Reconnaissance du racisme systémique : première étape de la réconciliation
Par Journal-le-nord
« La réconciliation avance, la conscience augmente, j’en suis convaincu. Mais c’est un long chemin et il y a des soubresauts. Il vient d’en avoir un et il nous rappelle de bien faire nos devoirs. C’est horrible ce qui s’est passé. Horrible. »
Pierre Trudel, anthropologue et spécialiste de la situation des Autochtones au Québec et au Canada, discute avec nous des plus récents évènements survenus à Joliette.
Une lutte continue
Pour Pierre Trudel, le décès de Joyce Echaquan et les circonstances l’entourant sont un dur rappel de tout le chemin qu’il reste à parcourir. Étant interpellé par les questions autochtones depuis de nombreuses années, l’anthropologue a tout de même été témoin de changements importants au fil des ans et d’une évolution de la sensibilité et de l’ouverture au sein de la population. Or, il s’agit d’un long processus. « Ça fonctionne par étage », précise-t-il. « Il y a plusieurs niveaux de conscience dans une population. Ça n’avance pas à la même vitesse partout et malgré les avancées, ça ne veut pas dire que le racisme n’existe plus. Et surtout, ça ne veut pas dire que ça ne peut pas revenir. » En effet, l’expert rappelle qu’il s’agit d’une lutte continue contre la discrimination systémique et les préjugés.
« Ça manque de dignité »
D’ailleurs, pour le spécialiste, la non-reconnaissance du racisme systémique par le gouvernement du Québec est bien plus qu’un obstacle à la réconciliation. « Les peuples autochtones ont dit longuement dans la commission Viens qu’il y avait de la discrimination systémique et dans le contexte actuel, il [François Legault] avance son pion en disant qu’il n’y en a pas. Ça manque de protocole, ça manque de dignité. Il représente tous les Québécois Monsieur Legault, ce n’est pas strictement un chef de parti. » Quelques minutes avant notre entretien de vendredi dernier, il était annoncé dans les médias que Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, avait annulé une rencontre avec le premier ministre. Pour Pierre Trudel, un tel dénouement n’est pas si surprenant, compte tenu du mauvais climat « évident » entre les peuples autochtones et le gouvernement, alimenté notamment par des déclarations parfois maladroites.
Un manque de volonté politique?
Plusieurs pistes de solution sont explorées pour favoriser la réconciliation. Bien entendu, l’éducation est importante, bien qu’insuffisante aux yeux de l’anthropologue. Ce dernier considère que la lutte contre la discrimination systémique relève aussi, et surtout, de « l’administration politique » et se déploie à travers la mise en place de programmes. « Dans les organisations, il doit y avoir des politiques pour atteindre des objectifs d’engagement de certaines populations plus éloignées ou qui ne sont pas rejointes habituellement. » Le système doit donc aussi s’organiser pour favoriser l’intégration des communautés autochtones, par exemple à travers l’accessibilité à l’emploi. Il s’agit d’une lutte qui se joint au volet éducatif. Or, la présence d’une volonté politique est essentielle à son efficacité. Pierre Trudel souligne que derrière les programmes d’équité à l’emploi, s’il n’y a pas de volonté politique, alors il ne s’agira que de « belles paroles » qui ne serviront qu’à « remplir des critères gouvernementaux » avant de « passer à un autre appel ».
Pour l’expert, cette volonté politique est remise en question présentement, surtout en raison de l’incapacité à reconnaître le racisme systémique, première étape menant à la réconciliation. « C’est facile de s’excuser et d’adopter une motion pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur le droit des peuples [Pierre Trudel fait ici référence aux deux premiers appels à l’action de la commission Viens qui ont été complétés; il y en a 142 au total]. Ce qui est moins facile, c’est de s’assurer du suivi des appels à l’action et de brasser la cage pour qu’ils soient mis en place continuellement. »