Immigration : Qui accueille-t-on dans les Laurentides ?
Par Ève Ménard
L’immigration est régulièrement politisée, débattue et médiatisée au Québec. Mais derrière les chiffres, qui sont les nouveaux arrivants? Comment les accueille-t-on concrètement dans les Laurentides? Quels défis guettent les personnes immigrantes installées en région? Ce dossier se décline sur quatre éditions et propose d’aborder les enjeux de l’immigration, de détailler les services offerts aux nouveaux arrivants, et de mettre en lumière les belles histoires de nos communautés. Premier texte d’une série de quatre.
Depuis 1990, le Québec est doté d’une politique de régionalisation de l’immigration visant à augmenter la migration vers les régions. Bien que la population immigrante s’installe encore majoritairement dans les centres urbains, les Laurentides accueillent de plus en plus de personnes immigrantes. En 2016, la population immigrante représentait 5,3 % de la population totale dans la région. En 2021, elle s’élevait à 7 %.
Marie-Laure Dioh est une chercheuse se spécialisant en immigration régionale. Depuis 2016, elle se consacre plus spécifiquement aux Laurentides. Selon elle, il y a matière à s’y intéresser. Peu de recherches ont été menées dans la région qui, pourtant, accueille une cohorte importante de personnes immigrantes.
Madame Dioh, également professeure à l’UQO, croit beaucoup à la régionalisation en immigration. Mais elle constate que les moyens n’y sont pas pour assurer la rétention des personnes immigrantes. « Politiquement, on est conscient que les régions ont besoin d’être revitalisées, mais on ne met pas les moyens qu’il faut pour aider ces régions », dit-elle. Selon la chercheuse, les raisons qui poussent des personnes immigrantes à quitter les régions pour les villes sont les mêmes qui incitent des Québécois de naissance à le faire également : il manque de ressources.
Adapter les services au type de clientèle
Dans les Laurentides, l’organisme régional en matière d’immigration est le Coffret. Depuis 1991, le Coffret a pour mission d’aider les nouveaux arrivants à s’établir dans les Laurentides. En 2022, l’organisme a desservi 432 personnes, dont les profils varient et nécessitent une intervention adaptée.
La population immigrante permanente admise au Québec est regroupée en trois catégories. Il y a ceux qui arrivent pour le travail (immigration économique), ceux qui rejoignent des membres de leur famille (le regroupement familial) et ceux qui quittent des situations dangereuses (les réfugiés). Entre 2008 et 2017, le Québec a admis en moyenne 51 230 personnes immigrantes permanentes par année. Mais c’est sans compter l’immigration temporaire et irrégulière, qui est de plus en plus significative.
« Il faut adapter nos services à cette nouvelle réalité », dit Line Chaloux, directrice générale au Coffret. L’organisme intervient auprès de différents types de clientèle : réfugiés, immigrants temporaires, demandeurs d’asile ou personnes parrainées, entre autres. En 2022, les travailleurs temporaires ont été les plus nombreux à faire appel aux services du Coffret. Ça s’explique notamment par la guerre en Ukraine. L’organisme a accompagné une centaine d’Ukrainiens. Ils se sont installés majoritairement dans la MRC de La Rivière-du-Nord, mais également dans les Pays-d’en-Haut et dans Argenteuil.
Le Coffret et les Laurentides accueillent également plusieurs réfugiés pris en charge par l’État. Saint-Jérôme est l’une des 13 villes désignées comme terre d’accueil pour ces réfugiés. Ils sont sélectionnés dans des camps et arrivent sur le territoire québécois avec le statut de résident permanent. Au Coffret, ils viennent souvent d’Afrique. Un volet d’intervention est d’ailleurs dédié à la population d’ascendance africaine et coordonné par Marie-Josée Gicali.
Équilibre entre intégrer et valoriser
« Les défis sont grands pour les personnes qui viennent des camps de réfugiés. Il y a des traumatismes, ils ont vécu la guerre, c’est particulier », souligne Mme Gicali. « On n’a pas idée de ce qui se passe ailleurs, c’est vraiment affreux. Ces gens-là ne viennent pas voler nos jobs. Ils viennent pour sauver leur vie et celle de leurs enfants », ajoute Line Chaloux.
Dans son approche, le Coffret favorise d’ailleurs une valorisation de la culture d’origine. Le Méridien 74, qui accueille l’organisme, se veut un espace de partage et d’interaction. Plusieurs formes de jumelage existent, afin de briser l’isolement et de favoriser la rencontre. Entre autres, il y a du jumelage interculturel entre Québécois de naissance et nouveaux arrivants, du jumelage jeunesse dans les écoles et du jumelage communautaire qui met en lien le nouvel arrivant avec sa communauté d’origine. « Si la personne vient de la Côte d’Ivoire, on lui présente des gens de la Côte d’Ivoire », illustre Line Chaloux.
« La meilleure intégration, ce n’est pas de se dépouiller de ce qu’on était, mais de garder le meilleur et de l’apporter avec soi pour enrichir la société d’accueil », affirme Marie-Josée Gicali.
Difficile à chiffrer
Du moment que des réfugiés pris en charge par l’État arrivent à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration s’occupe de les amener jusqu’à Saint-Jérôme, où le Coffret prend le relais. D’abord, ils sont hébergés de manière temporaire dans un hôtel. « On évalue leurs besoins. On regarde par exemple s’ils souhaitent rejoindre de la famille installée ailleurs au Québec », explique Mme Chaloux. Il n’est donc pas automatique qu’un réfugié destiné à la région de Saint-Jérôme y reste.
D’ailleurs, il arrive souvent que les réfugiés, d’abord installés dans une région particulière, choisissent de quitter pour les centres urbains, où les ressources et les opportunités sont plus nombreuses, indique Marie-Laure Dioh. « Combien sont arrivés et combien restent à Saint-Jérôme, à ma connaissance, il n’y a pas d’étude qui se penche là-dessus », ajoute la chercheure.
De manière générale, chiffrer la population immigrante est un exercice complexe, surtout en région. Juste l’immigration temporaire complique la compilation des données. On ne sait pas si ces travailleurs ont quitté le territoire ou si, ultimement, ils obtiendront un statut de résident permanent. Les chiffres réels, on ne les connaîtra jamais, soutient Line Chaloux. La fondatrice du Coffret remarque d’ailleurs que certains Ukrainiens arrivés dans les Laurentides repartent finalement vers l’Europe. « On finit par perdre le compte », mentionne-t-elle.
Le logement, le premier frein
Le Coffret loge sa clientèle surtout à Saint-Jérôme, puisque la majorité des services s’y trouvent. Une fois qu’ils apprennent le français, trouvent un emploi ou s’achètent une voiture, il arrive fréquemment que des familles se déplacent ailleurs sur le territoire. Line Chaloux témoigne d’un certain roulement, en matière de logement. Le Coffret réussit à loger les réfugiés pris en charge par l’État, affirme la directrice de l’organisme. Ils ne restent pas plus de trois semaines à l’hôtel. « On réussit à les installer, mais dans quelles conditions ? », questionne Marie-Laure Dioh. Les logements abordables, ça n’existe plus, souligne Line Chaloux. « C’est une réalité invraisemblable », dit-elle.
« On parle parfois de famille de 7 ou 8 personnes qui se retrouvent dans un deux pièces », déplore Marie-Laure Dioh. « On fait du mieux qu’on peut avec les capacités qu’on a, mais il y a place à l’amélioration », poursuit-elle. La crise du logement complique l’accueil des nouveaux arrivants dans les Laurentides. Cet enjeu sera au cœur du prochain article, à paraître dans l’édition du 12 avril.
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