L’effet Werther: la série de féminicides pourrait-elle être amplifiée par les médias?
Par Ève Ménard
Angle mort
Dans cette section, nous jetons une lumière nouvelle sur les enjeux d’actualité, pour en révéler les angles morts.
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Dix féminicides sont survenus en quelques semaines seulement au Québec. Naturellement, le sujet a occupé une place significative dans les médias québécois. L’adhésion à des lignes éditoriales distinctes a mené à différents traitements médiatiques.
Cette tendance nous pousse à nous questionner sur notre rôle et notre responsabilité : la manière dont on médiatise certaines tragédies peut-elle participer à les amplifier? C’est ce que suppose l’effet Werther, un phénomène théorisé en 1974. Robert Darlington, qui a été professeur en psychologie au Cégep de Saint-Jérôme pendant 35 ans, nous explique.
L’effet Werther est un phénomène de « contamination » ou d’imitation sociale. À la suite de la médiatisation d’une tragédie, celle-ci est suivie par une vague de tragédies semblables. Le suicide, les tueries à l’intérieur des écoles et même les féminicides en seraient quelques exemples.
La petite histoire
Le phénomène fut découvert en 1974 par le sociologue David Phillips, qui lui a donné le nom de « Effet Werther » en référence au héros du roman Les souffrances du jeune Werther de Johann von Goethe. Publié en 1774, ce roman raconte l’histoire de Werther, amoureux d’une jeune fille déjà fiancée. Après s’en être éloigné, il revient après le mariage de celle-ci. Toujours amoureux, il vit près du couple en tant qu’ami. Or, incapable de se libérer de l’amour qu’il éprouve pour une femme inaccessible, il se suicide.
La parution de cet ouvrage a eu un succès retentissant, mais il a aussi été associé à une vague de suicides sans précédent en Europe. Plusieurs suicidés avaient en leur possession un exemplaire du livre. Certains pays ont même interdit l’ouvrage sur leur territoire. Un autre exemple de l’effet Werther : le suicide de personnalités connues, telles que Marilyn Monroe, Kurt Cobain ou Dalida, ont déclenché une hausse des suicides après médiatisation. (Source : Robert Darlington)
L’effet Werther se manifeste donc non seulement à travers des œuvres culturelles, mais aussi via les médias. Médiatiser une tragédie humaine, comme un suicide ou un féminicide, participe jusqu’à un certain point à légitimer le geste. En effet, cette réalité illustre le principe de la preuve sociale : « La preuve que je pourrais le faire, c’est que d’autres l’ont fait », résume le professeur retraité. Par contre, Monsieur Darlington précise que l’effet Werther est beaucoup plus susceptible de se produire chez certains individus déjà fragilisés par des facteurs physiologiques, affectifs ou environnementaux. La publication d’un article pourrait donc faire office d’élément déclencheur chez une personne déjà vulnérable.
Éviter le sensationnalisme
À la lumière de ces informations, Robert Darlington se questionne : « Jusqu’à quel point cette malheureuse série de féminicides a-t-elle été amplifiée par l’effet Werther, lui aussi exacerbé par le confinement et les épreuves collatérales de la pandémie? » Il s’agit ici d’une situation très délicate et d’un équilibre difficile à trouver entre la dénonciation et les risques d’amplification. Comment les médias doivent-ils s’ajuster?
Le professeur offre quelques pistes de réflexion. Tout d’abord, un média ne doit pas présenter un phénomène comme l’unique avenue possible. L’information doit toujours déboucher vers une ou des solutions. C’est pourquoi il faut penser à diffuser les ressources disponibles pour ceux ou celles qui souhaitent s’en sortir. Aussi, il faut éviter le piège du sensationnalisme. Une description en détails de la méthode ou du lieu peut participer à valoriser le geste ou le présenter comme « libératoire ou romantique », ce qui peut éventuellement conduire un auditeur ou un téléspectateur à le reproduire.
Dans notre couverture du double féminicide survenu au début du mois de mars à Sainte-Sophie, nous faisions mention de l’arme du crime utilisée. Ce détail avait aussi été rapporté par la plupart des médias québécois. Pour Robert Darlington, les médias auraient dû omettre de le spécifier. « Si on donne des détails, ça devient spectaculaire, impressionnant. Plus il y a de détails et plus ça devient croustillant », explique-t-il.
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L’effet Werther, au positif?
Le phénomène de « contamination » engendré par une médiatisation importante peut aussi entraîné des effets positifs. Robert Darlington donne l’exemple d’Eugénie Bouchard, dont le succès avait eu un impact significatif sur le tennis québécois. À l’époque, les inscriptions étaient montées en flèche. Le même phénomène s’était fait ressentir dans le domaine de la gymnastique lorsque Nadia Comaneci était devenue la reine des Jeux de 1976 à Montréal.
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L’effet Papageno
À l’inverse de l’effet Werther, l’Autrichien Thomas Niederkrothentaler a théorisé l’effet Papageno, en référence à l’opéra « La flûte enchantée » de Mozart. Dans celle-ci, l’oiseleur Papageno pense avoir perdu sa bien-aimée Papagena. En proie au désespoir, il est tout près de s’enlever la vie lorsque trois jeunes hommes, des angelots, l’interrompent in extremis. Pour ce faire, ces derniers lui rappellent les ressources dont il dispose – en l’occurrence des clochettes magiques qu’il avait en sa possession depuis le début de l’opéra.
Cet effet serait en quelque sorte le pendant à l’effet Werther : les journalistes pourraient ainsi contribuer à sauver des vies, d’où l’importance de rappeler aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs les ressources disponibles lorsqu’on traite d’un sujet sensible.
Source : Robert Darlington
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Les ressources
SOS violence conjugale
1 800 363-9010 | sosviolenceconjugale.ca
Maison d’Ariane
450 432-9355 | maisondariane.ca
Accroc
organisme des Laurentides qui vient en aide aux hommes qui ont des comportements violents
1 877-460-9966 | 450-569-9966 | accroc.qc.ca