Vivre et s’épanouir avec le trouble bipolaire
Par Ève Ménard
Loriane Denis, 20 ans, étudie au baccalauréat en travail social à l’UQO. Entre ses cours et son emploi comme intervenante au Dispensaire, elle consacre du temps, depuis presque un an, à la réalisation d’un projet personnel qui lui tient particulièrement à cœur : un court métrage documentaire d’environ 45 minutes pour déstigmatiser les troubles bipolaires.
Loriane vit elle-même avec un trouble bipolaire de type 2, diagnostiqué alors qu’elle avait 16 ans. Autour d’elle, elle entend régulièrement des gens faire allusion à la bipolarité dans des contextes qui n’ont pourtant aucun lien avec la maladie. « Récemment, je suis allée à un magasin et la machine pour payer ne fonctionnait pas. On m’a dit »excuse-moi la machine est bipolaire ». » C’est courant d’entendre des gens utiliser des diagnostics pour décrire des comportements ou même comme insulte.
Loriane constate que le trouble bipolaire est mal compris. C’est ce qui l’a d’ailleurs conduite à débuter son projet. « Juste les préjugés en général, ça me frustre. Un moment donné je me suis dit, je suis tout le temps fâchée d’entendre les gens faire ça, alors comment je peux utiliser cette frustration pour faire une différence ? », raconte l’étudiante qui habite Prévost. Pendant plus d’une heure, Loriane s’est assise avec le Journal pour partager sa propre histoire et expliquer ce qu’est, véritablement, le trouble bipolaire.
Le trouble bipolaire, c’est quoi ?
Selon le guide du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), le trouble bipolaire consiste en l’alternance de trois états : un état d’euphorie, appelé manie; un état d’accablement, appelé dépression; et un état sans symptômes, appelé euthymie. Le trouble bipolaire de type 1 est caractérisé par une succession d’épisodes de manie et de dépression, ponctuée de périodes sans symptômes. Le trouble bipolaire de type 2, avec lequel vit Loriane, est caractérisé par des périodes d’hypomanie et de dépression, également entrecoupées de périodes sans symptômes. Ce qui différencie l’hypomanie de la manie, c’est surtout l’intensité des symptômes. L’hypomanie est une forme atténuée de la manie, et donc moins sévère.
L’usage du terme « bipolaire » pour décrire le comportement d’une machine Interac ou pour parler d’une personne qui se fâche rapidement nourrit un préjugé persistant au sujet de la bipolarité : on a souvent l’impression que c’est de changer d’humeur ou d’avis d’une seconde à l’autre, remarque Loriane. Pourtant, ce n’est pas du tout la réalité. Les différents épisodes qui caractérisent la bipolarité durent des semaines et même des mois.
Également, ces épisodes ne sont pas déclenchés en réaction à un évènement en particulier. « Ce n’est pas comme une humeur régulière où tu deviens triste quand tu reçois une mauvaise nouvelle », explique Loriane. Les déclencheurs sont davantage rattachés à l’hygiène de vie : la prise de certains médicaments, la consommation de drogues ou d’alcool et le manque de sommeil, par exemple, pourraient stimuler ou accentuer un épisode dépressif ou d’hypomanie.
« Les symptômes étaient tellement souffrants et intenses qu’à 13 ans, je ne pensais pas que j’allais me rendre à 18 ans » – Loriane Denis
Le diagnostic
Chez Loriane, les premiers symptômes sont apparus à 13 ans. « J’avais un gros changement de comportement. J’étais super irritable, je parlais beaucoup beaucoup, je ne dormais plus. J’étais très euphorique aussi. Il m’arrivait même d’être méchante verbalement avec les autres, ce qui n’est vraiment pas mon genre », décrit l’étudiante à l’UQO. Elle était à l’époque dans un épisode d’hypomanie. Puis, toujours à 13 ans, une tentative de suicide mène Loriane a une première hospitalisation d’une durée d’un mois. On lui prescrit alors une médication pour stabiliser l’humeur et on lui donne un suivi avec une pédopsychiatre.
À 14 ans, Loriane vit un autre épisode dépressif particulièrement intense, qui mène à une seconde tentative de suicide et à une seconde hospitalisation. C’est finalement à l’âge de 16 ans, après un épisode d’hypomanie sévère, que le diagnostic est confirmé. Loriane précise que pour diagnostiquer un trouble bipolaire, il faut pouvoir observer plusieurs épisodes de différentes intensités, d’où le délai pour en arriver là.
« Il y avait une raison à mon mal-être »
Avant le diagnostic, Loriane est difficilement fonctionnelle. D’abord, elle manque plusieurs semaines de cours en raison des hospitalisations. Et dans les épisodes dépressifs, les idées suicidaires rendent le quotidien pénible. Les épisodes d’hypomanie, pour leur part, sont souvent marqués par une grande hyperactivité, un manque de concentration et une difficulté à suivre les conversations. « J’avais l’impression que les autres autour de moi étaient au ralenti. J’étais pleine d’énergie, je n’avais pas besoin de dormir. Parfois, j’oubliais de manger tellement j’étais active. Normalement, je suis quand même réservée, mais là, je parlais à tout le monde. C’était très différent des épisodes dépressifs, où je m’isolais beaucoup », indique Loriane. Le passage entre ces deux états est d’ailleurs très difficile à vivre, ajoute-t-elle.
À l’adolescence, Loriane ne peut même pas se projeter dans l’avenir. « Les symptômes étaient tellement souffrants et intenses qu’à 13 ans, je ne pensais pas que j’allais me rendre à 18 ans », raconte-t-elle. Le diagnostic, Loriane l’a donc accueilli comme un soulagement. D’un coup, tout faisait du sens. « Il y avait une raison à mon mal-être et je savais qu’il y avait une manière de le traiter ». Depuis qu’elle a 16 ans, la résidente de Prévost est médicamentée. Elle a aussi un suivi psychosocial. « J’ai récupéré une qualité de vie qui n’est pas négligeable », dit-elle.
« Quand tu dis « j’ai un trouble bipolaire », ça crée des réactions »
Depuis son diagnostic, Loriane a beaucoup cheminé. Elle parle de plus en plus librement de son trouble bipolaire. « J’ai été plus ouverte à en parler quand j’ai commencé la technique en travail social. J’ai alors réalisé que mon vécu pouvait en aider d’autres », explique l’étudiante.
Malgré tout, des questionnements occupent continuellement son esprit, sur la manière de l’aborder et sur les contextes où le faire. « Quand tu dis « j’ai un trouble bipolaire », ça crée des réactions, donc je choisis à qui en parler et quand j’en parle », confie Loriane. Celle-ci préfère d’ailleurs le glisser dans une conversation, plutôt que d’en faire une grosse annonce. Ça doit être normalisé, dit-elle. « Quand j’en parle, je reçois toutes sortes de commentaires. Des gens m’ont dit »mon Dieu, ça ne parait pas », mais à quoi s’est sensé ressemblé ? Les gens ne comprennent pas vraiment ce que c’est, je pense. »
Des commentaires ont souvent choqué Loriane, ou l’ont même blessée. En 4e secondaire, elle change d’établissement scolaire. À sa nouvelle école, les rumeurs courent déjà à son sujet. « Des gens m’ont dit de ne pas te parler, parce que tu étais folle », lui racontent certains de ses nouveaux camarades de classe. Pendant son parcours scolaire, des enseignants ou d’autres élèves ont souvent dit que Loriane cherchait l’attention, pour expliquer son comportement. C’est pour déconstruire les préjugés et prévenir ce genre de commentaires que l’étudiante souhaite mieux sensibiliser le public.
Le projet « Entre Deux Pôles »
Le court métrage sur lequel travaille Loriane regroupera une dizaine d’intervenants, dont un psychiatre, une travailleuse sociale, des personnes vivant avec le trouble bipolaire et des proches aidants. Les tournages débuteront dès le 15 octobre. Loriane travaille sur ce projet en collaboration avec le Carrefour Jeunesse-emploi Rivière-du-Nord et Chroma Photo Vidéo.
Il y a plusieurs objectifs : partager des informations fiables sur la bipolarité; répondre à des préjugés fréquemment entendus à propos de la bipolarité; montrer que c’est possible de vivre une vie épanouissante, même avec un trouble bipolaire. Le produit final sera diffusé sur YouTube et sur la page Facebook du projet, « Projet Entre Deux Pôles – Bipolaire ».
Saviez-vous que?
À l’échelle mondiale, un ou deux adultes sur cent souffrent de trouble bipolaire, la maladie touchant également les femmes et les hommes. Pour obtenir plus d’informations sur le trouble bipolaire, Loriane Denis recommande le guide créé par le personnel de la clinique du trouble bipolaire du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH).