Repenser le recrutement et changer la culture
Par Ève Ménard
Saviez-vous que la première version de l’application YouTube était mal conceptualisée pour les gauchers? Lorsqu’on est droitier, on bascule l’écran vers la gauche pour renverser l’image à l’horizontale. Lorsqu’on est gaucher, c’est le contraire : on bascule vers la droite. Initialement, ce mouvement n’était pas reconnu par l’appareil. Qu’est-ce que ça prouve? Premièrement, qu’il n’y avait manifestement pas de gauchers dans l’équipe de création. Deuxièmement, que la diversité est un concept extrêmement large.
On parle de plus en plus de diversité en entreprise. Fardeau supplémentaire ou responsabilité citoyenne? Ça dépend à qui on demande. Pour Chloé Freslon, fondatrice de URelles, un cabinet-conseil en équité, inclusion et diversité, c’est tout simplement la chose à faire pour le bien-être de l’organisation et de la société.
Représenter l’ensemble du marché
Les bienfaits sont documentés depuis des années : on démontre par exemple comment les conseils d’administration diversifiés sont plus performants ou comment la résolution de problèmes y est plus efficace, puisque les perspectives sont multiples.
Fondamentalement, avoir plus de diversité en entreprise mène à une société plus égalitaire, étant donné qu’on répond aux besoins de la majorité de la population, au lieu d’une partie de celle-ci. « Une entreprise est supposée s’adresser à l’entièreté du marché. Donc ce serait pertinent que les personnes qui conçoivent les produits accessibles à tous représentent également l’entièreté du marché », illustre Chloé Freslon. L’inverse peut entraîner la création de produits biaisés ou imparfaits, puisque conceptualisés par un groupe homogène.
Maintenant, comment arriver à la diversité? Malheureusement, il n’y a pas de recette magique. Rapidement, on pense aux quotas, une approche extrêmement polarisante. En réalité, il existe plusieurs solutions alternatives, comme celle de revoir son processus de recrutement. Plusieurs étapes peuvent être réfléchies et repensées.
Premièrement, l’offre d’emploi. Est-ce que toutes les exigences sont nécessaires et obligatoires? « Les femmes vont souvent appliquer seulement si elles ont toutes les qualifications demandées, alors qu’un homme aura tendance à appliquer même s’il n’a pas tous les requis », indique Chloé Freslon. À la lumière de cette information, que pouvons-nous faire? Dans un épisode d’un balado produit par URelles sur le sujet, une intervenante propose une solution simple : inscrire au bas de l’annonce que toute personne se reconnaissant dans 80% de l’expérience décrite est invitée à soumettre sa candidature. « Je vous garantis que vous allez avoir une vague beaucoup plus importante de candidates », affirme-t-elle.
Deuxièmement la diffusion de l’annonce. Choisit-on un site fréquenté par une main d’œuvre homogène? Peut-on diversifier les canaux de communication pour rejoindre une masse plus diversifiée?
Enfin, les entrevues d’embauche. Chloé Freslon propose l’idée d’un panel de sélection, au lieu d’une seule personne qui choisit le candidat. Cette stratégie permet de réduire les biais individuels et d’offrir une pluralité de points de vue.
Changer la culture
Revoir le processus de recrutement, c’est bien beau. Mais que faire si malgré tout, les candidatures demeurent homogènes? Récemment, un élu municipal me confiait que dans le recrutement de son équipe, il avait eu énormément de difficulté à convaincre des femmes de se joindre à lui. Malgré sa bonne volonté, celles-ci ne semblaient pas à l’aise de s’engager dans un milieu en apparence toxique et haineux.
Chloé Freslon est bien consciente de cet enjeu. Pour que les méthodes de recrutement soient efficaces, il faut avant tout poser un regard critique sur la culture de l’organisation. Elle propose l’analogie suivante : « Quand on invite des gens chez soi, on veut que ça soit bien rangé. On veut que la maison soit belle et ordonnée et ensuite, on fait venir la visite. On ne leur demande pas de venir chez nous pour aider à faire le ménage. Donc, si on a des problèmes de culture ou des tensions, ça ne sert à rien de déployer des stratégies de recrutement parce que personne ne voudra venir dans notre organisation. On va perdre du temps et de l’argent. Il faut travailler sa culture en premier. »
Nuance
La diversité en entreprise, ça va bien au-delà des quotas ou de la parité entre les hommes et les femmes. On peut penser aux personnes racisées, à celles en situation d’handicap ou encore aux femmes autochtones. Tout dépend aussi du contexte : on ne peut pas appliquer les mêmes solutions, de la même manière, à chaque entreprise. Il faut s’adapter en fonction du portrait de son industrie, de son nombre d’employés ou même de sa situation géographique.
Bien entendu, il s’agit d’un travail colossal. Changer les mentalités et les cultures, ça prend énormément de temps. Mais la preuve que ça avance, c’est qu’aujourd’hui, on s’en parle, souligne la fondatrice de URelles. Il y a cinq ans, nous n’aurions certainement pas eu cette discussion.
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« Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses »
En 2010, les conseils d’administration en France et au Canada comprenaient 12% de femmes. En 2011, la France a adopté la loi Copé-Zimmermann, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et à l’égalité. Depuis son adoption, la proportion de femmes dans les conseils d’administration a grandement augmenté. En 2017, elle atteignait 40%, alors qu’au Canada, elle était de 15,9%.
« Quand on légifère, on trouve les femmes. Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses. » C’est ce qu’affirme Caroline Codsi, fondatrice de La gouvernance au féminin, un organisme dont la mission est de soutenir les femmes dans leur développement de leadership, leur avancement de carrière et leur accession à des sièges dans des conseils d’administration.
Source : Documentaire 50/50 (disponible sur ICI TOU.TV)