L’appauvrissement des rites de deuil
Par Lpbw
NDLR. Nous poursuivons la publication des réflexions du réputé sociologue et théologien jérômien Jacques Grand’Maison. Réflexions que M.Grand’Maison a placées sous le thème « Des valeurs et repères dont on ne parle pas ou si peu dans l’état de nos mœurs actuelles ».
Ceux-ci sont porteurs du sens communautaire de la mort humaine et de ses adieux.
Encore ici on mesure le degré d’humanité d’une société par le traitement de ses morts.
Caractère précieux
Du bord de la mort humaine, on peut se rendre compte davantage du caractère précieux de la vie, sa grandeur, sa beauté, sa gravité et son incitation à réfléchir sur les questions les plus fondamentales de la conscience humaine.
Le philosophe athée André Comte Sponville, dans son dernier ouvrage sur la spiritualité, écrivait : « On n’enterre pas un mort comme une bête, on ne le brûle pas comme un bûche. Le rituel communautaire chrétien a humanisé et civilisé la mort. »
Depuis les débuts de l’émergence de l’être humain dans le monde des vivants, les rites communautaires de la mort, des adieux ont laissé des traces. On en trouve, par exemple, dans les grottes de Gibraltar, qui remontent à 100 000 ans.
Le va-vite des deuils
Même nos ancêtres lointains trouveraient barbare le va-vite des deuils et des adieux même à ses plus proches. Je vais scénariser cela avec un exemplaire de ce que je constate depuis un bon moment. Le père vient de mourir, sa femme est éprouvée et vulnérable. Les enfants précipitent toutes les démarches avec la complicité de l’entrepreneur funéraire. Il y a là un je ne sais quoi d’insulte à la vie du défunt.
On est à cent lieues de réaliser que des funérailles ne sont pas un jour dans la vie du défunt, mais toute sa vie dans cet adieu. Un adieu qui reconnaît le sens et la portée communautaire de la mort.
Dans les débats autour de l’aide médical à mourir, on ne mentionne rien de ce qui se fait après la mort. Pourtant c’est ce qu’il y a de plus révélateur du sens ou du non-sens qu’on donne à la mort. Dans la culture narcissique dont nous sommes saturés, le Moi, Moi, Moi se vit comme s’il n’avait rien avant lui et après lui.
Le traitement des morts
Avec un certain malaise, un entrepreneur de pompes funèbres disait : « De plus en plus souvent, les familles veulent qu’on passe tout de suite leur défunt au four. » Redisons-le, le traitement de ses morts marque le degré d’humanité d’une société et de ses membres. Heureusement, il y a encore des rites funéraires laïques ou religieux de belle et grande qualité et parfois avec une admirable dignité. Mais on ne saurait renvoyer sous le tapis le problème répandu de l’appauvrissement des rites communautaires de deuil.
-De toutes les croyances, celles de l’après mort ont périclité.
-La réduction de l’adieu à la symbolique des cendres rétrécit l’espace du deuil et son humanisation dans le partage communautaire des peines, des souvenirs autour du corps, et le riche symbole mort-vie dans sa mise en terre.
-En deçà et au-delà des croyances ou des non croyances, il y a une quasi disparition du sacré de la mort. Des esprits plus critiques disent que le monde occidental a pratiquement tout désacralisé depuis deux siècles. La mort en est l’ultime évacuation.
-Des psycho-sociologues évoquent surtout le règne de l’immédiat sans mémoire ni futur. Le four crématoire, comme seul lieu s’y prête pour ceux qui ne veulent même pas y penser.
Encore plus inquiétant est le fait que la business funéraire assume toutes les démarches autour de la mort et ses adieux. Démarches toutes financiarisées.
« On va s’occuper de tout »
Il y a de quoi réfléchir après l’aide médicale à mourir dans la dignité.
La loi sur l’aide médicale à mourir réduit le sens de la mort humaine à une logique et une pratique médicale.
Il y a beaucoup d’autres sens et enjeux humains fondamentaux que j’ai soulignés dans mon texte.