Insécurité alimentaire : Le visage de la faim change
Par Ève Ménard
En mars 2024, plus de 25 000 personnes ont eu recours à l’aide alimentaire dans les Laurentides, nous apprenait le Bilan-Faim il y a un mois. Au-delà des chiffres, la situation est encore plus complexe, voire même plus grave, sur le terrain.
Le Journal est allé à la rencontre de deux organismes situés dans la région, d’usagers qui fréquentent les comptoirs d’aide alimentaire et de bénévoles qui travaillent à la distribution des denrées.
Jongler avec la demande et la quantité de denrées
La distribution de l’aide alimentaire se déroule les mercredis à l’Ami-e du Quartier, qui dessert le quartier Notre-Dame à Saint-Jérôme. Le matin, les bénévoles s’affairent à trier les denrées, à les dénombrer et à les installer sur les tables, qui sont organisées en différentes sections. Par exemple, il y a la section des boissons, celle des yogourts, compotes et puddings, une section de pains et de desserts, et d’autres pour le cannage, les produits surgelés, et les fruits et les légumes. Pour chaque section, les usagers peuvent prendre une certaine quantité d’aliments, selon la composition de leur ménage et de la quantité de denrées cette semaine-là.
Le matin du 20 novembre, il y a moins de denrées et beaucoup de familles. « On approche les Fêtes, donc il y a vraiment plus de participants », souligne Virginia, employée à l’Ami-e du Quartier. Les quantités sont donc déterminées en conséquence. « Ça va être un dessert par ménage, vu que je suis serrée cette semaine, même pour les familles de cinq et plus », indique Lyne Piché, bénévole à l’organisme depuis huit ans.
Non seulement les besoins augmentent, mais l’approvisionnement est plus difficile pour les comptoirs d’aide alimentaire. « Moisson [Laurentides] a de plus en plus de difficulté à aller chercher des denrées », souligne Sophie Desmarais, ce qui a des répercussions sur les organismes desservis. « C’est très difficile. On a besoin d’amasser des sous, chose qu’on ne faisait pas avant, pour acheter de la nourriture. Avec l’explosion des personnes et la diminution [des denrées], ça veut dire que parfois, je n’ai même pas un cannage par ménage à donner. »
En moyenne, l’Ami-e du Quartier aide 80 à 100 ménages par semaine, grâce à ses services d’aide alimentaire. Au total, on parle d’environ 400 ménages aidées par année, indique la coordonnatrice générale. Cela peut représenter entre 1 200 et 1 500 personnes, précise-t-elle.
Le Garde-Manger des Pays-d’en-Haut doit aussi dépenser davantage pour compléter ses paniers. L’an passé, l’organisme à acheté pour 150 000 $ de nourriture, souligne Benoit St-Vincent. Le Garde-Manger dessert actuellement un total de 707 ménages. En une année, ce nombre peut s’élever jusqu’à environ 1 000 ménages aidés.
« Un gros coup de pouce »
Véronique Théberge fréquente le Garde-Manger des Pays-d’en-Haut. Elle a deux enfants de 6 et 17 ans. En avril dernier, Véronique s’est séparée pour des raisons de violence conjugale. Elle a alors tout perdu : ses vêtements et ceux de ses enfants, les jouets, ses papiers personnels, etc. Véronique raconte être arrivée au Garde-Manger démolie. L’organisme l’a aidée à se rebâtir. « Benoit [St-Vincent] a fait préparer des boîtes spéciales pour un début de garde-manger, avec, par exemple, du cannage, des épices, mais aussi des serviettes sanitaires et des produits qu’on n’a pas régulièrement dans les paniers », souligne-t-elle.
Véronique est actuellement en arrêt de travail, en raison d’un accident. Elle reçoit 90 % de son salaire de préposée aux bénéficiaires. Malgré tout, plus de la moitié de ses revenus passe dans son loyer, un 5 ½ à 1 500 $ situé à Sainte-Adèle. Aux deux semaines, elle reçoit quatre à cinq sacs de nourriture, qui lui permettent de compléter son épicerie. Elle y retrouve, entre autres, des sauces, de la viande congelée, des légumes, des fromages, du lait, des yogourts, du pain, des pâtes ou du riz. « C’est un gros coup de pouce », dit-elle. « Je ne pensais pas que j’en aurais besoin. Mais à un moment donné, il faut passer par-dessus son égo, s’adresser aux gens et être reconnaissant. »
Dans les deux organismes, le budget des usagers est analysé pour déterminer la fréquence à laquelle ils peuvent recevoir l’aide alimentaire. Lorsqu’elle analyse les dépenses et les revenus, Sophie Desmarais est surtout frappée par la hausse des loyers. « Il y a des gens qui payaient entre 500 et 800 $. Et ces mêmes personnes, aujourd’hui, sont rendus à 1 200, 1 300, 1 400, 1 500 $. Ça, ça fait mal », constate la coordonnatrice.
Nouveaux visages
La clientèle des organismes d’aide alimentaire se diversifie. Le Garde-Manger des Pays-d’en-Haut fait des distributions à différents endroits dans la MRC, dont à Sainte-Adèle, les lundis et les jeudis. Le comptoir du jeudi s’adresse spécifiquement aux étudiants et aux gens qui travaillent. « Ce comptoir-là est en train d’exploser. Il y en a plein, plein, plein. On a facilement un 30 % d’augmentation sur l’an passé », constate Benoit St-Vincent.
À Saint-Jérôme, Sophie Desmarais témoigne d’une augmentation des demandes d’aide chez les personnes âgées. « Quand tu vois des gens de 70 ans venir ici à la banque alimentaire, c’est d’une tristesse. Il y en a qui ont travaillé toute leur vie, qui ont leur pension, mais ce n’est pas suffisant pour une vie décente », dit-elle. L’Ami-e du Quartier accueille aussi beaucoup de familles dans le besoin, ainsi que des personnes réfugiées et immigrantes.
Comme au Garde-Manger, on remarque également que même des personnes salariées ont recours aux services d’aide alimentaire. « Les personnes qui travaillent au salaire minimum ou 2 $ au-dessus du salaire minimum n’y arrivent pas. Les loyers sont tellement chers. Et tu vas à l’épicerie, tout a augmenté. Donc c’est difficile », affirme Isabelle, qui travaille comme bénévole et qui bénéficie de l’aide alimentaire.
Julia (nom fictif) vient d’Algérie. Elle est arrivée au Québec il y a environ cinq mois, pour rejoindre son mari qui est ici avec un permis de travail. Ils ont aussi un garçon. Julia est actuellement sur un visa touristique, donc elle n’a pas le droit de travailler. Son mari travaille à un salaire d’environ 16 $ de l’heure. « L’aide alimentaire me permet d’économiser un peu pour d’autres choses, pour d’autres frais », souligne Julia. « Il y a certains trucs que je prends quand même à l’épicerie. Mais il y a beaucoup de choses, comme la viande, que je n’achète pratiquement pas », ajoute-t-elle.
Anouk Charette a fait son stage en éducation spécialisée à l’Ami-e du Quartier. Depuis qu’elle a eu sa petite fille, elle a besoin de l’aide alimentaire, qu’elle reçoit toutes les semaines. Puisqu’elle était aux études, Anouk ne reçoit aucun revenu durant son congé de maternité, explique-t-elle. Son conjoint, lui, travaille en entretien paysager. « J’ai transféré mes congés de la RQAP [Régime québécois d’assurance parentale] à mon copain, mais c’est seulement 75 % de son salaire », précise Anouk.
La famille est aussi en attente d’une allocation familiale. Mais pour l’instant, ils doivent vivre avec un seul revenu pour trois personnes. Leur appartement, un 4 ½ à Saint-Jérôme, leur coûte 1 200 $ par mois. Au moins, grâce à l’aide alimentaire, la famille va moins souvent à l’épicerie.
La faim prend de plus en plus de place
Sophie Desmarais travaille à l’Ami-e du Quartier depuis 26 ans. « Tu arrives à 25 ans et tu te dis que peut-être qu’un jour, tu n’auras même plus de travail. Et là, tu t’aperçois qu’au bout de 26 ans, ç’a empiré. À un moment donné, tu te questionnes aussi sur ta vocation. Voyons, est-ce que j’ai vraiment aidé ? Oui, il y en a qui s’en sont sortis, mais il y en aura toujours plus, parce que les facteurs de pauvreté s’aggravent », déplore la coordonnatrice. Au-delà de la détresse financière, il y a aussi toute la détresse psychologique et physique, remarque Sophie Desmarais. « Les problématiques sont de plus en plus difficiles », dit-elle.
L’été prochain, le Garde-Manger des Pays-d’en-Haut déménagera dans ses nouveaux locaux d’une superficie deux fois plus grande que l’emplacement actuel de l’organisme, au 100 rue Morin. « Quand les gens ont acheté ici il y a 10 ans, ils se disaient : “wow, enfin on va pouvoir travailler de façon confortable et prévoir la demande pour plus tard”. Mais ça fait deux ans que c’est saturé. C’est une drôle de réalisation. J’espère qu’avec 9 000 pieds carrés, je n’aurai pas besoin dans 10 ans de penser à changer de place ou à agrandir », souligne Benoit St-Vincent.
Les locaux de l’Ami-e du Quartier sont aussi devenus trop petits, constate Sophie Desmarais. « Nous sommes cinq personnes dans un bureau. Et c’est rendu qu’on loue des containers extérieurs pour mettre les choses », raconte la coordonnatrice. L’organisme n’a toutefois pas les sous nécessaires pour se relocaliser.
Les événements de collecte à venir
Le lundi 2 décembre, une collecte de denrées aura lieu au Buffet des Continents, à Saint-Jérôme, en vue du temps des Fêtes. Un repas gratuit sera offert en échange d’un minimum de 7 denrées non périssables par personne, qui seront remises à Moisson Laurentides.
Le 5 décembre, ce sera la Guignolée des médias. La Grande Guignolée de Moisson Laurentides s’échelonne pour sa part durant tout le mois de décembre. Il est déjà possible de faire des dons en argent ou de s’inscrire comme bénévole.
Le 14 décembre, la guignolée du Garde-Manger des Pays-d’en-Haut aura lieu. Il est déjà possible de faire des dons en argent.
Le 28 décembre, le Garde-Manger tiendra une journée Patine-Don, au Centre sportif des Pays-d’en-Haut. Les gens pourront venir patiner, en échange de dons en denrées ou en argent.