Extrait d’Avatar.

Créer la magie d’Hollywood ici

Par Charlier Mercier

Je me souviens, enfant, de manger mes céréales en regardant Canal Famille. Je me souviens, pré-ado, d’aller voir le troisième Spy Kids au cinéma, avec ses mondes surréalistes générés par ordinateur, encore plus saisissants à travers des lunettes 3D. Je me souviens, ado, d’être fasciné par le monde néo-noir de Sin City puis par la violence épique de 300. Je me souviens d’avoir été à Montréal avec des amis, pour voir le spectaculaire Avatar sur l’immense écran IMAX. Je me souviens de la nostalgie en allant voir, adulte, Jurassic World et les nouveaux Star Wars.

Jamais je n’aurais cru qu’une petite entreprise (devenue grande) tout près de chez moi, juste ici à Piedmont, avait contribué à tous ces souvenirs, et à tellement d’autres. Cette entreprise, c’est Hybride. Elle fête maintenant ses 30 ans. Et elle n’a pas fini de nous impressionner.

Humbles débuts

L’histoire d’Hybride commence avec la fin d’une autre. « Trois des quatre membres fondateurs d’Hybride étaient liés au studio André Perry Vidéo, à Morin-Heights, où j’avais conçu et géré la portion vidéo du groupe. Quand le studio est disparu, on a décidé de continuer sans l’audio, comme on était spécialisés dans les effets visuels », raconte Pierre Raymond.

Il fonde Hybride Technologies, dont il deviendra président, avec l’infographiste Sylvie Talbot et le monteur Daniel Leduc. L’expert en finance Michel Murdock se joint au groupe. En 1991, Piedmont voit naître le premier studio d’effets spéciaux numériques au Québec.

« On était déjà ici, donc on a décidé de rester dans les Laurentides pour ouvrir la nouvelle boîte, terminer les projets de Perry et expérimenter : moi comme infographiste, eux comme développeurs de logiciels », se souvient Sylvie. D’où le nom d’Hybride : la fusion des talents créatifs et techniques.

La distance avec Montréal, où les affaires bouillonnent, n’effraie pas le quatuor, au contraire. « On avait déjà travaillé 12 ans ici. On avait développé beaucoup de liens et une façon de travailler plus internationale que locale. On était habitués à ce rythme-là, donc on était confortables de continuer dans des bureaux à Piedmont », raconte Pierre. En plus des possibilités des nouveaux outils numériques, les agences de publicité montréalaises apprécient la quiétude et la confidentialité que confère un studio loin du centre urbain, note Sylvie.

En quatre ans, Hybride produit plus de 1000 publicités, ainsi que des ouvertures d’émission et des habillages d’antennes, entre autres pour Canal Indigo, TV5… et Canal Famille! « Quand on a fait le deuxième habillage, mes enfants m’ont inspirée avec des petits dessins, qui formaient un paquet de vignettes dans l’arbre », confie Sylvie.

Percée américaine

En 1997, une productrice américaine voit à Los Angeles les effets produits par Hybride pour une coproduction canado-américaine. « Nous l’avons convaincue que les effets numériques n’étaient pas qu’un artifice, et qu’ils pouvaient réellement bonifier une oeuvre », se rappelle Pierre. Impressionnée, elle recommande Hybride à Guillermo del Toro pour les effets de son film Mimic. Le studio piedmontais fait son premier pas dans le marché américain. Ce sera loin d’être son dernier.

Satisfait, del Toro recommande Hybride à son collègue Robert Rodriguez pour son prochain film, The Faculty. C’est le début d’une longue collaboration avec le réalisateur qui comptera treize films, dont la série Spy Kids et l’avant-gardiste Sin City. Le nom d’Hybride commence à circuler à Hollywood. « Ç’a été naturel, je dirais, même si ce n’est jamais facile, raconte Sylvie. C’est du bouche-à-oreille : quelqu’un connaît quelqu’un et ça attire d’autres réalisateurs. Puis on a fait 300. Tu développes ton portfolio comme ça. »

Innover avant l’heure

Mais comment le studio fait-il pour travailler avec des clients américains, à presque 5 000 kilomètres de distance? En 2003, nous sommes dans les débuts d’Internet. Hybride invente HySync, un logiciel qui permet de synchroniser les ordinateurs du studio avec ceux des clients.

« Le streaming était impossible à faire, à l’époque, à cause de la basse vitesse, explique Pierre. La supercherie, c’est qu’on envoyait les plans qui devaient être discutés la journée précédente. Ça pouvait prendre 8-9 minutes pour envoyer un plan de 10 secondes. Donc le client avait sa copie, et le logiciel synchronisait son lecteur avec le nôtre. Ça, ça fonctionne même à très basse vitesse. »

Extrait de The Mandalorian.

Le logiciel permet donc de voir le même plan, en même temps, à distance, et de se promener dedans. Il est même possible de dessiner dessus! « On était les précurseurs du télétravail », blague Sylvie.

D’abord sceptiques, les clients voient rapidement les avantages de cette innovation. « Lorsqu’on a travaillé sur Sky Captain and the World of Tomorrow, je suis allé aux États-Unis pour voir le look particulier qu’ils voulaient. Mais il était hors de question que je reparte avec les plans. J’ai parlé de notre logiciel, et on m’a répondu : “Non, non, j’ai déjà travaillé avec quelque chose de semblable avec Disney, et ça ne marche jamais.” Mais ils avaient besoin de nous sur ce projet, donc ils ont apprivoisé le logiciel. Très rapidement, ils m’ont demandé : “C’est possible de louer des licences? Les autres boîtes à Los Angeles ne livrent jamais à temps à cause du trafic!” », raconte Pierre en riant. Grâce au logiciel, Hybride pourra donc travailler sur des méga-productions américaines, sans jamais songer à déménager de Piedmont. « Quelle bonne idée on a eue! », lance Pierre.

« Entre deux sapins »

Et rester à Piedmont, Hybride y tient. Loin du tumulte de la ville, près de la nature, l’entreprise a grandi « entre deux sapins », comme aime dire Pierre. « C’est l’identité de l’entreprise! La vie est plus facile. Il y a une sérénité qui nourrit la créativité, c’est certain », affirme Michel Murdock.

Voici quelques projets les plus marquants. Combien en avez-vous vu?

2001 » Spy Kids

2003 » La Grande Séduction

2004 » Sky Captain and the World of Tomorrow

2005 » Sin City

2005 » Aurore

2006 » Marie-Antoinette

2007 » 300

2007 » L’âge des ténèbres

2009 » Avatar

2012 » The Hunger Games

2013 » Pacific Rim

2015 » Star Wars: The Force Awakens

2016 » Arrival

2017 » Valerian and The City of a Thousand Planets

2019 » Watchmen

2019 » The Mandalorian

« On faisait les choses à l’envers. Tout le monde voulait aller travailler à Los Angeles. Nous, on voulait rester ici, c’était le rêve et l’objectif. Donc on s’est structurés en conséquence, ç’a porté fruit », se souvient Sylvie. Selon elle, l’endroit est parfait pour attirer, et retenir, des employés de talent.

« Bon nombre d’employés sont avec nous depuis plus de 20 ans. Dans une industrie qui s’arrache les talents, ce n’est pas rien! »

Par exemple, les conjoints Louise Bertrand, productrice VFX, et Philippe Théroux, superviseur 3D, sont avec Hybride depuis maintenant 26 ans. « Je suis arrivée un mois jour pour jour après Philippe. Comme couple, on voulait un endroit plus simple pour élever une famille. Si tu es en retard le matin, c’est parce qu’il y a un chevreuil sur la route! [Rires] On va faire du ski sur l’heure du midi ou tout de suite après le bureau. C’est primordial d’être près de la nature », raconte Louise. Selon elle, c’est une chance exceptionnelle de travailler sur des projets d’envergure internationale tout en vivant dans un petit village où les commerçants te connaissent.

Pour le couple, avoir participé à l’essor de l’entreprise est excitant, encore aujourd’hui. « J’ai grandi dans les Laurentides : je suis un petit gars de Saint-Jovite. Je rêvais de travailler dans l’industrie. Mais j’allais voir Star Wars au cinéma, et je me demandais : comment je vais faire pour travailler dans ce milieu? Ça paraissait tellement lointain. Finalement, pas besoin de s’exiler à Los Angeles ou à Londres. On peut aller chercher des contrats pour les ramener ici », illustre Philippe.

Louise Bertrand, productive VFX, est avec Hybride depuis 26 ans.

Pour Thierry Delattre, le doyen des employés avec 29 ans de service, difficile de nommer le projet le plus marquant sur lequel il a travaillé. « Il y en a tellement! C’est sûr que la première fois qu’on va au cinéma et qu’on voit un film sur lequel on a travaillé, et qu’il a une certaine notoriété, ça fait quelque chose. Spy Kids, déjà, c’était impressionnant. Tu te dis : c’est nous autres! C’est toujours une fierté », déclare celui qui est vice-président production.

Après toutes ces années, même les projets les plus ambitieux, de Watchmen à The Mandalorian, n’intimident plus Thierry. « On a monté les marches une par une. On a pris notre expérience projet par projet. Chez Hybride, on n’a jamais pris un projet qu’on risquait de ne pas livrer », affirme-t-il.

Thierry Delattre, vice-président production, est avec Hybride depuis 29 ans.

L’avenir

Le studio fête maintenant son 30e anniversaire. Pour l’occasion, Pierre Raymond, président depuis le tout début, passe le flambeau à son partenaire Michel Murdock. « Je suis resté quand même comme conseiller stratégique. Une des raisons, c’est pour avoir plus d’objectivité. Quand tu fais du cinéma, tu es happé par un vortex, c’est tellement demandant. Tu n’as plus de place pour prendre du recul. Maintenant, je n’ai plus à me souvenir du numéro de tel plan. Ça me libère du temps pour réfléchir à l’état de l’industrie et comment nous peaufiner », explique Pierre.

Michel admet que la transition provoque des changements au sein de l’entreprise, mais Hybride est à son meilleur dans sa perpétuelle transformation. « L’entreprise, je la veux meilleure quand je vais partir. Le but premier de la transition, c’est ça : former un environnement propice pour que les gens prennent de nouvelles responsabilités. »

Philippe Théroux, superviseur 3D, est avec Hybride depuis 26 ans.

Et l’avenir est prometteur. Un nouveau studio à Montréal permet d’attirer encore plus de talents, tout en soutenant celui de Piedmont. Un partenariat avec Ubisoft, le géant montréalais des jeux vidéos, ouvre bien des possibilités. « Ce sont deux gros mondes parallèles, le cinéma et les jeux vidéos, mais dont les axes sont sur le point de se croiser. Les mondes de The Mandalorian, par exemple, sont générés par un engin de jeu », illustre Michel.

« Sans prétention, on a quand même pavé la voie aux effets spéciaux à Montréal. Entre deux sapins. Ça, je suis pas mal fier de ça », conclut Pierre Raymond.

De gauche à droite, les cofondateurs d’Hybride Pierre Raymond, conseiller stratégique, Sylvie Talbot, directrice des
communications, et Michel Murdock, président.

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