La solidarité pour s’en sortir
Par Daniel Calvé
Dossier : Violence conjugale
« Chaque femme qui perd la vie, c’est un deuil profond. Mais en même temps, il faut le transformer pour amener à ce que les changements se produisent. » – Fannie Roy
La violence conjugale se retrouve présentement au cœur de notre actualité et ce n’est pas étranger au fait que des homicides conjugaux envers des femmes et des enfants ont été commis dans les dernières semaines. « Depuis que je travaille en maison d’hébergement, il n’y a pas eu une année où il y a eu moins de 10 femmes ou enfant assassinés. C’est cette constance-là qui est inquiétante », affirme la coordonatrice de la Maison d’Ariane.
On aborde le délicat sujet avec deux spécialistes dans le domaine, Fannie Roy et Danielle Leblanc. Le constat est clair : il y a des solutions et surtout, il y a de l’espoir. Il y a des moyens pour les femmes de se sortir d’un contexte de violence conjugale de manière sécuritaire, et de reprendre le contrôle sur sa vie. Et ces moyens, ces deux femmes les connaissent. Ne reste plus qu’à les écouter, déconstruire des mythes, et bâtir collectivement un système qui soutient les femmes, les valide et les protège, en plus de responsabiliser les hommes devant leurs actions.
Comprendre la violence conjugale et ses enjeux
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la violence conjugale ne se restreint pas à un cadre précis. Fannie Roy et Danielle Leblanc la décrivent davantage comme « un continuum de violence ». C’est un enjeu nuancé et dont les réalités varient d’une personne à l’autre. Elles déconstruisent aussi un mythe qui persiste : il n’y a pas de portrait type de la femme victime de violence conjugale, comme il n’y a pas de portrait type de l’homme violent.
Fannie affirme que non seulement, la violence conjugale trouve son origine dans les rapports inégaux entre les hommes et les femmes, mais
aussi dans cette légitimité, encore présente, qu’ont les hommes à maintenir un contrôle sur les femmes. « La violence, c’est un comportement qui est choisi pour avoir des gains, réduire la liberté et assurer que ce soit en fonction de ses besoins à lui, que les choses évoluent, et non en fonction de ceux des femmes et des enfants », soutient-elle.
L’enfant se retrouve, en effet, eu centre des contextes de violence conjugale. « La violence qu’exerce les hommes sur la mère de leurs enfants, c’est une violence directe envers l’enfant », dit avoir constaté Fannie Roy. « C’est le système judiciaire qui doit prendre en compte l’intérêt de l’enfant. Et il faut le déterminer en évaluant s’il y a présence de violence conjugale », affirme pour sa part, Danielle Leblanc. « Je suis restée pour les enfants et j’ai quitté pour les enfants. » Tels sont de fréquents propos que Fannie et Danielle ont entendus au cours de leur implication.
La violence post-séparation et les risques qui s’accroient lors de la rupture, sont aussi des enjeux que les deux femmes souhaitent mettre de l’avant. Lors de rencontres avec des juges qui pratiquent en chambre de la jeunesse, Danielle a pu y dresser un préoccupant constat : « Tous les juges qui étaient présents n’avaient jamais entendu parler de la violence conjugale post-séparation. Dans la tête des gens, la majorité du temps, il y a un contexte de violence conjugale, il y a une rupture, et c’est terminé », poursuit-elle. Mais c’est tout le contraire, que nous révèle les deux femmes. La rupture définitive est un moment des plus délicats du cheminement de la femme, et la violence risque toujours de se poursuivre, même suite à la séparation.
La formation, la solution
C’est précisément pour ce genre de raisons, que la formation des professionnels est au cœur des solutions pour remédier à la problématique. « Je suis persuadée que c’est par la formation et la sensibilisation qu’on va arriver à lutter contre cette problématique et toutes les formes de violences faites aux femmes », affirme Danielle Leblanc.
Fannie nous explique que le regroupement a développé un programme de sensibili-sation de promotion des rapports égalitaires qui s’adresse à un public de la petite enfance. « Plus tôt les garçons et les filles du Québec seront en lien avec une socialisation non stéréotypée où on propose des modèles d’égalité entre les hommes et les femmes, et mieux ira notre société dans les années à venir », souligne la coordinatrice.
La formation des professionnels est d’autant plus importante que des études révèlent que c’est précisément certaines de leurs interventions, qui sont déterminantes dans le cheminement et la reprise du pouvoir d’une femme victime de violence conjugale. Une recherche a été réalisée dans laquelle les femmes nomment ce qui a porté sens pour elles, dans le processus socio-judiciaire: Si elle a été écoutée, validée dans son vécu, si le policier lui a parlé du cycle de la violence conjugale, s’il lui a parlé des différentes formes de violence, etc. Plus les policiers sont informés, et plus ils seront en mesure d’intervenir de manière bienveillante.
Responsabiliser les hommes
Il ne faut pas oublier, qu’avant toutes ces démarches pour protéger la femme et la sortir d’un contexte de violence conjugale, il y a ces hommes qui usent de violence. Il s’agit de l’élément déclencheur du cheminement à travers duquel doivent évoluer, non sans difficultés, les femmes qui en sont victimes.
« Le problème, c’est avant la violence », affirme le directeur général d’Accroc, un organisme venant en aide aux hommes et aux adolescent-es qui ont des comportements violents, et qui collabore avec la Maison d’Ariane. « ll y a peu de ressources pour les hommes, sauf s’ils utilisent des comportements de violence. Mais on ne veut pas en arriver à ce qu’ils utilisent la violence. Il faut les aider en prévention », poursuit Steeve Mimeault. Selon lui, une partie de la solution se retrouve dans l’éducation et la déconstruction des stéréotypes des genres. « Il faut encourager les hommes à consulter. Ce n’est pas lâche de consulter, c’est l’inverse; c’est de prendre son courage à deux mains. »
« Les interventions qui sont faites auprès des hommes qui exercent de la violence doivent les responsabiliser par rapport aux gestes qu’ils commettent. […] Quand ils réussissent à passer à travers le système judiciaire, ça renforcit leur sentiment de légitimité d’avoir agi en toute impunité. Et qu’il n’y ait aucune conséquence aux gestes de violence et que ce soit la femme qui ait toutes les conséquences », souligne Danielle Leblanc.
Un bel exemple de solidarité féminine
Fannie Roy et Danielle Leblanc soulignent tout de même, qu’à travers un enjeu préoccupant, se dessine dans l’entourage où elles évoluent, de belles histoires de résilience et de solidarité. Elles sont les témoins privilégiées de femmes qui ont retrouvé un pouvoir sur leur vie. « Les femmes qui s’en sortent, elles ont souvent de lourdes dettes ou se retrouvent avec une santé mentale et physique à reconstruire. Mais elles nous disent tout de même, qu’elles sont contentes d’être parties, c’est ce qu’elles devaient faire. »
Les maisons d’hébergement, ce sont aussi des lieux où se manifeste une belle solidarité autant entre les femmes que les enfants. « Les femmes n’arrivent pas toutes en même temps, dans un état de crise », souligne Danielle. « Il y en a qui sont capable d’accueillir les suivantes. Les enfants font aussi l’accueil des autres enfants. […] C’est un lieu de solidarité, de respect et de sécurité ».
Ce qu’il ne faut surtout pas, au sujet des manchettes qui défilent en actualité, c’est que la peur se cristallise et paralyse les femmes. « Elles ont droit à leur liberté, elles ont droit à leur sécurité », affirme Fannie Roy.
La violence conjugale, c’est quoi au juste?
« La violence conjugale est une prise de contrôle du conjoint qui, par différentes stratégies parvient à réduire la liberté et le pouvoir de la femme. Les gestes violents posés par le conjoint, ex-conjoint ou ami intime et ce, tant sur la plan physique, psychologique, économique, sexuel que verbal sont une atteinte grave aux droits des femmes (liberté, sécurité, intégrité) »
Source : Dépliant Maison d’Ariane
La Maison d’Ariane c’est :
- Un ensemble de services gratuits, confidentiels, sécuritaires et volontaires.
- Un service d’écoute, de soutien, de référence et de consultation téléphonique est en fonction 24 heures par jour, 7 jours sur 7.
- 17 places réparties en 9 chambres
- L’accompagnement de femmes et d’enfants victimes de violence conjugale dans la reprise de pouvoir sur leur vie.
2 commentaires
Bravo pour le bel article; tant les journalistes Ève et France que Fannie et Danielle. Je l’imprime pour le faire lire aux femmes hébergées à notre maison d’aide et d’hébergement. C’est vraiment complet et clair! Chantal Tanguay, directrice de La Gîtée
Merci pour votre article et cette action. Plasticienne, J’ai réalisé pour la Journée des Femmes 2018 et 2019 une installation dans un centre d’art sur le violences faites aux femmes. Intitulée « Loi n°2010-769 », elle rend tristement hommage aux 130 femmes décédées en 2018 et 141 en 2019 en France et à toutes les autres décédées dans le monde, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/loi-n2010-769_2.html
Et aussi « This is not consent » sur la culture du viol : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html
Ces séries ont été présentées à des lycéens. Quand l’art contemporain ouvre le débat ?