Enseignement : Écarter des professeurs expérimentés, mais non légalement qualifés
Par Luc Robert
Une enseignante de Saint-Hippolyte, Mme Ann-Marie Pinoul, ne sait plus à quel saint se vouer pour conserver son poste d’enseignante contractuelle à l’école du Grand Rocher, où elle enseigne l’anglais avec brio depuis cinq ans, aux dires de multiples parents et élèves.
Celle qui cumule 15 années d’expérience comme professeure s’inquiète. Elle a reçu une missive du ministère de l’Éducation (MEQ), l’informant que ses services ne seront plus retenus lors de l’année scolaire 2024-25.
C’est que des professeurs non légalement qualifiés, mais tout de même expérimentés, devront cesser d’enseigner dès l’an prochain, car les « tolérances d’engagement » ne peuvent être renouvelées au-delà d’une période de 10 ans, un règlement qui est remis en cause par plusieurs intervenants scolaires, en période accrue de pénurie d’effectifs.
Mme Pinoul, qui donne des cours d’anglais de langue seconde à l’élémentaire, n’a pas obtenu son brevet d’enseignement, mais elle était supervisée.
Évaluation annuelle
« À chaque année, j’ai été évaluée. Si je n’étais pas bonne, ça ferait longtemps que je n’aurais pas été renouvelée. Les TSA, les enfants à problèmes de comportements, etc., j’ai géré ces clientèles-là. Il faut qu’ils tiennent compte de mon expérience acquise sur le tas. Je ne sais plus à quelle porte cogner pour sauver le travail que j’aime. Je suis appuyée, mais est-ce que ça se parle entre les différents niveaux décisionnels ? On me dit que je suis prise dans un carré de sable. À quelle porte dois-je aller cogner ? Au député, à celle du Ministre ? Ça prend une volonté de reconnaître ceux et celles qui ont obtenu des compétences sur le terrain avec les années. Surtout quand tu entends aux nouvelles qu’il manquera 14 000 profs dès 2030», a-t-elle fait valoir.
Monoparentale, Mme Pinoul a complété deux années d’un BAC en enseignement du français au secondaire. Elle ne voit pas comment elle pourrait retourner à l’université dans le contexte actuel, sinon via internet (possiblement à l’Université de Sherbrooke), pour se plier aux pré-requis.
« Chaque jour où je vais travailler, je me demande si je reste jusqu’en juin prochain. Donnez-moi un espoir, un papier de prolongement. Ça existe dans certains contextes particuliers, comme en région. Ça gruge mon énergie et je me demande si je dois envoyer mon c.v. ailleurs immédiatement. Quand une quinzaine d’enfants te donnent des câlins à la sortie des classes, ça devient déchirant. Je vis des montagnes russes d’émotions. Ils ne semblent pas vouloir créer de précédents, mais trouvez une loi ou reconnaissez la précieuse expérience obtenue sur le terrain », a-t-elle supplié.
Mme Pinoul pourrait être remplacée en 2024-25 par une autre enseignante non qualifiée, mais qui possédera moins d’expérience avec les jeunes.
« C’est de plus en plus difficile d’être motivée, et pourtant je suis débordante d’énergie. Quand je reprends ma place devant la classe, je me sens tellement dans mon élément. Le sourire et la facilité à transmettre la matière reprennent le dessus. C’est déchirant ensuite, quand je repars vers mon auto. »
Il a été impossible d’obtenir l’avis du CSSRDN dans le dossier avant l’heure de tombée devancée pour la fête de l’Action de Grâce.