Quand attendre ne suffit plus
Par Simon Cordeau
Dès que Véronique De Lisi est tombée enceinte, elle a inscrit sa fille sur Place 0-5 pour obtenir une place en garderie. « Je l’ai inscrite sur 22 listes d’attente, et j’ai contacté une vingtaine de services de garde en milieu familial. » La mère de Sainte-Adèle attend toujours. « Ma fille aura 9 mois dans quelques jours. »
Pendant ce temps, les listes d’attente des centres de la petite enfance (CPE) continuent de s’allonger. « En mars 2020, on était à 386 noms sur notre liste. Là, ce matin, il y a 1 511 noms », raconte Claudia Rhéaume, directrice générale du CPE La Petite Académie, à Saint-Jérôme. « J’accueille entre 15 et 20 nouveaux enfants par année seulement. »
Mme Rhéaume admet qu’elle ne sait plus quoi répondre aux parents désespérés. « C’est l’horreur pour vrai. Je reçois en moyenne cinq appels par jour de parents démunis. Hier, une maman pleurait, parce qu’elle commence à travailler dans deux semaines. Elle risque de perdre son emploi si elle n’entre pas travailler, mais elle ne trouve pas de place pour son poupon. Les parents appellent, je vois qu’ils sont extrêmement démunis. Mais il n’y a pas de place. Je leur dis: j’ai 1 500 noms! »
Pour les parents, il est difficile d’avoir un portrait juste de la situation, puisque ces listes contiennent non seulement des doublons, mais aussi des inscriptions désuètes, explique Véronique De Lisi. Lorsque les parents trouvent une place, Place 0-5 ne leur demande pas de se désinscrire sur les autres listes d’attente, souligne-t-elle. « Le système ne se purge pas lui-même. Quand tu appelles des CPE, ils ont des inscriptions qui datent de 2015 ou de 2016. Mais ces enfants-là sont arrivés à la maternelle. »
Autre difficulté : il ne faut pas seulement que le CPE arrive à votre nom dans sa liste d’attente. Il faut aussi que la place qui se libère corresponde à l’âge qu’a maintenant votre enfant. « C’est très rare que les CPE appellent. Ça arrive. J’ai une connaissance qui a eu une place comme ça. Mais c’est un cas parmi une centaine », témoigne la mère.
Appeler
C’est pourquoi les parents ne peuvent pas se contenter d’attendre, croit Véronique. « Chaque mois, mon conjoint et moi, on passe à travers la liste. On appelle et on envoie des courriels à tous les milieux de garde où on est sur la liste d’attente pour voir si une place s’est libérée. » Ça lui prend au moins une demi-journée. « On fait ça entre les siestes de ma fille. La première fois, on l’avait étalé sur une semaine. »
Véronique croit que c’est sa meilleure chance de décrocher une place. « Les CPE n’ont pas le temps de faire 200 appels pour filtrer les doublons et les inscriptions qui ne sont plus à jour dans leur liste. Donc il y a quand même une priorité aux parents qui appellent. » Elle connaît des parents qui font même ce rituel chaque semaine. Mais elle-même n’en a pas le temps. « On a un enfant à s’occuper à temps plein! », rappelle-t-elle.
Se regrouper
En attendant une place, les parents doivent jongler avec leurs obligations professionnelles et la garde de leur enfant. « Nous, on est chanceux. On a tous les deux l’option du télétravail, et mon père est capable de venir garder, parce qu’il est à la pré-retraite. Mais il y a des mamans enseignantes, des mamans infirmières pour qui ça ne marche pas. »
Avec une maman de Mont-Tremblant, Émilie Aubin, Véronique a donc démarré un groupe Facebook, Familles sans garderie – Partage de solutions alternatives – Laurentides.
« On voulait mettre des familles en contact ensemble, voir si on pourrait trouver des solutions alternatives aux services de garde. Et si on voit des places qui se libèrent, on les partage. » Certains parents forment de petits groupes où ils gardent les enfants des autres en rotation, par exemple. D’autres décident de payer ensemble une nounou à la maison. « Mais c’est très, très cher. Ça coûte entre 20 et 30 $ de l’heure, selon qu’on fait affaire avec une agence ou un particulier », avertit Véronique.
Le groupe permet aussi de constater l’ampleur du manque à gagner, se désole la mère. « Dans les Laurentides, c’est un « no man’s land ». Depuis deux ans, je n’ai vu aucune place poupon de libre. De Blainville jusqu’à Mont-Tremblant, il y a vraiment un trou de service, et c’est bien connu. » La situation est particulièrement terrible à Saint-Jérôme, rapporte-elle. « C’est un réseau pour ventiler, aussi », ajoute la mère en riant. « Dans le court terme, il y a très peu de solutions. »
Construire de nouvelles places, c’est long
L’année dernière, nous rapportions que le CPE La Petite Académie à Saint-Jérôme prévoyait ouvrir un nouvel établissement cet été, en juin 2022. Finalement, il faudra encore un peu de patience.
« Le projet avance bien. La construction est commencée. Mais l’échéancier a été repoussé à cause de la pandémie, des délais pour les matériaux et de la pénurie de main-d’œuvre », explique Mme Rhéaume. Des délais auprès de la ville, dans la délivrance des permis, a aussi retardé les travaux à l’automne dernier.
L’ouverture est maintenant prévue pour avril 2023. Le nouveau bâtiment pourra accueillir 80 enfants supplémentaires, dont 20 poupons. Cela s’ajoutera aux 44 places déjà existantes, portant le CPE à 124 places.
Si le nouvel échéancier est respecté, combien de temps cela aura-t-il pris entre l’obtention des places auprès du ministère de la Famille et le moment où elles seront effectivement disponibles? « C’est un peu gênant. Ça va avoir pris 10 ans », déplore Mme Rhéaume. Rappelons que le Ministère a simplifié le processus l’année dernière afin d’accélérer la création de places, faisant passer le nombre d’étapes de 19 à 9.
Pour Véronique, cependant, une réflexion plus profonde sur nos manières de faire s’impose. « Moi, je ne suis pas frustrée des élus et du travail qu’ils font. La volonté est là. Mais c’est tellement une grosse machine, et il y a tellement de normes. Et je comprends : on parle de nos enfants. Mais au lieu d’attendre d’avoir le plan parfait, pourquoi on ne peut pas avoir une action concrète qui se fait, pour ensuite monter les barèmes et peaufiner le projet? Ce n’est pas vrai qu’on est incapables d’avoir des milieux sécuritaires pour nos enfants. Je pense qu’il faut un peu de flexibilité dans les approches », plaide la mère.