Fabienne Larouche
Par Rédaction
Scénariste et productrice
1 – Avez-vous un souvenir précis de l’évènement du 6 décembre 1989, ou en avez-vous entendu parler? Décrivez la situation.
J’étais devant la télévision, les infos de Radio-Canada. Charles Tisseyre était à l’antenne. J’ai été immédiatement glacée d’horreur. Est-ce que je faisais un cauchemar? Non, malheureusement… Il y avait une tel désarroi dans la voix de Charles, une telle incompréhension, malgré l’obligation de rester en contrôle, comme l’exigeait son rôle ce soir-là, ça m’a beaucoup marquée. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens qui, comme lui, doivent annoncer de mauvaises nouvelles, des tragédies en fait, à la population.
2- Qu’est-ce que l’évènement a déclenché chez vous? Quelles sont les émotions ressenties?
Une immense tristesse bien sûr, mais surtout un sentiment jamais ressentie d’insécurité générale. On avait entendu souvent de telles histoires aux USA, toujours en pensant que nous étions à l’abri chez nous, parce que nous étions une société pacifique, mais non… rien n’était plus faux. Tout bascule et notre perception du monde ne sera plus jamais la même.
3- Quel est l’impact qu’un tel évènement a-t-il eu sur votre choix de carrière ou comment cela a-t-il influencé votre vie en général?
Aucun en fait, puisque j’étais déjà engagée dans la carrière que j’ai eu par la suite. Disons que si cet événement-là a pu avoir un impact, consciemment ou non, c’est sans doute dans la représentation fictive de la tragédie. Quand on vit ces événements dans la réalité et que l’on crée, que l’on écrit, bien sûr que ça colore nos créations, pour moi surtout dans le sens d’une maîtrise, d’une compréhension de cette folie destructrice. Ce n’est pas sans rapport avec Fortier où je me suis plongée plus à fond dans la folie criminelle.
4- En lien avec l’évènement, comment votre vision de l’éducation des enfants a-t-elle été influencée?
Une fois que nous en avons su un peu plus sur Marc Lépine, sur le climat familial et sur la séparation des parents, comme tous les cas semblables qui se sont manifestés par la suite, j’ai été confortée dans le fait que la stabilité, le support affectif et l’offre d’une identité forte, certes qui peut être contestée, mais qu’on présente comme un repère, demeure la pierre d’assise de la santé mentale.
5- 30 ans plus tard, quelle est votre perception de la place de la femme dans la société actuelle?
Je ne crois pas qu’on puisse faire un rapport entre Polytechnique et la place de la femme, pas plus qu’on puisse en faire un entre le geste du Caporal Lortie à l’Assemblée Nationale et la perception que nous avons des gens en politique. Tout évolue, on souhaite que ce soit dans le bon sens. Les femmes n’ont pas atteint une parité parfaite, mais cette parité est-elle utopique? Présentement, dans les facultés universitaires, les femmes sont en majorité. Bientôt ces jeunes femmes occuperont les postes de décision. Devrions-nous pour autant imposer la norme obligatoire du 50-50? Nous devons apprendre à vivre ensemble, à partager, à se comprendre et à s’accepter. Il me semble que tout évolue dans ce sens, malgré les crises et les dérapages.
6- Avez-vous été témoin d’une évolution dans la société ou chez l’ouverture d’esprit des hommes? Si oui, la décrire.
Absolument. Il y a un monde entre un homme de 25 ans et un homme de 75 ans. Moins sexistes, plus ouverts aux femmes en général, capables de travailler avec des femmes, les jeunes hommes sont plus souples. Par contre, ce qu’ils ont gagné en ouverture, ils l’ont parfois perdu en confiance, en motivation et en audace. Je connais bien des jeunes femme qui se plaignent que les garçons de leur âge sont inintéressants et sans conviction. C’est un signe que quelque chose ne va pas. Est-ce devenu honteux d’être un homme? On dirait que pour certains jeunes, ça l’est. Il y a aussi toute la question du couple, de la sexualité, de la séduction. Le monde a changé et les comportements aussi. Pour le mieux? On verra bien…
7- Comment s’exprime le féminisme d’aujourd’hui à vos yeux? Quelle est sa place?
Le seul féminisme valable à mes yeux n’est pas un féminisme vindicatif ou plaintif, un féminisme exclusif, mais c’est un féminisme audacieux. Prendre sa place, la défendre, s’ouvrir aux hommes, développer cette complémentarité nécessaire à la création d’un monde meilleur où tout le monde a sa place. Je ne me reconnais pas dans des revendications anecdotiques. Pa exemple, pour ma part, je suis une auteur. Je m’approprie le mot en le rendant invariable.
8- Quelle est votre perception des nouvelles expressions du féminisme à travers les mouvements sociaux récents ou actuels (exemple: les mouvements #MeToo et #MoiAussi)?
Je suis très mitigée à l’égard des réseaux sociaux et des #HastagQuelqueChose. D’une part, les RS ont libéré la parole. Tous peuvent s’exprimer sur n’importe quoi. Par contre, puisque tout le monde peut s’exprimer sur n’importe quoi, chaque individu s’attribue une expertise qu’il n’a pas. Madame ou Monsieur Tout-Le-Monde s’expriment, portent des jugements et débattent sur des sujets auxquels il connaissent peu ou rien. D’où le retour de vague de l’intimidation, des insultes, de la haine qui déferlent sans retenu.
9- Avez-vous vécu des réticences ou des traitements différents au cours de votre parcours professionnel parce que vous êtes une femme?
Parce que j’étais une femme, je ne sais pas. Une femme face à 10 hommes, certainement. Une femme face à 10 femmes, ce n’était pas nécessairement plus facile. Il y a la rivalité, l’envie, la stratégie. La plupart des personnes avec qui j’ai eu des difficultés ouvertement étaient des femmes. Par contre, la plupart de ceux qui m’ont rendu subtilement les choses difficiles, étaient des hommes. Le fait d’être une femme ne m’a pas nui parce que j’étais une femme, lorsque cela s’est produit, mais parce que j’étais une femme, francophone, populaire, qui faisait de l’argent et qui pouvait donc décider pour elle-même.
10- Dans un monde idéal, quelle serait votre souhait de société pour les générations futures?
La solidarité. Je ne vois rien de bon dans la fragmentation sociale actuelle où chacun exige que « ses » propres besoins soient satisfaits par tous. J’ai bien aimé la série The Crown, moi qui ne suis pas monarchiste du tout. Ce qui m’a frappé c’est cette prépondérance de l’institution, du consensus social sur le bien commun, pas seulement sur le bien individuel, comme on le voit au Canada depuis l’avènement de la Charte des Droits. On ne parle plus de solidarité et c’est bien triste. La solidarité c’est quand tout le monde s’oublie un peu pour le bien commun. Ça demande de l’ouverture, du partage et de l’auto-critique, de l’introspection. C’est ce que je leur souhaite, mais disons que ce n’est pas gagné d’avance.