du Club plein air Sainte- Agathe-des-Monts, dont Pierre est président et cofondateur. Sur l’un des bâtiments, quatre panneaux de bois représentent une oie blanche prenant son envol. Elle symbolise les jeunes qui viennent ici et leur épanouissement par le plein air, me dit Pierre.

Un peu plus haut, il y a une cabane à sucre. « C’est juste pour mon plaisir personnel », explique Pierre. Il s’en sert aussi comme atelier et dort là l’hiver. L’été, il dort dans un petit pavillon tout vitré, au centre du terrain. Il est, en quelque sorte, toujours dehors.

Des mésanges viennent aux mangeoires installées un peu partout. Au loin, un picbois se fait entendre. Puis l’autobus jaune, venu de Montréal, arrive.

L’arrivée

Deux à trois fois par semaine, Pierre reçoit chez lui des élèves. Aujourd’hui, il attend des étudiants de deuxième secondaire, de l’école Marguerite-De Lajemmerais, située dans Rosemont-La Petite-Patrie. Même si Pierre a pris sa retraite, après 50 ans à faire découvrir le plein air, il n’a jamais arrêté d’enseigner. « Les jeunes me donnent de l’énergie. Et j’ai beaucoup plus de plaisir à faire une randonnée avec eux que seul », lance-t-il avec un large sourire.

Les élèves étaient fiers de retrouver la fermette de Pierre Gougoux, à la fin de l’excursion.
Les élèves étaient fiers de retrouver la fermette de Pierre Gougoux, à la fin de l’excursion.

« L’arrivée chez moi est un beau moment de joie, d’excitation et de crainte », explique Pierre. L’autobus à peine arrêtée, des jeunes se lancent déjà dehors. D’autres restent en retrait. Dans l’autobus, un groupe se chamaille et Christian, l’enseignant, doit intervenir.

« Ils sont plus calmes que le groupe de mercredi », assure Ix-Chel, une des accompagnatrices. Il faut dire que le groupe de Christian compte une vingtaine d’étudiants. Celui de mercredi en avait 38!

Bon nombre d’élèves sont des immigrants de première ou de deuxième génération. Certains discutent ensemble en espagnol, en arabe… La diversité des cultures rend parfois la discipline difficile, explique Christian. « Ils ne répondent pas tous à une consigne de la même façon. »

Puis les élèves mettent leurs raquettes. Après quelques instructions, le départ est donné.

L’excursion

La première montée, très à pic, est la plus difficile. On passe devant un grand rocher couvert de glace, comme une chute figée par le froid. En haut apparaît le premier refuge : une petite maison bleue au milieu de la neige. C’est déjà le moment d’une pause pour les jeunes essoufflés.

Pierre est parti prendre soin des agneaux naissants. Il nous rejoindra plus tard. Mais pas de souci : d’anciens étudiants de Pierre sont venus prêter main-forte, alors qu’ils sont devenus accompagnateurs à leur tour.

Une petite maison bleue nous attend après la première montée, assez abrupte.
Une petite maison bleue nous attend après la première montée, assez abrupte.

Durant ses 50 ans comme enseignant au secondaire et au cégep, Pierre a donné la piqûre du plein air à bien du monde. Avec ses étudiants, il est allé dans les Alpes, et même dans l’Himalaya, des dizaines de fois. Ces excursions ont formé des liens forts, qui perdurent des décennies plus tard, me raconte Ix-Chel, qui est venue tant pour accompagner que pour passer une belle journée dehors. Ici, le plein air est autant une activité pédagogique, qui apprend la confiance en soi et la résilience, qu’une affaire de communauté.

Le reste de la randonnée est plus une affaire d’endurance, alors que les montées et les descentes sont douces. On s’arrête ensuite au deuxième refuge, où se trouve un abri pour manger, avec une vue sur les alentours. Les accompagnateurs essaient de faire croire aux élèves qu’on ira jusqu’à la montagne là-bas, au loin, et certains mordent à l’hameçon. Christian dicte les consignes et désamorce les conflits, toujours avec une pointe d’humour. Une élève n’a pas apporté de gants et a froid aux mains. Ix-Chel lui prête la paire de rechange qu’elle avait apportée.

On fait ensuite un détour vers un point de vue. Là, le mont Tremblant et ses pentes se perdent dans les nuages. On peut voir la longue étendue blanche du lac Brûlé, de petites maisons et les autres montagnes. « On prend une photo de groupe? », demande Christian. La réponse est… peu enthousiaste. « Je vous donne deux points chacun », ajoute Christian. Là, plusieurs s’empressent de se lever pour se joindre à l’enseignant. Christian connaît ses élèves. Mais quelques-uns restent tout de même à l’écart.

Le retour

Durant le dernier tronçon, c’est presque le silence. On n’entend que le « flok-flok » des raquettes. On sent que les jeunes fatigués. À l’arrière, un conflit éclate et demande une intervention un peu plus ferme.

Heureusement, la randonnée de 8 km et de 3h30 (avec les pauses) est presque terminée. Quand l’éclaircie apparaît, annonçant la fin de la randonnée, on sent l’excitation monter.

Comme récompense, les élèves ont pu voir le mont Tremblant et le lac Brûlé.
Comme récompense, les élèves ont pu voir le mont Tremblant et le lac Brûlé.

Certains partent à la course, dévalant la dernière pente jusqu’à la petite maison jaune. Juste avant d’arriver, une élève tombe et se prend le pied dans un trou. En l’aidant, l’accompagnatrice la rassure : « Tu es tombée juste une fois, et à la fin! » L’important, après tout, c’est de se relever.

Christian et les accompagnateurs se réjouissent : l’excursion a pris moins de temps que prévu. En attendant l’autobus, les jeunes auront le temps de glisser sur la côte devant l’érablière. En petits groupes, et s’ils demeurent silencieux, ils pourront même voir les deux agneaux, qui se portent bien.

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