L’itinérance et le voisinage ne font pas bon ménage
Par France Poirier
Vols, intrusions sur les terrains et dans les piscines, cours utilisées comme toilettes, gestes indécents aux vues de tous, sont des éléments qui soulèvent l’ire des voisins de la Légion canadienne qui abrite maintenant les locaux du Book humanitaire.
Une quinzaine de personnes se sont déplacées pour l’assemblée du conseil municipal de Saint-Jérôme, le 30 août dernier, pour témoigner de ce qu’ils vivent depuis l’arrivée du Book humanitaire. L’organisme aide les personnes en situation d’itinérance dans la région des Laurentides.
« On n’a plus de quiétude, on ne peut plus jouir de notre quartier. Je ne peux plus aller promener mon chien le soir parce que c’est trop noir » -Une citoyenne
« Tous les jours, je suis témoin de méfaits. Les itinérants se cachent dans les fossés, urinent et défèquent sur les terrains, consomment de la bière et de la drogue. C’est le party tous les soirs. J’en ai même vu un se faire faire une fellation. C’est dégueulasse, on n’est plus capable. Je demeure sur la rue des Pins au coin du Souvenir depuis un an et je pense déménager, tellement je suis écoeurée », nous a confié une citoyenne à bout de nerfs.
Des citoyens mécontents
La même dame s’est présentée au micro lors de la deuxième période de questions à la fin de l’assemblée du conseil. À ce moment, d’autres citoyens venus pour cette cause se sont levés et présentés au lutrin derrière elle. Comme le ton montait, et que plusieurs personnes voulaient parler en même temps, le maire a demandé à plusieurs reprises aux gens de rester polis. La dame était excédée par ce qu’ils vivent dans le secteur.
« Nous sommes pris en otage sur la rue des Pins. Nous sommes situés entre La Hutte (église Sainte-Paule) et le Book humanitaire (Légion canadienne). À 6 h le matin, on assiste à la parade des itinérants qui voyagent d’un endroit à l’autre », a-t-elle lancé en criant.
Elle ajoute que depuis des semaines, la rue du Souvenir est plongée dans le noir, parce qu’il y a eu des vols de fils de cuivre.
« J’ai contacté Hydro qui m’a dit que ce n’était pas de leur ressort, puis j’ai appelé la Ville qui m’a dit que c’était Hydro. Tout le monde se lance la balle. Lors de l’assemblée du conseil, le maire nous a mentionné que les lumières de la rue seraient réparées au cours de la semaine prochaine », nous a-t-elle confié.
De plus, comme il n’y a pas de lumières de rue, elle souligne que les itinérants se cachent un peu partout dans les cours, dans les fossés, ce qui fait peur aux gens du quartier. « On n’a plus de quiétude, on ne peut plus jouir de notre quartier. Je ne peux plus aller promener mon chien le soir parce que c’est trop noir », ajoute cette dernière.
Plaintes à la police
Le maire de Saint-Jérôme, Marc Bourcier, a dit comprendre leurs doléances. Il a mentionné que la Ville n’avait aucune autorité dans ce dossier, mais que les policiers, eux, pouvaient intervenir. Cela n’a pas semblé rassurer les citoyens qui font des plaintes de façon régulière. « Oui, la police se déplace, ils discutent avec eux, mais ça ne change rien, jour après jour », a confié un voisin de la place qui requiert l’anonymat, de peur de représailles. De plus, une citoyenne a confié que lorsque les policiers arrivent, souvent les itinérants partent se cacher et c’est à recommencer soir après soir.
« On reçoit les plaintes et nos policiers vont vérifier l’étendue de la situation. On fait des patrouilles régulièrement et nous avons l’Équipe pacifique qui patrouille aussi le plus souvent possible. L’Équipe pacifique n’est pas toujours là, mais les policiers répondent aux appels. On expulse les personnes qui sont en infraction, lorsqu’elles sont encore sur place. On ne peut pas les incarcérer. Il y a beaucoup d’éducation à faire par rapport à l’itinérance. On essaie de responsabiliser les personnes en situation d’itinérance par rapport à l’incivilité », a expliqué l’agente Mélissa Bossé du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme.
« Il faut savoir que la bâtisse qui abritait la Légion canadienne a été vendue à un promoteur qui doit réaliser un projet immobilier. En attendant de détruire le bâtiment, celui-ci l’a loué à l’organisme le Book humanitaire », a expliqué le maire.
Entre l’arbre et l’écorce
Rachel Lapierre est présidente fondatrice du Book humanitaire et tient l’organisme à bout de bras depuis des années.
« On cogne aux portes pour des subventions, mais l’itinérance n’est pas une cause populaire » -Rachel Lapierre
« Je comprends très bien les citoyens, je suis d’accord avec eux, ils ont totalement raison. Mais en même temps qu’est-ce que je peux faire? Le problème est que nous ne sommes pas à la bonne place. On ne devrait pas demeurer près des maisons, ni d’une école, ni de commerces, mais on n’a pas d’autre place pour l’instant. On regarde différentes propositions, on fait des réunions de quartier, on essaie que ça se passe bien. Ce n’est pas une clientèle facile et pas toujours stable », explique madame Lapierre.
La halte du Book humanitaire n’est pas un service d’hébergement, mais elle est ouverte de 18 h à 6 h. « Nous sommes reconnus comme organisme régional. Alors, on soutient plus de personnes », explique-telle. L’augmentation naturelle du nombre de bénéficiaires, la COVID-19 et l’augmentation du coût de la vie ont contribué à accentuer le problème de l’itinérance. Ils sont de 70 à 75 personnes qui utilisent les services du Book en soirée.
Le Book nourrit 500 personnes par jour, en plus de leur donner les soins primaires. « Je me sens responsable moralement. Je ne peux pas les laisser tomber et en même temps la dame de 85 ans qui est voisine, je ne suis pas contente de lui faire de la peine », souligne Mme Lapierre.
« Quand j’appelle à la Ville pour du soutien, on me dit que ça dépend du CISSS, qui lui, répartit les sommes à différents organismes. Nous, on a reçu 100 000 $ pour l’année, ça paye deux intervenants. On doit avoir des gens formés la nuit. Le Book paye la nourriture, la location, l’électricité. Le midi, ils viennent au frigo, ils ont faim, ils ont besoin de soins, etc. Je ne sais plus quoi faire, je suis fatiguée, mais je ne peux pas les amener chez nous. On cogne aux portes pour des subventions, mais l’itinérance n’est pas une cause populaire. La seule chose que je peux faire quand les gens appellent pour se plaindre, c’est de compatir. Il n’y a malheureusement pas de solution pour l’instant », ajoute Rachel Lapierre.