Éditorial : Je n’achète (presque) plus de pain
Par Simon Cordeau
J’ai l’impression d’être plongé de nouveau au temps de la pandémie. L’incertitude plane sur l’avenir proche, un climat d’anxiété étouffe l’actualité, et on sait déjà qu’on en aura pour plus longtemps que quelques semaines. Sauf que cette fois, c’est Trump et ses menaces de tarifs (sinon d’annexion) qui nous guettent. Et difficile de se dire que : « Ça va bien aller. »
En fait, ça va faire mal. Pas juste dans nos valeurs, mais aussi dans notre portefeuille. Notre économie, dépendante des États-Unis, est fragile, et il est très possible que l’inflation s’emballe et que les prix augmentent encore une fois.
Mais je refuse de céder à l’impuissance. Je n’ai peut-être pas d’influence sur ces grands bouleversements, mais j’en ai sur les 1001 décisions économiques que je prends au quotidien. Et cette résistance, pour moi, commence par faire mon propre pain.
Se contenter de moins
Il y a quelque chose de magique à utiliser seulement de la farine, de l’eau, un peu de sel et de levure, et du temps, pour créer quelque chose qui se mange : du pain. Une fois qu’on maitrise la technique, on peut jouer avec les farines et leurs ratios (blanchie ou non, de blé entier, de seigle, etc.), ajouter des graines, des noix ou même des fruits. Mais la base, elle, reste la même et simple.
Cependant, il faut attendre : attendre que la pâte lève, attendre que le four réchauffe, attendre que le pain refroidisse… Cette dernière étape est parfois la plus difficile. Alors que le pain est prêt, tout chaud, juste là, je dois attendre 2 heures avant de le trancher, au risque d’en ruiner la texture et le fruit de mes efforts.
Honnêtement, c’est cette attente qui est peut-être la plus précieuse. Elle oblige à respirer, à lâcher prise, à remettre en perspective le temps que prennent les choses et le contrôle qu’on a réellement (ou pas) sur elles. Et le résultat en vaut la peine. Même s’il n’est pas parfait, mon pain goûte meilleur, je le déguste avec plus d’attention, parce que je l’ai fait moi-même. Je n’achète donc plus de pain ou presque. Et je me contente de moins.
Se contenter d’ici
Tous les jours ou presque, je me rends au journal à pied, dans le village de Saint-Sauveur. Je passe devant deux boulangeries, sur les quatre qu’il y a ici. Disons-le : mon pain, même si j’en suis fier, n’est pas aussi bon que le leur. Donc il m’arrive encore de me laisser tenter : par une fougasse aux olives, des pains au chocolat pour le déjeuner, ou un petit dessert pour surprendre ma blonde.
C’est un petit luxe, mais qui met de la couleur dans ma semaine. Aussi, ça encourage des gens de ma communauté. Lorsqu’on se fait plaisir, on peut se contenter d’ici.
De la même manière, au lieu d’acheter des plats ou des aliments ultratransformés et produits c’est-pas-clair-où, je prends plutôt des légumes d’ici et des aliments simples, et je cuisine un bon repas. À la maison, on fait même nos propres cochonneries, du gâteau dans une tasse au popcorn épicé.
Je me suis désabonné de Netflix aussi. À la place, je regarde des séries et des films d’ici sur les plateformes québécoises. Et avec l’argent sauvé, je me gâte en allant plus souvent au Théâtre Gilles-Vigneault ou du Marais. Je suis certain de consommer local : l’artiste est devant moi !
J’ai aussi cessé d’utiliser Amazon. Je commande plutôt mes livres et mes bandes dessinées sur le site Les libraires. C’est aussi facile et, en plus, je peux choisir quelle librairie indépendante encourager. Par contre, il m’arrive de chercher plus longtemps pour certains produits, mais je découvre aussi de nouvelles entreprises, locales celles-là. Là aussi, je crois que ça vaut la peine d’y mettre un peu de temps.
Enfin, chaque automne, je fais un roadtrip dans le Nord-Est américain avec des amis. Cette année, on cherche plutôt une destination en Ontario, dans les Maritimes, peut-être quelque part au Québec où ça fait longtemps qu’on n’est pas allés. On fera comme ceux qui viennent ici, dans les Laurentides, pour s’évader et encourager notre économie. Je le vois déjà, l’impact que les touristes ont sur nos entreprises : ce n’est pas différent quand c’est moi le touriste.
Se libérer
Bien sûr, il ne serait pas réaliste de me priver de tout et de faire table-rase de tous les produits américains. Et l’actualité est déjà assez stressante sans imposer, à moi ou aux autres, un boycott spartiate.
Mais me contenter de moins et d’ici est également libérateur. Je réalise que je suis capable de faire plus avec moins, et que je peux profiter autant des petits plaisirs de la vie. Parfois, c’est même moins cher ! En bonus, je comprends mieux d’où vient ce que je consomme et comment il est produit.
Surtout, acheter local encourage les gens qui se trouvent ici, dans notre communauté, qui y contribuent et qui, à leur tour, dépensent leur argent ici. Ce faisant, on renforce nos liens économiques, mais aussi notre dynamisme, nos liens sociaux et notre solidarité. Tout le monde y gagne. Et c’est une façon de résister, de faire du bien à mes valeurs et à mon portefeuille.
Ma recette de pain
- Dans un grand bol, combiner 400 g de farine, 1 g de levure sèche et 10 g de sel;
- Ajouter 1 tasse et 1/3 d’eau à température pièce, puis mélanger pour former une pâte;
- Couvrir et laissez fermenter à température pièce de 12 à 24 h;
- Sur une surface bien farinée, sortir la pâte du bol et former une boule en repliant la pâte sur elle-même. (Farinez-vous les mains, parce que la pâte est très collante.) Déposer la boule sur du papier parchemin. Laisser reposer de 1 à 2 h;
- Préchauffer le four à 500°F, avec un creuset à l’intérieur, pendant 1 h;
- Tracer un sillon sur la pâte avec une lame de rasoir ou un couteau coupant;
- Sortir le creuset, mettre le papier parchemin et la boule dedans et asperger d’eau. Remettre au four avec le couvercle pendant 15 minutes;
- Enlever le couvercle et asperger d’eau. Remettre au four 15 minutes;
- Retirer le pain du four et le laisser refroidir 2 h sur une grille avant de trancher.