(Photo : Marie-Catherine Goudreau)
Anne-Claire Robert, directrice générale de Sainte-Anne-des-Lacs, et Catherine Hamé, mairesse, de passage à nos bureaux de Saint-Sauveur.

Politique municipale : Les femmes réclament un changement de culture

Par Marie-Catherine Goudreau

Les dernières semaines et derniers mois ont été mouvementées dans le milieu de la politique municipale : démission de la conseillère Geneviève Dubuc à Saint-Sauveur en raison d’un climat « malsain », déclaration de Rosa Borreggine sur le manque de respect entre les citoyens et les élus, le conseil municipal de Saint-Jérôme pris d’assaut, conflits de personnalités au sein du conseil de Sainte-Anne-des-Lacs. Dans les Laurentides comme ailleurs au Québec, les élus dénoncent le climat toxique dans la politique municipale.

Catherine Hamé, mairesse, et Anne-Claire Robert, directrice générale, en ont long à dire sur le climat actuel en politique municipale. Étant deux femmes dans la trentaine à la tête de la Municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs, elles sont bien en mesure de comprendre les raisons de la démission de la mairesse de Gatineau, France Bélisle. Celle-ci a dénoncé publiquement le climat d’intimidation entre les élus, jusqu’au point d’en hypothéquer sa santé.

« Ça m’a choquée et surprise. […] Mais en quelque part, ça m’a aussi rassurée. Je me suis sentie comprise dans ce que je vis dans le milieu municipal », souligne la mairesse d’entrée de jeu. Pour Mme Robert, ce qui a résonné dans les propos de la mairesse de Gatineau, ce sont les attaques personnelles. « Pour moi, c’est mon travail, mon gagne-pain. J’en ai reçu des critiques et des attaques personnelles. Des citoyens surveillaient ma voiture pour voir si j’allais à des rencontres. J’ai reçu des messages de haine : « Tu es une incompétente », etc. En tant qu’élue, il y a un barème que tu es prête à accepter. Mais quand c’est ton emploi, recevoir ça, ce n’est pas facile », raconte la directrice générale.

Les enjeux pour les femmes 

Catherine Hamé croit qu’en étant des femmes en politique, cela amène un vent de changement, que tous ne sont pas prêts à accepter. 

« Je pense que les femmes, quand on arrive dans ce milieu-là, dans ce rôle-là, on a l’intention de faire un changement de culture. On le voit pour plusieurs mairesses [et conseillères]. Je ne sais pas si c’est parce qu’on est des femmes, ou bien parce qu’on arrive avec l’intention de ne pas perpétuer le statu quo et on commence des changements de culture rapidement. Et c’est ce que l’humain craint le plus : le changement. »

– Catherine Hamé, mairesse de Sainte-Anne-des-Lacs

Les deux femmes de Saint-Anne-des-Lacs sont dans le milieu municipal depuis plusieurs années. Mme Robert a travaillé entre autres à Saint-Jérôme pour ouvrir la Centrale du citoyen. Toutefois, malgré son expérience, elle sent qu’elle a dû prouver ses compétences en arrivant à Sainte-Anne-des-Lacs il y a plus d’un an. « Au quotidien, les citoyens sont très accueillants et gentils. Ce que je ressens, c’est qu’on ne m’accorde pas la compétence d’emblée comme on le fait pour mes collègues masculins. Non seulement, on ne m’accorde pas la compétence, mais je dois aussi la prouver et j’ai une obligation de résultat avant de dire : « Ok, elle est bonne dans sa job » », soutient Mme Robert.

Geneviève Dubuc, ex-conseillère municipale de Saint-Sauveur, soutient qu’on « pousse beaucoup la parité en politique municipale, pour avoir plus de jeunes et plus de femmes. Par contre, le monde municipal depuis des années, c’est surtout des hommes plus âgés ». « On arrive avec un changement et il y a des conflits qui se créent. Ce que je remarque dans d’autres conseils, c’est qu’il y a plus d’incivilité envers les femmes et les jeunes », rapporte-t-elle. 

À Saint-Jérôme, la conseillère municipale Nathalie Lasalle dit avoir vécu de l’intimidation de la part d’autres élus, avec le conseil précédant sous Stéphane Maher.«  À l’époque, d’autres élus se permettaient de faire des commentaires désobligeants à mon égard. Quand tu es au pouvoir, certains se donnent le droit de dire des choses. On m’a même dit : “La serveuse, tu ne vas pas me dire quoi faire.” Il y avait des commentaires condescendants », rapporte-t-elle.

Aujourd’hui, elle affirme que c’est plutôt de la part des citoyens qu’elle vit de l’intimidation. Le maire de Saint-Jérôme s’est dit indépendant dès le départ, et cela fait une différence dans les relations au conseil, croit Mme Lasalle.

Janice Bélair-Rolland, qui a été mairesse de Saint-Jérôme en 2021, affirme qu’il y a de l’intimidation, tant entre élus que de la part des citoyens. « Beaucoup trop de gens considèrent faire de la politique pour avoir du pouvoir. Mais la politique devrait essentiellement servir pour que nos enfants vivent dans des milieux de vie moins pollués, stimulants, accessibles et où ils auront du travail. La politique municipale c’est de la proximité avec tout», soutient-elle.

Difficile de changer le statu quo

Du côté de Saint-Sauveur, Mme Dubuc a tenté à plusieurs reprises d’améliorer le climat à l’intérieur du conseil, notamment entre les élus et lors des rencontres préparatoires en caucus. Alors que le climat commençait à être insupportable pour travailler, Mme Dubuc a proposé aux élus six solutions pour améliorer le climat et le contexte de travail. « J’ai eu un non retour de la part de tous, dont du maire. »

Elle a aussi voulu intégrer un médiateur, mais personne n’a accepté qu’il y en ait un. « Je me disais que je ne pouvais pas continuer là-dedans, car ça impactait le restant de ma vie. » Puis, elle dit aussi s’être assis au bureau du maire. « J’avais besoin d’aide. Mais j’ai eu un non-retour », confie Mme Dubuc avec émotions.

Nathalie Lasalle, conseillère municipale depuis 11 ans à Saint-Jérôme.

De son côté, Mme Lasalle a dû se battre pour avoir accès à de l’information avec l’ancien conseil, étant indépendante. « On m’a sortie des comités. J’ai dû me battre pour qu’il y ait une rotation sur les comités et à la pro-mairie. On ne m’accordait pas de fonds de recherche. J’ai dû me battre pour l’obtenir », souligne-t-elle.

Avec d’autres conseillères dans d’autres villes, Mme Lasalle avait commencé un mémoire sur toutes les situations qu’elles vivaient. Mais en raison d’un litige, le mémoire n’a pas été déposé. Puis, avec une collègue de Bedford, Pierrette Messier-Peet, elles ont créé un code de civilité. « On a réalisé que ça devrait être obligatoire dans toutes les villes du Québec. Ça devient un outil de sanction lorsqu’il y a un manque de respect. Il a été déposé en 2021 pour la Loi 49 et la ministre Laforest a retenu quelques lignes », rapporte Mme Lasalle. 

Clarifier les rôles

Catherine Hamé croit qu’il manque d’homogénéité dans la régie interne des municipalités. C’est un commentaire qui revient souvent parmi les élues rencontrées par le Journal. « Le rôle de chacun des acteurs dans le milieu municipal n’est pas assez clair. Le rôle du directeur général par exemple dans sa relation avec le maire, avec les citoyens ou avec le reste du conseil. Le rôle du conseiller, le rôle du maire… Ce n’est pas clair », affirme-t-elle. « Il a trop d’interprétation. »

« Il y en a qui ne font pas leur rôle, d’autres prennent plus de place, certains s’effacent, ça crée un immense déséquilibre. […] Ça créait des frustrations, des informations pas claires, des incompréhensions. Tout ça était cumulé avec des dossiers desquels on n’avait pas de nouvelles. On avait l’impression d’être dans une cour d’école ! », déplore Mme Dubuc.

L’ancienne conseillère indique par ailleurs que les rencontres préparatoires n’existent pas dans la loi. « Comment on fait si on n’a rien d’écrit légalement ? Chaque ville y va à sa manière. Ça doit être clarifié », déplore Mme Dubuc.

La conseillère municipale Geneviève Dubuc. (Photo : Archives – Marie-Catherine Goudreau)

À Saint-Adolphe-d’Howard, on observe aussi un climat tendu entre les citoyens et les élus presqu’à chaque séance du conseil. Sans vouloir commenter sur sa Municipalité, la conseillère Line Légaré est du même avis. « Il doit y avoir des balises et un cadre plus clair qui serait le même dans toutes les municipalités », affirme-t-elle.

« Le fonctionnement est différent dans chaque municipalité, et c’est ça le problème. Dans certaines villes, c’est le maire qui gère la machine avec le directeur général. Et les conseillers n’ont droit à aucune information. »

– Line Légaré, conseillère municipale à Saint-Adolphe-d’Howard

« Ça crée une frustration. Lorsque les élus arrivent en poste, il arrive qu’ils n’ont accès à aucun document. Ils se retrouvent les mains liées », dit Mme Légaré, qui a rencontré de nombreux élus municipaux lors de formations et de forums à travers le Québec.

La responsabilité de l’élu

D’un autre côté, les conseillères municipales de Saint-Sauveur, Caroline Vinet et Rosa Borreggine, croient que c’est aux élus de s’informer sur le rôle de conseiller, avant d’être élu et après. « Je pense que ceux qui sont le plus critiqués sont ceux qui malheureusement, ont plus de difficultés à s’adapter à la politique et à leurs fonctions », soutient Mme Vinet.

Les deux femmes sont conseillères depuis plus de 10 ans à Saint-Sauveur. Elles aussi sont arrivées avec une intention et une volonté de changer les choses à l’époque. Mais elles se sont adaptées au conseil dans lequel elles sont arrivées, disent-elles, dont tous les conseillers étaient du même parti, doit-on préciser. « Observe comment ça fonctionne, observe les anciens conseillers qui étaient là et suis le courant. Puis après, tu amèneras ton essence. Si tu arrives avec tes convictions personnelles et que tu veux juste faire ce que tu connais, ça ne marche pas comme ça. C’est là que les gens se désillusionnent », souligne Mme Borreggine.

Lors de son arrivée en poste, Mme Vinet avait des frustrations surtout concernant les délais. « C’est vrai que la paperasse et la bureaucratie, c’est long. Mais je me dis, au moins je suis à l’interne et j’ai les pieds dedans. J’ai un levier pour que ça s’améliore », dit-elle. Les limites du budget et les infrastructures vieillissantes par exemple sont toutes des contraintes auxquelles les élus sont confrontés en arrivant en poste et lesquelles ils doivent prendre le temps de comprendre.

À la veille des élections partielles à Saint-Sauveur, les conseillères croient que ceux qui vont se présenter doivent connaître leur territoire et leur communauté. « Le premier mandat, tu n’accomplie presque rien; tu apprends. Il faut comprendre que les élus donnent une ligne directrice, une vision. Mais c’est le personnel qui porte le ballon. Quand les élus s’embarquent dans poutine interne, c’est là que ça crée des frustrations et des conflits. Ce n’est pas leur rôle », soutient Mme Vinet.

« Plus difficile d’être un élu aujourd’hui »

L’élection de 2021 a amené un gros changement dans l’attitude des citoyens envers le conseil, soutient Catherine Hamé. « De la chicane dans les conseils municipaux, il y en a toujours eue. Je pense que c’est l’aspect public, comme les diffusions des séances en ligne, qui a beaucoup changé », dit-elle. Les gens peuvent prendre par exemple des extraits vidéos sans contexte. « Ce n’est pas comparable comment c’est plus difficile d’être élu aujourd’hui. »

Puis, les responsabilités sont de plus en plus nombreuses pour les municipalités. « On est beaucoup plus dans la cour des gens, ce qui cause plus de frustration. Et comme on est accessible, c’est plus facile pour un citoyen de déverser sa colère », ajoute Mme Hamé.

Surtout depuis la pandémie, on remarque une hausse des propos haineux sur les réseaux sociaux. « Ces plateformes sont géniales pour partager aux citoyens les nouvelles et les réalisations, mais c’est intense quand on fait face aux « trolls » du web qui se cache derrière un écran », souligne Janice Bélair-Rolland.

Ce que proposent Anne-Claire Robert et Catherine Hamé, c’est de donner une courte formation à tous ceux qui se présentent comme candidats aux élections municipales. « Les gens se lancent souvent là-dedans sans savoir ce qui les attend après l’élection », affirme Mme Robert. C’est une suggestion qui est présente lors de toutes mes conversations. 

L’envie de faire une différence qui reste 

Malgré les difficultés et les obstacles, Catherine Hamé affirme clairement son désire de rester en politique municipale. « Ce qui m’accroche à ce travail, c’est toute la différence qu’on peut faire réellement dans la vie des gens positivement. Le dossier de l’accès à l’eau en est un. »

Pour Nathalie Lasalle, malgré les difficultés auxquelles elle a été confrontée, elle est restée en politique, car elle aime ce travail et sait qu’elle peut « faire une différence ». « Je veux aider les citoyens. »

Line Légaré a pour sa part décidé de se former et de s’impliquer dans plusieurs comités et commissions à l’Union des municipalités du Québec, par exemple. C’est sa façon de faire une différence et de faire quelque chose de bien. 

Avec des informations de France Poirier

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