Photo : Nordy - Davy Lopez

Sauvetage policier à Saint-Jérôme : « Je ne serai jamais assez reconnaissante »

Par Simon Cordeau

Louise Desjardins Aublet n’a aucun souvenir de cette journée de novembre où elle a frôlé la mort. Trois mois plus tard, la résidente de Val-David se rend au poste de police de Saint-Jérôme avec son conjoint, son fils et son neveu, pour rencontrer ceux grâce à qui elle est encore là aujourd’hui. La dame a apporté un petit cadeau, qu’elle tient nerveusement. Mais lorsqu’elle entre dans la salle de conférence, c’est près d’une trentaine de personnes qui l’accueillent. Policiers, ambulanciers et répartitrices (les pompiers sont absents) : ils ont tous contribué à son sauvetage.

L’agente André-Anne Du Cap, de la Division actions proactives et affaires avec la communauté du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme (SPVSJ), prend la parole. « Il est rare que nous ayons la chance de prendre un moment pour s’arrêter, de se donner une tape dans le dos pour nos bons coups et de souligner l’impact positif de nos interventions dans la vie des gens. Il est de coutume que, devant nos bons coups, nous nous disions bien humblement : « je n’ai fait que mon travail », et que nous refusions les éloges. Mais le 2 novembre dernier, ce travail a permis de sauver ce qu’il y a de plus précieux, de sauver la vie de Mme Louise Desjardins Aublet. »

L’appel

Photo : Nordy – Davy Lopez

L’agente Du Cap refait le récit des événements. Émue, Mme Desjardins Aublet écoute, en serrant les mains de ses proches.

Le samedi 2 novembre, à 13 h 45, les lignes 911 se mettent à sonner à la centrale d’appel de Saint-Jérôme. Les répartitrices Manon Leclerc et Camille Fréchette sont les premières à répondre. L’important volume d’appels leur fait croire qu’un événement majeur est en train de se dérouler.

Une sortie de route vient de se produire dans la bretelle de la sortie 43-E, sortie de Martigny. Le véhicule serait à l’envers, dans l’eau, et quelqu’un serait coincé à l’intérieur. Même si l’endroit est sous la responsabilité de la Sûreté du Québec (SQ), les répartitrices savent que le temps est compté. Avec leur collègue Stéphanie Ouellet, elles mettent tout en oeuvre pour que de l’aide arrive aussi vite que possible. Les policiers du SPVSJ se mettent en route.

La plongée

À 13 h 48, moins de 2 minutes et 30 secondes après l’appel, les duos composés par les agents Samuel Delisle et Christoph Gilbert, Nathaniel-Isaac Fournier et Jessica Guévin, Simon Tessier et Olivier Forgues, ainsi que le sergent Samuel Thériault sont les premiers arrivés sur les lieux.

Dans le ravin de la bretelle de sortie d’autoroute, il n’y a que le plancher et les roues du véhicule qui sortent de l’eau. Le reste du véhicule est submergé. Sans hésiter, les agents Delisle, Gilbert, Thériault, Tessier et Forgues se jettent dans l’eau glacée. Ils mettent ainsi leur vie en jeu pour sauver le ou les occupants du véhicule. Soulignons que leur équipement pèse de 25 à 30 lbs… lorsqu’il est sec.

Pendant ce temps, les agents Fournier et Guévin préparent le matériel nécessaire pour une réanimation cardio-respiratoire. Puis les agentes Geneviève Guénette et Katherine Robertson arrivent sur place. L’agente Guénette s’occupe de la circulation, pendant que l’agente Robertson se jette aussi dans l’eau.

Après de longues minutes à chercher dans l’eau opaque, l’agent Delisle parvient à trouver une dame qui flotte, inanimée, à l’arrière du véhicule. Il l’extirpe de là et la remet aux agents Fournier et Fourgues, qui la remontent sur la berge du fossé. À 13 h 53, avec l’agente Guévin, ils commencent les manoeuvres de réanimation.

Mais dans le ravin, les agents continuent de chercher. Un banc d’enfant, à l’arrière du véhicule, leur fait croire qu’il pourrait y avoir d’autres victimes.

L’eau opaque

À 13 h 54, une première ambulance arrive sur les lieux, avec les ambulanciers François Gourde et Jean-Yves Deraps. Ils sont suivis de près par l’équipe des pompiers de Saint-Jérôme et une seconde ambulance, avec Véronique Desjardins et Alex Côté à bord.

Les agents ont d’abord peu d’espoir de réanimer la victime, avouent-ils lors de la rencontre. Mais ils font tout de même les manoeuvres de réanimation et, juste avant qu’arrivent les ambulances, parviennent à sentir un pouls. Mais celui-ci est faible.

Le lendemain, Mme Desjardins Aublet n’avait que 30 % de chance de survivre, indique son fils, Jean-François Aublet. « Au fond de moi, j’avais peu d’espoir », confie-t-il.

Dans le fossé, les policiers cherchent encore dans l’eau opaque. À tâtons, ils ont la crainte de tomber sur un autre corps, peut-être celui d’un enfant. Une remorqueuse a été appelée, mais ils ne peuvent plus attendre. Avec les pompiers, les agents Delisle, Gilbert et Thériault entreprennent de retourner, à bras, le véhicule hors de l’eau, malgré le risque que celui-ci leur retombe dessus.

Ils réussissent ! Avec un soupir de soulagement, ils constatent enfin qu’il n’y a pas d’autre victime.

« Un miracle »

Photo : Nordy – Davy Lopez

« Je suis tellement émue. Je ne serai jamais assez reconnaissante. Pour moi, c’est quelque chose d’héroïque », affirme Mme Desjardins Aublet, après le récit des événements. « Ma mère a récupéré rapidement. Elle n’a aucune séquelle », se réjouit son fils, qui qualifie sa survie de « miracle ». « On a eu un party de Noël avant le temps, à l’hôpital. Il y a des gens que ça faisait longtemps que je n’avais pas vus ! »

Mme Desjardins Aublet a été dans le coma plusieurs jours après son accident. Pour la réveiller, son mari a eu l’idée de faire jouer du Joe Dassin. « Elle n’aime pas ça ! Je lui ai dit : « si tu veux que je change de musique, cligne des yeux » », raconte Serge Aublet en riant. C’est alors qu’elle a repris conscience.

Son neveu, Alain Meilleur, qui est aussi un policier retraité de Laval, tient à souligner le courage des policiers. « Vous avez risqué votre vie en plongeant. Vous devriez être reconnus, avec la Médaille de la bravoure. Vos gestes démontrent l’importance de la police. On ne donne pas juste des tickets », lance-t-il en boutade.

À leur tour, les policiers soulignent le « courage » et la « combativité » de Mme Desjardins Aublet.

Comme une famille

Comment les policiers font-ils, lorsqu’ils mettent leur vie en péril, pour mettre de côté leurs émotions et agir efficacement ?

« Pour l’avoir vécu, on ne pense pas. On fonce, on veut sauver une vie, et on veut faire la différence. À ce moment-là, nos émotions, nos peurs, nos inquiétudes sont inexistantes. On fonce tête baissée », explique le lieutenant Israel Dupuis, qui a coordonné les policiers depuis le poste de police. « Pendant que certains ont la tête baissée, d’autres vont l’avoir levée, pour surveiller leurs arrières. D’où l’importance du travail d’équipe », illustre-t-il.

C’est après, lorsque la tension retombe, que les policiers se permettent de vivre leurs émotions. Dans le vestiaire ou avec leur conjointe, ils discutent du fil des événements et partagent leur sentiment d’impuissance ou d’anxiété, me confient quelques policiers. Lieutenant Dupuis souligne qu’ils ont toujours accès à de l’aide psychologique.

Aussi, les policiers se côtoient de 50 à 60 heures par semaine, durant lesquelles ils ont tissé des liens et une confiance solides ensemble. Ils savent donc se coordonner rapidement et efficacement, sans se dédoubler ni sans perdre de précieuses secondes. « Ce n’est pas un travail d’équipe qu’on a fait cette journée-là. C’est un travail de famille. On est une équipe excessivement soudée et qui travaille bien ensemble », explique l’agent Fournier.

C’est également une grande source de motivation lorsque leurs collègues sont dans une situation grave ou dangereuse. « Sur les ondes, tu l’entends dans leur voix. Tu sais qu’ils ont besoin de monde, et qu’ils ont besoin de toi là-bas, peu importe ce que tu fais », souligne l’agent Fournier.

De gauche à droite, rangée du fond : Stéphanie Ouellet, répartitrice; lieutenant Israel Dupuis; Jean-Yves Deraps, ambulancier; agent Christoph Gilbert; agente Geneviève Guénette; agent Nathaniel-Isaac Fournier; agent Olivier Forgues; Alex Côté, ambulancier; sergent Guillaume Bergeron.
Rangée devant : agente Laurie-Anne Sinclair; Camille Fréchette, répartitrice; agente Jessica Guévin; Mme Louise Desjardins Aublet; agente Katherine Robertson; agente Lara Desrochers; Manon Leclerc, répartitrice; Sarah Depatie, répartitrice; agent Simon Tessier.
Absents : sergent Samuel Thériault; agente Marie-Laurence Tavernier: et Mme Véronique Desjardins, ambulancière. Photo : Nordy – Davy Lopez

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