L’amour au temps de la distanciation
Par Journal-le-nord
Les livres tapissaient tous les murs de son salon. Les bibliothèques se succédaient à la file indienne pour faire le tour presque complet de la pièce. Seules les plantes et quelques meubles faisaient office d’intrus dans ce salon si particulier. Il y régnait cette odeur de livre nouvellement acheté, mélangé avec un brin d’humidité. Les oeuvres nouvellement acquises étaient soit de seconde main ou neuf, en format poche dans des librairies indépendantes, ceci par profonde conviction d’achat responsable de sa part. Tous y étaient disposés par ordre alphabétique et ce, sans distinction de styles. Sur un minuscule bureau face à la fenêtre, trainaient crayons et feutres utilisés à noter certains passages de roman. Un ordinateur ac- compagné de babioles ramassées au gré des randonnées, ainsi morceaux de bois, feuilles rougies par l’automne et autres objets de nature complétaient l’ameublement.
Cette pièce était l’antre de Paul-Émile, son univers, où il passait le plus clair de son existence. Partageant son temps entre la lecture, bercé par une musique en sourdine, de longues marches quotidiennes et sa cuisine. La vie s’écoulait doucement sans embûche ni questionnement. Nous pourrions sans se tromper dire que Paul-Émile était habité de vieillottes habitudes.
Mais depuis la venue de la COVID-19 voilà que ses lectures ou ses marches quotidiennes ne suffisaient plus à le satisfaire. Le confinement qui avait été jusqu’ici une un rempart entre lui et la civilisation deve- nait aujourd’hui un synonyme de prison. Il devait sortir. Bien sûr en respectant les distanciations mais cette obligation devenait maintenant plus pénible au fil des jours et des rencontres avec Marie-Louise.
Leur premier contact visuel tel que se plaisait à le nommer Paul-Émile était survenu par une maladresse lors d’une promenade d’après-midi. Ainsi les deux avaient hésité à se déplacer d’un côté ou de l’autre afin de respecter le fameux 2 mètres de distance. Mais voilà qu’à force d’hésiter il y avait eu une confu- sion et un sourire. Puis au fil de leurs rencontres subséquentes, quelques mots échangés. Toutes les fois Paul-Emile se retournait pour la regarder continué son chemin et toutes les fois, Marie-Louise se retour- nait pour le saluer tendrement en lui promettant à demain par un signe de la main. Les premiers mots un peu confus de la part de Paul-Émile venait du fait qu’il se remémorait un passage d’un livre qu’il venait d’entamer. Mais aussi qu’il avait perdu l’habitude de parler aux humains. Il avait alors laisser le silence faire son chemin et écouter la jolie voix de cette rencontre fortuite.
Au fil des jours les mots retenus étaient devenus, paroles et présentation. Historique de leurs vies res- pectives et énumérations des passions qui les habitaient. Marie-Louise , 78 années d’existence, profes- seur de littérature, divorcée et mère de deux enfants et jamais remarié depuis des décennies, amante de littérature, de randonnées citadines et de vie rangée. Seule et heureuse de l’être. Lui, 76 ans et 7 mois pour être précis, comptable de formation, veuf depuis des décennies avec un enfant, vivant en banlieue. Amoureux de littérature, randonnées citadines et vie rangée. Par contre, ils étaient, chacun de leurs côtés perturbé par la présence de l’un et de l’autre. Ils avaient toujours respecté la distanciation prescrite mais voilà que leurs vieux corps en espéraient un peu plus.
Marie-Louise fût la première à élaborer une thèse de rapprochement. Ainsi les deux étaient confinés de- puis des semaines sans avoir de symptôme. Alors ils pouvaient donc se rapprocher compte tenu que la Covid-19 semblait les avoir épargné. Paul-Émile de son côté imposa un moment de réflexion pour analy- ser cette proposition. Pause qui ne dura que quelques minutes, réflexions faites cela tombait sur le bon sens. Ils convinrent de se rapprocher chacun d’un pied par jour. Ce supplice commun dura 3 jours, le jour arriva où ils purent se toucher. Au début leurs mains s’effleurèrent lentement, Paul-Émile caressa délica- tement la joue de sa belle pour enfin l’embrasser tendrement. Après ce moment de grâce ils acceptèrent d’un commun accord de se prendre la main et de marcher ensemble.
Puis un jour, Marie-Louise, elle si ponctuelle à leur rendez-vous, ne se présenta pas. Paul-Émile inquiet attendit le lendemain ou encore Marie-Louise s’absenta. Pour une raison qu’il ignorait, jamais avaient-ils spécifié leurs adresses ou leurs numéros de cellulaires. Ces rencontres d’un commun accord devaient être leurs jardins secrets. Il devint alors scénariste des pires conclusions. Il revint aux endroits partagés ou se disait-il, que les lieux visités gardent la mémoire des évènements. Dans ces espaces vivaient les empreintes de leur court amour.
Aujourd’hui le troisième jour Marie-Louise était assise sur le banc qu’ils affectionnent tous deux. Paul- Émile s’y assis lentement. Un larme coule sur la joue de son amoureuse. Cette dernière prend un grand soupir et lui dit entrecoupé de sanglots qu’elle avait quelques symptômes apparentés à cette maudite pandémie. Qu’elle était allé passer le test et attend les résultats sans grand espoir. Que même ses en- fants ne sont pas au courant, de peur de les alarmer, sans savoir si le mal est en elle ou non.
Paul lui prend alors la main et lui dit amoureusement : « Va chez toi prend quelques affaires et ton pyja- ma et viens me rejoindre, je t’attend ici ».
« Paul-Émile si je te contamine tu mourras » qu’elle lui murmure.
Paul de lui répondre « tu m’as déjà contaminé et ce, depuis longtemps ».
Le regard encore apeuré elle se lève et part.
Paul n’est maintenant sûr que d’une chose, l’amour qu’il porte à ce petit bout de femme est plus fort que tout. Marie revient d’un pas hésitant, portant son menu bagage et aussi ses minces espoirs, convaincue que son amour pour Paul aussi nouveau et précipité soit-il, est plus fort que tout.
Ils ont entendu en ligne à la SAQ et se sont acheté pas une, mais deux bonnes bouteilles de vin. Paul a fait un souper pâtes et sauce tomates et romarin au goût des plus subtil que Marie a plus, qu’apprécié. Ils ont fait la vaisselle dans la fragilité de quelques silences. Puis naturellement ce sont installé au salon pour y lire appuyés l’un sur l’autre
Au moment de se mettre au lit une petite hésitation entre les deux, que Paul s’empresse de tourner à la blague en disant que ces attributs masculins ne sauraient présentement combler les désirs fougueux de sa belle invitée, du moins pour l’instant. Ce qui a pour effet d’alléger la situation.
Ils s’embrassent tendrement caressant leurs cheveux respectifs explorant mutuellement leurs épaules et leurs visages. Marie pleure dans le creux des épaules de son amoureux . Ce dernier la console du mieux qu’il peut avec ses vieilles mains. Ils s’endorment en cuillère et le bras de ce vieil amant enveloppe le corps frêle de sa maîtresse. Cette dernière s’endort inquiète mais heureuse comme elle ne l’a pas été depuis des lunes. Maudissant le destin incertain qui se dessine et qui lui échappe.
Quelques jours plus tard Marie hésite encore de prendre le message indiqué sur son cellulaire. Un matin, l’image du soleil qui brille et entre en éblouissant au passage la poussière qui enveloppe les livres sur les bibliothèques lui donne alors le courage qui lui manquait. Elle s’enferme dans la minuscule salle de bain de Paul. En prenant une grande respiration elle écoute, sans le vouloir. Son amoureux, l’oreille collé à la porte écoute du mieux qu’il peut.
Entre les quintes de toux profonde, elle pousse la porte doucement et regarde celui qu’elle aime depuis peu mais qu’elle ne veut plus quitter à partir de maintenant .
Diagnostic … une bonne bronchite.
Les deux pleurent, mais cette fois-ci, d’une joie si simple qu’elle pourrait être touché du bout des doigts.
Marc Desjardins Avril 2020