Les archives du Nord : La mort de L’Avenir

Par Simon Cordeau

Dans cette chronique, j’explore l’histoire des Laurentides, telle que rapportée par les journaux de l’époque. Cette semaine, la dernière édition du journal L’Avenir du Nord, parue le 22 mai 1969.

Il y a des nouvelles qu’on sait, immédiatement, qu’elles feront la une du journal. Impossible de ne pas mettre de l’avant la démission surprise d’une mairesse, ou la tragédie qui a ébranlé notre communauté, quand c’est le sujet sur toutes les lèvres.

Alors, quels étaient ces nouvelles incontournables d’autrefois? De quoi discutaient et débattaient nos concitoyens? Dans la dernière édition de l’Avenir du Nord, en 1969, c’est… une crise politique à la paroisse!

Scandale à la paroisse!

En première page, le chanoine Rolland Guindon, qui est chancelier du diocèse de Saint-Jérôme, défend le chanoine de la paroisse St-Pierre, Maurice Théorêt. « Il a fait honnêtement son devoir », peut-on lire en grosses lettres. La raison du scandale? Cinq marguilliers ont démissionné en bloc la semaine dernière!

Bon, juste avec ce dernier paragraphe, je sens que j’ai perdu quelques lecteurs. Il faut dire que les chanoines et les marguilliers font moins souvent les manchettes de nos jours! Moi-même, j’ai dû faire quelques recherches pour comprendre qui faisait quoi.

Au cœur du litige se trouve… la ménagère du presbytère! Les marguilliers ont voulu la congédié, mais le curé a refusé. Les marguilliers se plaignent que leurs décisions ne sont jamais écoutées. Et le chancelier leur répond que, justement, leurs décisions n’ont pas de poids légal, ni dans le droit civil, ni dans le droit canonique.

La lettre du chanoine Guindon se termine par un éloge au pauvre curé. « La vie du prêtre est ainsi faite : l’isolement, l’épreuve, la souffrance silencieuse mais combien méritoire, l’incompréhension parfois, la critique souvent, l’insulte, le déchirement. Et il faut, malgré tout, naviguer à travers tout cela dans la sérénité et la joie du devoir accompli. »

Il faut croire qu’être curé hier était aussi ingrat qu’être politicien aujourd’hui!

Réflexions sur l’avenir

Aussi, les paroissiens de Saint-Jérôme sont en concile! Réunis en tables rondes, les chrétiens discutent de l’avenir de l’Église, de la religion et de leur société.

« Ainsi, chez les adultes, il a été possible de discerner des sentiments de craintes, d’angoisse même chez quelques-uns, et d’insécurité chez plusieurs en face du monde actuel et du monde de demain. Chez les jeunes, au contraire, une grande confiance dans l’avenir », est-il résumé. On se questionne aussi sur « […] les implications économiques et sociologiques de l’aéroport dans la région, et la nécessité d’un plan d’assurance-santé pour les Québécois. » J’ai des bonnes nouvelles pour l’assurance-santé… mais des mauvaises pour l’aéroport.

On s’inquiète également de « […] la pénurie de plus en plus grandissante de prêtres [et] de la diminution de la pratique religieuse […] » Je ne sais pas s’ils ont trouvé des solutions…?

Lexique ecclésiastique

Un diocèse est un territoire sous la juridiction d’un évêque. Le diocèse est divisé en paroisses, chacune dirigée par un curé.

Le chancelier du diocèse est expert en droit canonique (qui forme les lois de l’Église) et conseille l’évêque en la matière.

« Chanoine » est un titre donné à différents dignitaires ecclésiastiques qui remplissent différentes fonctions au sein de l’Église.

Les marguilliers forment le conseil de la fabrique. La fabrique gère les biens et les revenus d’une église.

Un temps révolu

En fait, tout le contenu de ce journal semble appartenir à une époque révolue. En première page, on invite la population à assister à une parade militaire de la compagnie  « C » du 4e bataillon du Royal 22e Régiment. L’horaire est détaillé, et il y aura même une messe militaire! « Tous les citoyens de St-Jérôme qui seraient intéressés d’assister à une messe militaire auront l’occasion d’avoir leur désir comblé », est-il écrit avec enthousiasme.

En page 6, on peut lire la chronique « Madame S’exprime… » On y trouve, entre autres, un résumé des célébrations de la fête des mères, au sous-sol de l’église Sainte-Marcelle. « Mme Marcel Sauvé, mère de l’année 68, a remis son titre à la mère de l’année 69, Mme Marc Chaloux, ainsi qu’un bouquet de corsage […] et un joli bijou […]. » Je trouve fascinant qu’alors même qu’on célèbre ces femmes, c’est le nom de leur mari qu’on imprime dans le journal.

Rien n’est éternel

Personnellement, c’est cet entête vibrant du journal qui m’intrigue le plus. On peut aimer ou non, mais on sent qu’elle se veut fraîche, avant-gardiste et inspirée par le psychédélisme déjanté des années 1960.

Et pourtant, les sujets couverts sont empreints d’un conservatisme aujourd’hui disparu.

Dans une annonce, on vous invite à renouveler votre abonnement au journal. On y vante même qu’il s’agit du « plus vieil hebdomadaire de la région ». Pourtant, rien n’indique qu’il s’agit en fait de la dernière édition de L’Avenir du Nord.

Fondé en 1897, il devait concurrencer le journal Le Nord. Et même s’il survit à son concurrent, qui s’arrête en 1901, L’Avenir du Nord non plus n’était pas éternel.

Repères historiques

1945 : La Deuxième Guerre mondiale se termine. Elle aura causé environ 75 millions de morts, militaires et civiles.

1959 : Maurice Duplessis meurt, après 15 ans au poste de premier ministre du Québec.

1960 : Jean Lesage est élu premier ministre, amorçant la Révolution tranquille.

1964 : L’obligation d’obéissance des femmes à leur mari est abolie. Elles peuvent désormais signer des contrats et ouvrir un compte de banque, entre autres droits.

1967 : Pierre Elliott Trudeau, ministre fédéral de la Justice sous Lester B. Pearson, dépose un projet de loi pour légaliser l’avortement, le divorce et l’homosexualité. La loi est adoptée le 14 mai 1969.

1970 : Des membres du Front de libération du Québec (FLQ) enlèvent James Richard Cross et Pierre Laporte, déclenchant la crise d’Octobre.

1980 : Le « Non » l’emporte lors d’un référendum sur l’indépendance du Québec.

Le site web de BAnQ contient une abondance de documents patrimoniaux, des journaux d’alors aux chroniques d’Arthur Buies, grand ami du curé Labelle. Pour explorer, rendez-vous au numerique.banq.qc.ca

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