(Photo : Martine Doyon)
Pierre Duchesne.

Le printemps érable de Pierre Duchesne

Par Simon Cordeau

Lorsque la grève étudiante commence, en février 2012, Pierre Duchesne est correspondant parlementaire à Québec, pour Radio-Canada. Il est alors journaliste depuis 25 ans. Un an plus tard, en février 2013, c’est lui qui a le mandat délicat de dénouer la crise, au Sommet sur l’enseignement supérieur. Retour sur les évènements du printemps érable, tels que Pierre Duchesne les a vécus.

En mars 2011, le gouvernement libéral de Jean Charest annonce une hausse des frais de scolarité de 1 625 $ sur 5 ans. « Déjà, [il] avait commencé à éroder la notion de gel des droits de scolarité, depuis quelques années », souligne M. Duchesne. De 1994 à 2007, les frais de scolarité demeurent inchangés. Puis en 2007, une augmentation de 500 $ sur 5 ans est appliquée. « Mais cette annonce-là est considérable. On vient briser une espèce d’entente socio-historique, qui date de la Révolution tranquille. À défaut d’offrir la gratuité, on permettait un accès à l’éducation où les coûts sont bas », explique M. Duchesne.

Mais au printemps 2011, l’annonce fait peu de vagues. Comme journaliste, M. Duchesne discute avec les associations étudiantes et est surpris par leur passivité. « On se disait, peut-être que le pari du gouvernement libéral est bon. Il mise sur l’apathie généralisée. Ça, je me souviens de ce climat-là. »

La contestation étudiante

C’est seulement l’année suivante que la grève étudiante commence. À travers février 2012, les votes de grève s’accumulent. Le mouvement prend rapidement de l’ampleur. Le 22 mars, 100 000 personnes manifestent à Montréal, alors qu’environ 300 000 étudiants sont en grève. « C’était l’une des premières manifestations. Je me souviens, il faisait très beau, et c’était le début du printemps », raconte M. Duchesne.

Le gouvernement, quant à lui, refuse tout dialogue. « Dès le départ, il y a une détermination très ferme du côté du gouvernement », constate M. Duchesne. Le 20 avril, Jean Charest annonce son Plan Nord devant les milieux d’affaires, au Palais des Congrès. « Il se permet une blague, qu’il va offrir des jobs dans le Nord aux étudiants. Il s’est mis à rire, alors ç’a été interprété comme une provocation. »

Alors que les semaines avancent, la police commence à avoir « la main lourde ». Le 26 avril, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, fait une déclaration qui frappe M. Duchesne. « Il disait que Gabriel Nadeau-Dubois [porte-parole de la CLASSE] incitait à la violence. Nous les journalistes, ça nous a surpris. Il est responsable de la police, et tout à coup, il sort de son devoir de réserve. Ce n’est pas un hasard si, le lendemain, la SQ a visité Gabriel Nadeau-Dubois. »

Le mouvement social

Le 18 mai, la loi 78 est adoptée. « Face à la mobilisation étudiante qui ne s’essoufflait pas, le gouvernement adopte cette loi spéciale. Je couvrais ça. On l’adopte sous bâillon, en pleine nuit », relate M. Duchesne.

Au lieu de favoriser le dialogue, le gouvernement Charest limite le droit de manifester des étudiants, et s’attaque même au droit d’association, raconte l’ancien journaliste. « Ce qui m’avait beaucoup frappé, c’est que la loi interdisait les manifestations à moins de 100 m des campus étudiants. Je ne pouvais pas m’empêcher d’y voir un lien historique avec les manifestations sur les campus américains, contre la guerre du Vietnam, ou même la place Tian’anmen, en Chine. Les universités sont souvent les lieux premiers de manifestation. »

Puis la grève étudiante prend une nouvelle forme. Tous les soirs, les manifestants frappent sur des casseroles. Des parents et des adultes sont de plus en plus nombreux à se joindre aux manifestants. « On a commencé à parler d’un mouvement social. Il y a des adultes qui ont vu la loi spéciale et qui se sont dit : oh là, un instant! On limite nos droits fondamentaux. »

Les policiers commencent à faire des arrestations de plus en plus massives lors des manifestations. Le soir du 23 mai à Montréal, c’est le 101e jour de grève et la 30e manifestation nocturne de suite. Peu après minuit, 518 personnes sont arrêtées. « La situation s’envenimait. Le gouvernement semblait faillir à sa responsabilité : maintenir la paix sociale. C’est sa fonction première. »

Le saut en politique

À l’été 2012, Pierre Duchesne est journaliste depuis 25 ans. « J’avais fait le tour du jardin. Lorsqu’on est journaliste politique, il y a un danger d’être contaminé par le cynisme. »

Lorsqu’il quitte son poste, à la mi-juin, il reçoit un appel de Pauline Marois. On lui propose d’être candidat dans le comté de Borduas, alors un château-fort péquiste. « Je n’avais pas encore 50 ans. Depuis l’âge de 12-13 ans que je suis un nationaliste. Je pensais qu’il était temps de poser un geste avant d’être trop vieux. »

Surtout, c’est le climat politique et social qui convainc Pierre Duchesne de faire le saut. « Jean Charest avait antagonisé deux générations. C’était problématique, parce que le Québec est l’une des sociétés les plus vieillissante au monde. Si on brise le lien, l’harmonie entre les jeunes et les plus vieux, on crée de la tension sociale. On était en train de briser la solidarité sociale. […] Je n’ai pas hésité longtemps. J’étais conscient que ce serait difficile, mais j’y suis allé par conviction. »

Le mandat

Le 4 septembre, M. Duchesne est élu député de Borduas et le Parti québécois de Pauline Marois forme un gouvernement minoritaire. Surprise : Mme Marois lui offre de devenir ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie.

Du propre aveu de M. Duchesne, le mandat qu’on lui confie est « énorme ». Il doit dénouer la crise sociale. Mais pour cela, il doit d’abord rassembler les gens autour d’une même table, explique-t-il.

Et la tâche s’annonce ardue. Le mouvement étudiant s’est radicalisé. Certains recteurs refusent d’être dans le même local que les leaders étudiants, précise M. Duchesne. « On a convenu qu’il fallait désamorcer les choses et recommencer à dialoguer et à échanger. Mais ça prend du temps. »

De septembre à janvier, quatre présommets sont tenus pour changer le climat, amener les acteurs du conflit autour de la table et trouver des points de rapprochement. « On redonnait la place à la parole. » Puis les 25 et 26 février 2013 se tient le Sommet sur l’enseignement supérieur.

Mais en privilégiant le dialogue et la diplomatie, M. Duchesne s’attire les critiques. « Tous les gens prévoyaient un échec. J’ai dû subir une couverture de presse négative pendant des semaines. » Surtout que l’ASSÉ, qui représente 70 000 étudiants, décide de boycotter le sommet.

La résolution

Pourtant, un compromis est trouvé. Les frais de scolarité seront indexés au taux de croissance du revenu disponible des ménages par habitant. « Ça nous permet de respecter le pacte social du Québec et de maintenir les frais les moins élevés en Amérique du Nord », se réjouit M. Duchesne. D’autres mesures sont aussi mises en place, comme la bonification du programme de prêts et bourses, l’aide au logement et au transport, etc.

« Ma déception, c’est de ne pas avoir eu le temps de mettre en place les propositions de nos quatre chantiers en éducation », se désole M. Duchesne. Minoritaire, le gouvernement Marois déclenche des élections pour le 7 avril 2014, puis perd le pouvoir.

« Est-ce qu’on aurait pu faire plus? Oui. Les universités sont encore élitistes. » M. Duchesne déplore, par exemple, que les universités favorisent encore le développement immobilier plutôt que le développement humain.

Depuis 10 ans, toutefois, la question des frais de scolarité n’est pas revenue dans le débat public, et il y a plus d’étudiants aujourd’hui, note M. Duchesne. « Il y a une jeune génération qui s’est mobilisée pour défendre ses droits. En soi, c’est foncièrement démocratique. »

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