Jacques Grand'Maison

Les valeurs de durée

Par Lpbw

NDLR. Nous poursuivons la publication des réflexions du réputé sociologue et théologien jérômien Jacques Grand’Maison. Réflexions que M.Grand’Maison a placées sous le thème "Des valeurs et repères dont on ne parle pas ou si peu dans l’état de nos mœurs actuelles".

Le 20e siècle a développé des valeurs de progrès, telles les libertés de changement, de créativité, d’innovation, et surtout l’autodétermination de la conscience, de la pensée et de l’action. Mais le 20e siècle a négligé les valeurs de durée, de mémoire, de continuité, de persévérance, de résilience, de conscience historique.

Dans un colloque récent, des cégépiens dialoguaient avec des aînés de différentes disciplines et professions. J’étais de la partie. Contre toute attente, certains jeunes adultes nous ont interpelés en ces termes : « Vous ne nous parlez que de changements de tous ordres, mais qu’en est-il de la continuité? Par exemple, les autres communautés culturelles tiennent à leurs filiations historiques, à leurs racines et à leurs religions … nous autres, on est fils de quoi, de qui … d’un passé révolu (?), d’un avenir de court terme. »

Réfléchir sur sa vie

Ces propos ont suscité chez moi un questionnement sur une tendance problématique d’aujourd’hui. Sans se souvenir et sans prévoir, on s’enferme dans le présent le plus immédiat, alors on n’a pas ou peu de distance pour réfléchir sur sa vie et son parcours, pour se donner une histoire intérieure, et plus largement, pour se situer comme citoyen dans la société, et surtout dans un monde dont les enjeux les plus importants sont de long terme. Le temps ne respecte pas ce qu’on fait sans lui.

Toujours comme vieil éducateur, je suis profondément soucieux de l’importance de la transmission dont j’ai déjà traité dans les articles précédents. Un grand-père m’a raconté ceci : mon petit-fils de 17 ans m’a initié à naviguer sur la toile (internet).

Au début de la 1ere session j’ai dit à mon petit-fils : « Tu sais des choses que je ne connais pas. Mais moi aussi je sais des choses que tu ignores. »

Et mon petit-fils m’a rétorqué : « Oui, grand-papa, mais ce que tu sais, ça risque de ne pas m’intéresser. »

Je lui ai raconté plutôt des expériences qu’on a vécues lors de nouveaux changements techniques, par exemple la mécanisation qui nous a permis de ne plus être enfermés l’hiver dans nos maisons et notre village. Notre vie aussi a changé avec les arrivées successives de l’électricité, puis du téléphone, puis de la radio, puis de la télévision.

À « ben » là, ça été tout un changement. On était tellement fasciné, ta grand-mère et moi, qu’on se parlait de moins en moins. Un peu comme toi, mon Luc, avec ta machine. Tu peux parler avec des gens au bout du monde, mais tu communiques peu avec nous tes proches. Suite à mon récit, mon petit-fils m’a sauté dans les bras. « Tout à l’heure j’ai été dégueulasse avec toi. »

Rapports entre les générations

Ce petit récit marque bien que le premier lieu de transmission de la conscience historique est dans les rapports entre les générations. Rapport d’autant plus riche grâce à la longévité accrue.

De plus les pratiques intergénérationnelles peuvent offrir un champ plus large et fécond aux jeunes générations pour inscrire leurs nouveaux apports.

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