Un Everest de l’intérieur
Par Frédérique David
La première fois que j’ai parlé à Sylvain Miron, c’était dans des circonstances très difficiles. Le genre de circonstance qu’aucun parent ne souhaite vivre, jamais. J’avais publié une chronique dans les pages de ce journal. Je voulais trouver les mots pour apaiser, mais surtout ceux pour aider ses amis à comprendre. Elle n’avait que 12 ans. Le suicide laisse toujours des questions derrière. Chacun trouve des réponses, SES réponses, sur son chemin de vie. L’incompréhension fait ainsi place à l’acceptation.
Avec son sourire radieux et son regard vif, Andréane est restée dans les mémoires. Celles de ses amis qui sont nombreux à allumer une chandelle le 5 décembre de chaque année. Elle aurait eu 28 ans en 2023. Ses parents et son frère ont vu leur vie basculer il y a 15 ans. Pour eux il y a un « avant » et un « après ». Et si j’écris cette chronique, 15 ans plus tard, c’est parce que cet « après » mérite une attention particulière, tant il est un exemple de résilience et d’adaptation.
Un engagement exemplaire
Même si rien n’est plus comme avant depuis septembre 2008, les parents d’Andréane ont transformé leur peine, leur douleur en un combat. Très vite, Sylvain a souhaité dire haut et fort que « le suicide n’est pas une option ». Il a pédalé, marché, nagé pour la cause et pour rappeler l’importance de prendre soin de la santé mentale. Isabel et leur fils n’étaient jamais loin derrière lui ou à ses côtés.
Sylvain pensait avoir dépassé ses limites en 2011, en réalisant le « Défi de l’Espoir », la traversée du Canada en vélo, de Vancouver à Saint-Sauveur, au profit du Centre prévention suicide le Faubourg des Laurentides. Le Défi de l’Espoir, c’est aussi une compétition de ski au profit de Tel-Jeune organisée chaque année au Mont Olympia où skiait Andréane. Et depuis plus de dix ans, Sylvain Miron n’a cessé d’organiser et de participer à des événements sportifs au profit de la cause qui l’habite.
Jusqu’aux plus hauts sommets
Comme dépassement ultime, Sylvain a récemment participé à l’expédition « Un Everest de l’intérieur » avec 11 autres participants du Québec et deux précieux guides. Tous partaient avec un poids lié au suicide de proches dans leur sac qui leur donnerait le courage de marcher jusqu’au camp de base de l’Everest afin de remettre plus de 30 000$ à l’Association québécoise de prévention du suicide. « Ce n’était pas mon activité préférée de faire des randonnées, confie Sylvain. Je ne savais pas du tout dans quoi j’embarquais! ». Le 12 avril dernier, l’équipe venait de réaliser 175 km de marche en 17 jours qui l’aura menée à plus de 5000 mètres d’altitude. Pour Sylvain, ce fut une leçon d’adaptation. Il fallait s’adapter aux longues heures de marche, s’adapter à l’altitude qui les privait d’oxygène et l’empêchait de dormir la nuit jusqu’à provoquer des crises d’angoisse, s’adapter aux conditions sanitaires précaires, s’adapter au froid de la nuit. Il n’y avait pas de recul possible. « On s’entraidait », confie-t-il. Et au-delà de l’épreuve physique, c’est l’expérience psychologique qui a marqué Sylvain pour toujours. « Il s’est développé des liens très forts entre nous, dit-il. On s’est fait des confidences, on a ri, on a pleuré ensemble. » Des moines bouddhistes ont même offert des cérémonies au groupe. « On était entourés de foulards blancs et on se tenait la main. C’était notre Compostelle multiplié par dix! » Sur le chemin, à l’entrée des maisons sans porte ni frigo, se tenait toujours un enfant joignant ses mains pour leur adresser un « Namaste ». « Ils réussissent à vivre avec les récoltes de leur petit jardin et à avoir toujours le sourire, a constaté Sylvain. Ils ne nous demandaient jamais rien. » Face aux immenses sommets enneigés, il a réalisé plus que jamais combien nous sommes minuscules. « Des fourmis parmi les montagnes », dit-il. Le premier matin où le groupe s’est levé après avoir dormi à 3000 mètres d’altitude, « le ciel s’est dégagé et on a vu les montagnes avec les sommets enneigés. Il y a eu énormément d’émotion. On rêvait de ce voyage depuis longtemps. Pour moi, c’était l’accomplissement de ma vie. » L’Everest viendra s’ajouter aux témoignages de ses conférences comme l’expérience ultime, celle qui l’a réellement sorti de sa zone de confort et qui est venue « boucler la boucle ».
Certains jours, Sylvain a connecté avec sa fille. « J’ai appris à vivre sans Andréane, mais elle fait partie de ma vie tous les jours. J’ai transformé ma vie et je me suis transformé. Je vis avec sa mémoire. Elle est mon inspiration. » Indéniablement, d’où qu’elle soit, elle doit être très fière de son papa.