Zigzags amphigouriques
Par Journal-le-nord
Ça devait être samedi après-midi. Le genre de fin de journée sans plan, à la Belle Époque où le fruit de nos labeurs servait principalement à payer du gaz, des chips ou des pièces de vélos, et que maman faisait notre lavage. Le frangin se pointe à la fenêtre (celle du passager, le côté conducteur étant figé dans la rouille de façon permanente) de ma rutilante Poney ‘86.
Je lui demande: « … Et alors? Qu’est-ce qu’on fait en fin de semaine?
Bah, je sais pas trop, ça parle des Whites Mountains dans le supplément du journal, on va grimper le Mont Washington à vélo ?! »
Le temps de lancer des sacs de couchage et les vélos dans le coffre et nous étions en direction pour le New Hampshire, 500 kilomètres plus loin. Quelques berlingots de lait au chocolat et une traverse de douane plus tard, nous stationnons sur le bord de route dans l’une des entrées du parc national. Ayant omis d’apporter une tente, nous dormons sur des tables à piquenique, tels des sans abri riches de milliers d’étoiles.
Au petit matin, nous enfourchons prestement les bicyclettes pour commencer la montée. Ça n’aura pris que quelques minutes avant que nous ne nous fassions avertir pour la première fois. Un chauffeur de navette touristique nous fait de grands signes indiquant que nous n’avons pas d’affaires là. Lire un article en diagonal ne garantit pas d’en capter tous les détails: la montée du Mont Washington est un événement annuel et en aucun autre temps les vélos y sont autorisés.
Au départ, nous n’étions sincèrement pas au courant de l’interdiction, et nous nous sommes entêtés. Un peu après, un deuxième conducteur nous enguirlande, nous feignons de ne pas com-prendre l’anglais et poursuivons de plus belle. La situation n’allait sûrement pas s’améliorer, et nous savions déjà que nous devrions penser à un plan B. Après le passage du troisième bus, on doit se rendre à l’évidence que poursuivre plus loin n’est pas la meilleure des options. Des fois, c’est bon d’écouter les avertissements et d’agir conséquemment, ça aurait pu nous sauver du temps… mais ç’aurait été une moins bonne anecdote.
Évidemment nous ne pouvions nous résoudre à plier bagage sans faire un ultime essai pour atteindre le sommet. Nous repartons d’un pas leste et rapide, dépassant des dizaines de marcheurs. Certains sont même chargés de sacs si lourds, que nous commençons à douter de notre équipement minimaliste, constitué essentiellement d’une barre tendre, d’un peu d’eau et d’un coupe-vent mince. Nous ne sommes clairement pas à armes égales pour affronter l’ascension, allez donc savoir qui aura fait le bon choix avant le retour au départ.
Arrivés à mi-montagne, les nuages et le vent se firent de plus en plus menaçants. Le plus jeune sortit l’argument massue du « t’es peureux », que les bourrasques et le bruit de la nature – qui commençaient à se démener solidement – transformèrent à mon oreille en un « t’es pas heureux ». La quête du bonheur étant quelque chose de complexe, ce malentendu relatif à mon niveau de satisfaction envers la vie me mit en colère. Ce fut suffisant pour me faire avancer un bon bout de temps.
Jusqu’au moment où, lors d’un passage techniquement plus difficile, dans la brume épaisse omniprésente, je crus percevoir un pare-chocs de voiture! Quelle déception de réaliser que c’en était réellement un. Parfois une ascension grandiose mène à un plateau plutôt banal. C’était un peu le cas avec le stationnement du sommet du Mont Washington, où après avoir gravit un sentier en côtoyant des randonneurs chargés comme des mulets, on va rejoindre des touristes en souliers mous à la boutique de souvenirs.
Lancés innocemment à l’attaque de ce géant du Nord-Est, nous en aurions assurément pour quelques jours de courbatures.
C’est le prix à payer pour vivre « l’Aventure ».
Un peu comme un virus qui se développe de manière amphigourique, ça part en embrouille, et de cascade en cascade, on passe par toutes les gammes d’émotions. D’accomplissements en échecs, de jambettes aux petites victoires, on part vers l’inconnu sans savoir comment on va finir.
C’était toute une aventure 2020, on est endoloris de partout, mais c’est pas le temps de laisser tomber parce qu’il n’y a pas de neige avant Noël. Faire des zigzags c’est parfois compliqué, mais habituellement ça fait vivre de belles choses. Aller, encore quelques jours avant le prochain Bye Bye, je termine en vous souhaitant à tous le courage d’assumer et de vivre en harmonie avec vos convictions amis lecteurs!