(Photo : Courtoisie)
Nicolas Courcy est coordonnataire des services LGBTQIA2S+/ITSS au Dispensaire, anciennement le Centre Sida Amitié, situé à Saint-Jérôme.

Un projet de loi jugé transphobe: «J’ai vraiment peur»

Par Ève Ménard

Le 21 octobre dernier, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, déposait l’imposant projet de loi 2, portant sur la réforme du droit de la famille. Dans l’article 23, le gouvernement souhaite à nouveau faire dépendre le changement de sexe à l’état civil d’une opération génitale. Cette modification a déclenché une levée de boucliers chez la communauté LGBTQ+ et plus précisément chez les personnes trans.

Québec prévoit que toute demande de changement de la mention de sexe sur les documents de l’état civil devra être accompagnée « d’un certificat du médecin traitant confirmant que les traitements médicaux et les interventions chirurgicales subis permettent de conclure à une modification structurale des organes sexuels ayant changé ses caractères sexuels apparents de façon permanente. »

Rien d’acquis

En 2015, cette exigence avait pourtant été abolie, facilitant ainsi le processus. Nicolas Courcy, coordonnataire des services LGBTQIA2S+/ITSS au Dispensaire à Saint-Jérôme, décrit l’article 23 comme étant « un recul historique. » Depuis son annonce, l’intervenant reçoit plusieurs courriels et messages Facebook qui traduisent énormément d’inquiétude et d’incompréhension. « J’ai beaucoup de jeunes et de moins jeunes qui m’écrivent parce qu’ils ont vraiment peur. »

Au cours du mois de novembre, Sabrina Morin lancera LGBT411. Il s’agit d’un répertoire en ligne dont la mission est d’aider les membres de la communauté LGBT+ à offrir des services ou à trouver des ressources, tel que des organismes d’aide au logement, à l’emploi et plusieurs autres. « J’ai souvent été une ressource pour des ami.es qui ont fait une transition de genre, pour trouver des organismes ou des professionnels de la santé. Maintenant, j’ai décidé de passer à un autre niveau et d’aider d’une manière plus globale », affirme Sabrina.

Même son de cloche chez Sabrina Morin, une femme trans native de Saint-Jérôme : « Nous pensions être en sécurité au Québec et présentement, on fait un retour en arrière. Je pensais que c’était un droit acquis, mais je réalise qu’on ne sera jamais à l’abri de la transphobie », déplore-t-elle.

Pour se défendre, le gouvernement du Québec affirme vouloir distinguer le sexe et le genre, en réaction à un jugement de la Cour supérieure qui invalidait des articles jugés discriminatoires envers les personnes trans et non binaires. Le projet de loi permet donc aux personnes qui le souhaitent de faire inscrire sur leur certificat de naissance un marqueur d’identité de genre – féminin, masculin ou non-binaire. « Je pense que le gouvernement a mal interprété le besoin », estime Nicolas Courcy, puisqu’une telle réalité entraîne un coming out forcé. En effet, seules les personnes trans ou non-binaires amorceraient selon lui cette démarche administrative.

Opérations coûteuses et complexes

De son côté, Sabrina Morin craint qu’une telle loi pousse des personnes à subir une chirurgie génitale, même si elles ne le souhaitaient pas initialement. D’ailleurs, selon une étude menée aux États-Unis en 2011 (National Transgender Discrimination Survey), seulement le tiers des personnes trans, en moyenne, entreprennent des opérations d’affirmation de genre sur les organes génitaux. Cela peut s’expliquer par différentes raisons, qu’elles soient financières, médicales ou autres.

Il s’agit aussi d’opérations complexes, autant dans leur réalisation que leur obtention. « On demande des lettres de recommandation par des professionnels en santé mentale. Des sexologues, des psychologues ou des travailleurs sociaux qui ont une maîtrise et s’y connaissent en santé trans. Dans les Laurentides, j’en connais peu qui le font », reconnaît Nicolas Courcy.

Faire disparaître la mention de sexe?

La semaine dernière, le ministre de la Justice a dit avoir entendu les critiques et être ouvert à modifier son projet de loi. « Je pense qu’il ne s’attendait pas à une si vive réaction. Tous les groupes se sont braqués. J’ai espoir qu’on va trouver un terrain d’entente », affirme le coordonnataire des services LGBTQIA2S+. Dans le meilleur des mondes, l’idéal selon lui serait de faire disparaître, tout simplement, la mention de sexe sur les documents de l’état civil. « Le marqueur de genre ou la mention de sexe, à quoi ils servent au final? C’est quoi leur plus-value dans notre société? Les gens pourraient s’autodéfinir et avoir des chirurgies s’ils le souhaitent, sans ressentir de pression pour en subir une. »

Sabrina Morin, une femme trans native de Saint-Jérôme, juge que l’article 23 du projet de loi 2 est transphobe.

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