Lydie Olga Ntap est avocate, muséologue et fondatrice du Musée de la Femme.

Écoféminisme : Regrouper les luttes pour n’en faire qu’une seule

Par Ève Ménard

Les femmes sont plus sensibles à la lutte aux changements climatiques et plus impliquées. Tel est le constat d’une étude menée par Unpointcinq et l’Université Laval en septembre 2019, auprès d’un peu plus de 2000 Québécois et Québécoise. Elles sont aussi plus touchées par la crise environnementale. L’ONU note que les femmes et les enfants sont quatorze fois plus à risque de mourir pendant une catastrophe naturelle que les hommes.

La question se pose : la lutte en faveur de l’environnement et la lutte féministe convergent-elles vers un combat commun? C’est ce que défend l’écoféminisme, un courant de pensée né dans les années 1970, dont l’émergence est observée à une époque où les changements climatiques occupent une place centrale dans les préoccupations contemporaines.

Trois femmes, trois écoféministes

Farah œuvre dans le milieu communautaire, Lydie est avocate et fondatrice du Musée de la femme, et Véronique travaille en agriculture. Elles sont toutes trois écoféministes et se confient sur ce courant et la signification qu’elles lui donnent.

Farah Wikarski, responsable des communications au Réseau des femmes des Laurentides et agente de liaison au Regroupement des organismes communautaires des Laurentides.

« Toute la violence du système contre les femmes, c’est la même violence face à la nature.» Farah Wikarski, responsable des communications au Réseau des femmes des Laurentides, résume ici l’argument principal de l’écoféminisme, soit l’interrelation entre l’oppression de la femme et l’oppression de l’environnement. Selon les écoféministes, ces deux formes de domination prennent racine dans les mêmes structures patriarcales et capitalistes de notre société. Le courant de pensée appuie ainsi une remise en question du patriarcat et de nos systèmes économiques.

L’environnement, une lutte sociale

« L’urgence climatique touche les personnes les plus vulnérables. Quand il y a une tornade, quelles maisons s’envolent en premier? Les maisons les moins solides que nous retrouvons dans des quartiers plus pauvres. C’est certain que la justice sociale est liée à l’environnement », soutient Farah Wikarski, aussi agente de liaison au Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL).

Lydie Olga Ntap, avocate, abonde dans le même sens. Elle donne l’exemple de la forte proportion de femmes sur les terres agricoles, durement affectées par les changements climatiques. D’ailleurs, selon l’ONU, le quart des femmes économiquement actives travaillent dans l’agriculture, où elles sont directement confrontées aux conséquences de la crise climatique comme les mauvaises récoltes. Lydie Olga Ntap est aussi la fondatrice du tout premier Musée de la Femme au Canada, situé à Longueuil. Elle y consacre une exposition sur l’écoféminisme afin de retracer son évolution à travers les années.

Complémentarité et égalité

Véronique Bouchard est co-fondatrice de la Ferme aux petits oignons située à Mont-Tremblant.

Véronique Bouchard est co-fondatrice de la Ferme aux petits oignons située à Mont-Tremblant. Se considère-t-elle comme écoféministe? « Tout à fait », répond-t-elle sans hésiter. D’ailleurs, le nom de son entreprise provient de l’expression « traiter aux petits oignons », qui signifie prendre soin, une notion centrale du courant. « Le mouvement avance qu’on ne peut pas prendre soin de l’environnement si on ne prend pas soin des êtres humains. »

Véronique ajoute que l’écoféminisme promeut des valeurs d’égalité et favorise une approche basée sur la collaboration et la complémentarité, plutôt que la compétition. Cette idéologie transparait d’ailleurs dans la manière dont la cofondatrice de la Ferme aux petits oignons aborde la gestion des ressources humaines au sein de son entreprise. Elle valorise le potentiel de chacun et favorise une gestion horizontale et égale des rôles, plutôt qu’une formule hiérarchisée.

C’est tout le contraire des structures économiques habituelles que Véronique Bouchard qualifie « d’hyper violentes ». Elle s’explique : « pour monter dans la hiérarchie, il faut monter sur la tête des autres ». C’est ce système économique, selon elle, qui exploite non seulement la nature, mais aussi les êtres humains. Ainsi, pour remédier à la crise environnementale, elle affirme qu’il n’est pas suffisant d’instaurer des politiques comme la taxe carbone. Il faut transformer les structures mêmes de la société.

Faire front commun

Considérant que les femmes sont plus touchées par la crise environnementale, il est d’autant plus important pour Lydie Olga Ntap qu’elles soient davantage incluses dans les postes décisionnels et dans les espaces de pouvoir et de discussion. Plus les femmes seront impliquées, et plus la lutte contre les changements climatiques permettra de lutter en parallèle pour l’égalité entre les hommes et les femmes, soutient-elle. Selon Farah Wikarski, nous avons trop souvent tendance à regarder les enjeux de manière morcelée. « Ultimement, il s’agirait de converger les luttes pour faire front commun contre un système qui exploite l’environnement et les femmes. »

Farah, Lydie et Véronique s’entendent toutes pour soutenir que la mise en relation du féminisme et de la lutte contre les changements climatiques serait bénéfique pour tous. « Il y a une perte de sens énorme dans notre société avec cette économie déshumanisée qui exploite, ces relations de pouvoir qui n’amènent qu’un petit groupe à exploiter des populations et des environnements. Nous avons tout à gagner à transformer notre structure. Le mouvement écoféministe amène vraiment une belle façon d’approcher les luttes pour n’en faire qu’une seule, finalement », conclut Véronique Bouchard.   

Plus de femmes dans les études environnementales?

La sensibilité des femmes vis-à-vis les changements climatiques et leur implication transparaissent aussi dans les inscriptions aux programmes en sciences environnementales à l’UQAM. On remarque une forte proportion de femmes dans le premier et le deuxième cycle d’études actuellement. En effet, pour le trimestre d’automne 2020, 62% de femmes, comparativement à 38% d’hommes, sont inscrites au baccalauréat ou au certificat, et 71,4% de femmes, comparativement à 28,6% d’hommes, sont inscrites à la maîtrise.

Source : UQAM

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