Immigration : S’intégrer par le français
Par Ève Ménard
L’immigration est régulièrement politisée, débattue et médiatisée au Québec. Mais derrière les chiffres, qui sont les nouveaux arrivants? Comment les accueille-t-on concrètement dans les Laurentides? Quels défis guettent les personnes immigrantes installées en région? Ce dossier se décline sur quatre éditions et propose d’aborder les enjeux de l’immigration, de détailler les services offerts aux nouveaux arrivants, et de mettre en lumière les belles histoires de nos communautés. Deuxième texte d’une série de quatre.
La francisation est souvent la prochaine étape qui attend les personnes nouvellement logées dans les Laurentides, selon leurs besoins respectifs.
Liudmyla est une mère ukrainienne arrivée dans la région en mars 2022. Elle a entamé des démarches pour obtenir une place en francisation en décembre. Plus de trois mois plus tard, le 27 mars, elle commence enfin ses cours. Elle attendait ce moment avec impatience. « J’ai besoin de la langue pour m’intégrer à la société. Je veux me sentir libre dans les magasins. Je veux aller aux rencontres de parents. Je veux être ici avec vous et me sentir libre, en français », explique-t-elle. Liudmyla travaille à temps partiel comme surveillante sur l’heure du midi à l’école de la Vallée à Saint-Sauveur. Là-bas, elle apprend un peu le français. Mais ce n’est pas suffisant, dit-elle. Éventuellement, Liudmyla veut travailler à la mairie de Saint-Sauveur, dans l’administration. « J’ai besoin d’un bon français pour ça. »
Nouvelle classe au Carrefour du Nord
Depuis le 27 mars, Liudmyla apprend le français dans une nouvelle classe offerte par le Centre de formation générale des adultes de la Rivière-du-Nord (CFGA). Les locaux sont situés au Carrefour du Nord. Heureusement, Liudmyla covoiture avec une autre famille qui a débuté les cours en même temps qu’elle. Sinon, il faudrait qu’elle prenne des autobus, de Saint-Sauveur à Saint-Jérôme, puisque son mari utilise la voiture pour le travail. Le transport est un défi supplémentaire dans les Laurentides.
La francisation pour les adultes est majoritairement offerte à Saint-Jérôme, notamment par le CFGA et au Cégep de Saint-Jérôme. Le niveau de scolarité distingue la répartition de la clientèle, entre ces deux établissements. Les personnes avec un niveau de scolarité plus élevé, équivalent par exemple au niveau post-secondaire, seront davantage orientées vers le Cégep. Les nouveaux arrivants qui n’ont pas complété le secondaire ou le primaire seront souvent dirigés vers le CFGA.
Des offres se développent également ailleurs sur le territoire. En novembre dernier, une classe de francisation a ouvert ses portes à Sainte-Adèle, au Centre de formation générale aux adultes des Cimes. « Pour les gens plus au nord, s’ils n’ont pas de voiture, ça peut être difficile de se rendre à Saint-Jérôme », indique Line Chaloux, directrice générale au Coffret. L’organisme soutient d’ailleurs les nouveaux arrivants dans leurs démarches en francisation et offre du dépannage. « Il y a des listes d’attente, donc nous avons aussi de petits ateliers en francisation. Ce sont deux demi-journées par semaine, en attendant le début des cours », explique Mme Chaloux. Et même pour accéder à ces ateliers, il y a de l’attente.
La demande augmente
« Plus ça va, plus ça grossit », affirme Magali Bourque, directrice adjointe au Centre de formation générale des adultes et responsable de la francisation. Le CFGA offrait normalement trois classes de francisation dans les locaux du Carrefour du Nord : une en alphabétisation, une qui comprend les niveaux 1 à 3 et une autre, les niveaux 4 à 8. Depuis le 27 mars, une quatrième classe s’est ajoutée. Elle est composée de personnes de niveau 1 uniquement. Les participants ne parlent pas du tout – ou très peu – français. Les classes sont composées d’entre 15 et 24 élèves environ. Les cours se déroulent en journée, du lundi au vendredi, à raison de 25 heures par semaine.
Les motifs sont variés pour vouloir suivre des cours de francisation. Majoritairement, c’est pour le travail, indique Magali Bourque. Sinon, c’est pour permettre un retour aux études, pour obtenir la citoyenneté ou simplement pour apprendre le français.
Jumeler le travail et les cours
Amilie Hétu est enseignante dans la classe des élèves des niveaux 4 à 8. Une des conditions à l’obtention de la citoyenneté canadienne est de posséder un niveau 4 en français. À ce niveau, on consolide, explique l’enseignante. « L’objectif est que l’élève puisse se débrouiller de façon autonome dans toutes les sphères de sa vie », ajoute-t-elle. À partir du niveau 5, l’apprentissage comprend un peu plus de grammaire, notamment. « On veut que l’élève puisse analyser et écrire des textes un peu plus long. C’est utile s’il veut faire des études plus poussées. »
L’enseignement découpé en différents niveaux constitue un défi particulier dans les classes de francisation. « Le multi-niveaux, dans les régions, c’est un frein », constate Amilie Hétu. « Quand on est à Montréal et qu’on a un seul niveau dans notre classe, ça avance bien, ça avance vite. » La classe d’Amilie est présentement composée de 13 élèves. Mais c’est une classe à entrée continue. À chaque deux semaines, de nouveaux élèves peuvent arriver. Dans la classe de l’enseignante, il y a plusieurs pères et mères qui doivent subvenir aux besoins de leur famille. « J’ai beaucoup d’élèves qui travaillent 30 à 35 heures par semaine, en plus des cours de francisation », remarque Mme Hétu.
Plus de temps partiel et moins de temps plein
Le Cégep de Saint-Jérôme, en collaboration avec le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), favorise la flexibilité pour accommoder la réalité des personnes immigrantes et répondre à la demande.
Depuis environ deux ans, le demande de temps plein diminue alors que celle en temps partiel augmente considérablement. « Ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi », affirme Pierre-Luc Tremblay, directeur de la formation continue au Cégep de Saint-Jérôme. « Ça veut dire que les gens qui ne maîtrisent pas le français sont en mesure de se placer en emploi, qui est un fort levier d’intégration. » Il y a actuellement 3 classes de jour à temps complet au Cégep, 5 classes de jour à temps partiel et 9 classes de soir à temps partiel, pour un total de 309 élèves. Cinq autres groupes sont prêts en en attente d’approbation ou de démarrage par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. On parle de 100 nouveaux élèves.
La pénurie d’enseignants est un défi de taille pour répondre à la demande en francisation, constate M. Tremblay. Dans l’organisation des horaires, on tente du mieux possible de maximiser les ressources.
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