La 51e État : Brasser de la bière 100 % québécoise
Par Simon Cordeau
En réponse aux menaces d’annexion de Trump, Shawbridge sort la 51e État : une blonde faite à 100 % d’ingrédients québécois, avec une levure d’ale et un houblonnage à froid de Hydra. « C’est un nouveau houblon de cette année, qui pousse pas loin de Québec. Il a un petit côté fruité. Donc j’ai utilisé une levure qui a un petit goût de banane, qui s’harmonise bien », explique Jonathan Morin, chef brasseur de Shawbridge.
« On a entendu dire que certains voudraient faire du Canada le 51e État américain… Drôle d’idée ! Nous, on préfère rester maîtres de notre houblon. […] À Shawbridge, on ne fait pas de politique (ou presque), juste de la maudite bonne bière avec des produits d’ici, parce que c’est ça, notre vraie identité », souligne Hugues Néron, fondateur de Shawbridge.
Mais avant même sa sortie, la 51e État a créé la controverse. Clients et commentateurs ont critiqué son étiquette, qui montre un castor avec des fleurs de lys dans les lunettes et un « Non » dans la feuille d’érable de son veston, devant un drapeau américain, la considérant ambiguë. « Choquant » ou « de mauvais goût », peut-on lire sous la publication Facebook, alors que d’autres saluent « l’audace » et « l’humour ».
Cela dit, le coup de pub à fonctionné : la 51e État était déjà un succès auprès des épiciers et des magasins spécialisés. « Elle s’est vendue en trois jours. On a dû arrêter les ventes ! On voulait en garder pour le P’tit magasin, à Prévost. Notre priorité, si les gens se déplacent, c’est qu’on en ait », raconte Jonathan.
Il ne sait pas encore s’il en brassera une autre cuvée. « On attend de voir la réaction du consommateur. La microbrasserie, c’est une industrie de nouveautés. Donc c’est une bière exclusive, et notre but n’était pas d’inonder le marché. Le but, c’était de dire qu’on est 160 travailleurs québécois fiers d’être ici, et qu’on encourage d’autres entreprises autour de nous. »
Des ingrédients d’ici
La recette de la 51e État est dérivée de la Ride de kayak, la kölsch de Shawbridge. L’hiver, Jonathan en profite pour faire des tests, explique-t-il, avec de nouveaux ingrédients ou de nouvelles combinaisons, afin d’améliorer continuellement ses recettes et d’en développer d’autres. « Ça me tentait d’essayer le Hydra, et j’ai aimé le résultat. […] C’est pour ça que c’est l’fun d’avoir deux pubs [à Prévost et à Saint-Sauveur] : je peux faire des barils et servir des bières exclusives. Là, on a décidé d’y aller en canette », raconte le brasseur.
Pour brasser ses bières, Jonathan utilise le plus possible des ingrédients québécois. Heureusement, cela est de plus en plus facile, explique-t-il. « Pour les houblons, ça commence à bien se développer. Pour les grains, il y a plusieurs malteries au Québec. Mais il y a 10 ans, ce n’était pas ça. C’était phénoménal, une microbrasserie comme Les Trois Mousquetaires, qui brassait une bière entièrement québécoise. Il fallait qu’ils changent leurs recettes. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile de faire des substitutions. »
Selon le brasseur, mettre en valeur notre terroir est très important. « Nos grain goûtent différents des autres, parce qu’on n’a pas du beau temps à l’année. Il faut mettre ça de l’avant. Ce sont aussi des décisions : au lieu de prendre de l’ananas, on peut aller vers le bleuet ou la camerise, qui sont québécois. Même chose pour les grains : au lieu de prendre un grain chocolat d’ailleurs, on peut le substituer par un grain caramel d’ici », illustre-t-il.
Cette proximité avec les fournisseurs a aussi de nombreux avantages, souligne Jonathan. « Ce que je trouve l’fun, avec un malterie au Québec, c’est que je peux les appeler. Et je peux faire développer un produit unique, juste pour nous. Le service vient aussi avec ça. Oui, tu vas payer un peu plus cher, mais en même temps, ils vont faire des pieds et des mains pour te satisfaire. »
« Je préfère être le plus gros client d’un petit fournisseur, qu’être le plus petit client d’un gros fournisseur », illustre le chef brasseur de Shawbridge.
Se rapprocher
Mais Jonathan Morin n’utilise pas que du grain et du houblon pour brasser ses bières. Il ajoute aussi de la vanille dans la brown ale Ours assoiffés, du café dans la stout Curé-Labelle, du sirop d’érable dans La Coulée, du jasmin ou de l’orange dans ses blanches, etc. Certains ingrédients se retrouvent au Québec, comme le miel de la Saint-Sau qui vient d’un apiculteur local.
Mais pour d’autres ingrédients, il doit aller voir ailleurs. « Quand je n’ai pas le choix, je vais quand même les acheter à un intermédiaire québécois. Comme ça, je lui donne à côte à lui. » Par exemple, le café vient de la Brûlerie des monts, à Saint-Sauveur.
« Pour les oranges et les agrumes, ce sont tous des rejets d’épicerie », ajoute Jonathan. Il fait affaire avec un organisme qui transforme et redistribue ces « petits rescapés ». « Ce sont des fruits trop petits ou trop mûrs pour l’épicerie, parce qu’il sont à consommer maintenant. Mais ça me donne un fruit hyper sucré. Toutes nos limonades sont faites avec ça. »
Cela dit, les menaces tarifaires de Trump cause quand même quelques maux de tête au brasseur. « Les canettes sont notre plus grand défi. L’aluminium est faite au Québec, mais il est transformé aux États-Unis. Ça pose problème si ça passe les douanes deux fois de suite. »