(Photo : Courtoisie )

Lowe’s Rona : derrière les chiffres

Par Daniel Calvé

Nous sommes le 19 novembre, il est 17 h 30. Les responsables des deux magasins Rona corporatifs de Saint-Jérôme–Bellefeuille et Saint-Sauveur verrouillent leurs portes respectives, et annoncent subitement aux employés que des représentants du siège social de Lowe’s se sont déplacés et vont tenir une rencontre dans 30 minutes, soit à 18 h. Le malaise est palpable, la détresse est anticipée, et la tête sait très bien ce que le cœur tente d’ignorer : sous peu ils vont tous se faire limoger.

C’est donc ainsi que le couperet est tombé la semaine passée : Lowe’s a annoncé qu’elle ferme 34 magasins au Canada, dont 26 magasins Rona, six Lowe’s et deux Réno-Dépôt. Au Québec, c’est 11 Rona et 1 Réno-Dépôt et spécifiquement dans les Laurentides, c’est deux Rona : un à Saint-Sauveur et un à Saint-Jérôme dans le secteur Bellefeuille qui cesseront leurs opérations le ou vers le 31 janvier 2020.

Réactions des employés

Personnellement, c’est mon cellulaire qui a sonné et un employé au bout du fil qui m’a informé, il était paniqué, avant même d’avoir été rencontré et la nouvelle officialisée. J’ai tenté de le rassurer, mais tel un film dramatique, il m’a dit devoir quitter, car il se faisait appeler : le bal allait commencer. Puis, quelques secondes après je recevais des messages textes me rapportant la même nouvelle et témoignant de l’angoisse qui régnait sur place – mon numéro avait visiblement circulé depuis ma dernière intervention en faveur des employés dans le dossier Rona, qui remonte à l’an passé. « Je trouve ça inacceptable et blessant, car dans les derniers mois, ils (les responsables) ont tenu plusieurs rencontres pour nous dire que tout allait bien… en spécifiant que nous n’allions pas fermer. Ils ont même poussé l’audace à nous demander de rassurer les clients. », a déclaré une employée, sous le couvert de l’anonymat. Un autre employé, père de famille, m’a mentionné quelques jours après l’annonce que sa marmaille était carrément dévastée par la nouvelle, et que tous peinaient à dormir depuis ce temps. Les histoires se suivent, et se ressemblent tristement, alors que les témoignages d’employés continuent de déferler – j’ai simplement envie de leur offrir une oreille attentive, de la compassion et de la dignité.

Réaction de l’ancien PDG des centres de rénovation MARCIL

« Je ne suis aucunement surpris. La bannière Rona est en péril depuis un bon moment déjà, surtout depuis le rachat par Lowe’s », a déclaré l’homme d’affaires et philanthrope, François Marcil. « Lorsque je suis en Floride, je ne manque jamais l’occasion d’aller faire un tour chez Home Dépôt qui a son magasin juste en face de Lowe’s : ce dernier est toujours pratiquement vide alors que chez la bannière orange, on fait la file – c’est comme ça depuis longtemps, et c’est pareil au Québec », a-t-il poursuivi. « Je trouve ça très triste pour les gens impliqués, car ça aurait pu être évité, il y a eu des erreurs et on s’est éloigné de la clientèle chez Lowe’s. Il faut donner le service et respecter tout le monde, c’est ça le secret du succès en affaires », a conclu celui dont l’entreprise a jadis fait partie du prestigieux palmarès des 50 Employeurs de choix au Canada.

Rappelons qu’avant que Rona ne décide de fermer la bannière Marcil, Lowe’s avait dit formellement que les magasins Marcil avaient un potentiel de croissance au Québec et ailleurs au Canada. « Marcil est une enseigne qui a un rôle dans le marché de la quincaillerie au Québec. C’est une proposition qui pourrait être intéressante dans les autres provinces du pays », avait indiqué Sylvain Prud’homme, l’ancien PDG de Lowe’s en 2016. Décidément, nous ne sommes plus à une volte-face près avec cette corporation.

La vie doit continuer pour les opérateurs-affiliés

Il faut le souligner, les annonces de Lowe’s font mal à beaucoup de monde, mais aussi aux commerçants affiliés qui s’accrochent et doivent couramment rassurer clients et employés. C’est le cas entre autres, de la famille Dagenais qui opère deux commerces sous la bannière Rona dans les Laurentides.

« La famille Dagenais tient à rassurer sa clientèle que ses magasins situés à Saint-Sauveur et à Ste-Anne-des-Lacs restent ouverts. Nous tenons à clarifier ce fait pour éviter toute confusion puisque Lowe’s Canada a pris la décision de fermer plusieurs magasins dont son magasin Rona corporatif situé au 180, rue Principale à St-Sauveur. », pouvait-on lire sur leur page Facebook (@ronadagenais.ca). La famille
a tenu à rappeler que leurs commerces n’allaient non seulement pas fermer, mais qu’ils étaient en pleine croissance et cherchaient même à recruter du personnel pour répondre à la demande. Voilà qui permet de mettre un peu d’onguent local sur une mauvaise nouvelle dicté par l’international.

La réalité, c’est que les affiliés sont des entrepreneurs indépendants qui assurent la gestion quotidienne de leurs commerces à bout de bras, ce qui n’a rien à voir avec la mission d’un siège social – les véritables experts des besoins de la clientèle et des produits… ce sont eux, les gens de terrain.

Un avenir turbulent

En toute lucidité, je vois mal comment le modèle Rona pourra survivre tel qu’il est aujourd’hui. La désaffiliation à la bannière risque de se poursuivre, car tôt ou tard, la question des « rabais-volume » incluse dans l’offre d’achat de produits à grande échelle ne suffira plus à retenir les opérateur-affiliés. Notons que plusieurs feraient de très bonnes affaires même sans cette entente, et il y a de nombreux cas probants, dont Lortie & Martin de Ste-Agathe des Monts. Rappelons que le quincaillier en affaires depuis 1950 avait délaissé la bannière Rona pour faire cavalier seul, au grand plaisir de la clientèle.

Certains autres pourraient décider d’opter pour une stratégie différente, comme celle de joindre une bannière concurrente, comme ça été le cas de la famille Riopel de Sainte-Adèle, dont l’enviable réputation n’est plus à faire. La famille a décidé l’an dernier de délaisser Rona et de s’affilier à Home Hardware, un étendard qui leur permettait de se rapprocher davantage des besoins de leurs clients, et une marque qui au final, était plus près de leurs valeurs de proximité et de service.

Pour le reste… La compétition continuera vraisemblablement de gagner du terrain et de faire mal à l’entreprise américaine. À preuve, notons qu’au début de l’année, Lowe’s avait déjà dévalué son entreprise et radié des actifs de 1,6 milliard $ US, dont 1,2 milliard $ CA liés à la perte de valeur de sa branche canadienne, principalement à cause des piètres performances de Rona et Réno-Dépôt.

Malheureusement, des sources bien placées m’ont informé que d’autres fermetures étaient à l’agenda, et que tout compte fait, la situation irait de mal en pis avant de possiblement se replacer. Je vous le donne en mille : il y aura du pain sur la planche avant de revenir à la base de la proposition de valeur de messieurs Rolland Dansereau et Napoléon Piotte.

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