(Photo : Nordy)

Michèle Lalonde: Devenir soi-même

Par Simon Cordeau

– Dossier Choix –

Mairesse de Sainte-Adèle, Michèle Lalonde est la deuxième femme transgenre au Québec, après Julie Lemieux, à être élue à la tête d’une municipalité. Discussion sur la longue transformation qui l’a menée à devenir elle-même.

« Choisir, c’est un engagement, en partant. Quand tu choisis quelque chose, tu t’engages, autant pour les choses positives qui vont ressortir de ton choix que pour les choses qui vont être en réaction », affirme Mme Lalonde en commençant notre discussion. Lorsqu’elle prend une décision, elle consulte autant sa tête que ce qui se passe « en-dedans », sa partie intuitive, pour faire les bons choix.

C’est ce qu’elle a fait lorsqu’elle a décidé de s’afficher publiquement comme femme transgenre, lors des élections municipales de novembre dernier, mais aussi durant toutes les étapes de sa transition. « Quand j’ai décidé ça, je savais qu’en quelque part, je serais l’objet de critiques de beaucoup de gens. Mais regarde, c’est comme ça. Je ne suis pas pour mourir dans mon cœur et dans mon âme, parce qu’il y a du monde qui ne seront pas contents », tranche-t-elle.

Malgré plusieurs doutes, épreuves et douleurs, Mme Lalonde se considère choyée que sa métamorphose se soit faite sans trop de heurts, comparée à d’autres. « Souvent, quand quelque chose n’est pas fait pour toi, il y a plein d’obstacles qui se mettent sur ton chemin. Quand tu forces quelque chose et que ça ne marche pas, en quelque part, c’est parce que tu n’es pas sur la bonne voie. Pour moi, ç’a été le contraire. Tous les éléments se sont mis en place, au fur et à mesure que j’avançais. »

L’idée

Cela a pris beaucoup de temps avant que Michèle réalise qu’elle était mieux dans la peau d’une femme. Mais avec le recul, elle parle de quelque chose qui a toujours été latent, dès l’enfance.

Jeune, elle avait plutôt tendance à jouer avec les filles, raconte-elle. Puis elle a fait des études classiques, où les garçons et les filles étaient séparés. « On faisait du théâtre. Certains devaient jouer les rôles de filles : tu es dans une école de gars! [Rires] Moi, je jouais les rôles de filles tout le temps, et j’aimais ça. »

Plus tard, elle est fascinée par l’univers des travestis. « J’habitais à Montréal. Quand tu descendais dans le centre-ville, dans le bout de Saint-Laurent, il y en avait partout », se souvient-elle.

Puis c’est l’arrivée d’Internet qui fait débouler les choses. « Je me suis rendu compte que ce que je vivais intérieurement – je pensais que j’étais fou, quelque chose ne marchait pas – mais non, non, c’était quelque chose qui arrivait à d’autres. Je n’étais pas tout seul dans ce bateau-là. » Les médias sociaux lui permettent de rencontrer et d’échanger avec des gens qui vivent la même chose qu’elle. Tranquillement, l’idée d’être quelqu’un d’autre fait son chemin.

L’obsession

Mme Lalonde commence à explorer sa féminité par des petites choses, qu’elle vit « clandestinement », en secret. Elle suit d’abord un cours de maquillage, puis s’achète des vêtements. « C’est fou, le jour où je me suis habillée, transformée, il y a eu un « wow » quand je me suis regardée. »

Cependant, l’idée de devenir une femme est encore loin, voire inconcevable. « J’admirais les gens qui avaient le courage de faire ça. Moi je me disais non, non. J’étais marié, j’avais un journal avec ma conjointe, j’étais très connu dans le milieu. Je ne voyais même pas ça comme possible. »

Mais Michèle ne peut nier cette partie d’elle-même. « Ma conjointe était partie trois soirs par semaine. Je m’habillais et je sortais. Mais je n’étais pas capable de sortir de l’auto! Dès que je sortais, s’il y avait du monde, je rentrais dans l’auto et je m’en voulais. Je m’imaginais que tout le monde me reconnaîtrait, que tout le monde le savait », confie-t-elle.

Sur les réseaux sociaux, un travesti lui propose de l’accompagner. Il organise des sorties à Montréal, dans le quartier gai. Mme Lalonde y va tous les samedis soir. Mais lorsqu’elle revient chez elle, elle est toujours abattue de revenir à sa vie. « Eux autres faisaient ça pour le trip, pour un fantasme. Mais moi, ce n’était pas ça. »

La réalisation

« C’est devenu plus sérieux quand ma conjointe s’en est aperçu. J’ai comme assumé, et je lui ai dit. Là, j’ai commencé à l’accepter. » Mme Lalonde tient à sou-ligner le soutien extraordinaire de sa conjointe d’alors. « Au départ, ça l’a choquée. Mais après ça, elle me donnait des conseils et elle me prêtait du linge », raconte-elle en riant.

Alors qu’elle s’habillait en femme les fins de semaine, elle commence à le faire la semaine aussi. Les clients qu’elle rencontre trouvent même qu’elle a l’air plus heureuse et épanouie lorsqu’elle est en femme. « En 2004, j’ai dit à ma conjointe qu’elle ne me reverrait plus en gars. »

Toutefois, sa conjointe craint que sa nouvelle identité ne nuise à leur journal. « Il s’est passé le phénomène contraire : je vendais deux fois plus. Parce que j’étais mieux dans ma peau! »

Pendant qu’elle assume publiquement sa nouvelle identité de femme, Michèle se dit chanceuse et impressionnée par l’acceptation de ses proches et de ses collègues. « Le plus difficile, ç’a été ma mère », admet-elle, même si elle est parvenue à se réconcilier avec elle, dans les dernières années avant sa mort.

Sinon, mis à part quelques exceptions, la nouvelle Michèle est accueillie avec respect, soutien et solidarité, se réjouit-elle. « La première réunion du CA de la Chambre de commerce de Sainte-Adèle à laquelle j’ai assistée, le cœur me débattait. Mais ç’a été extraordinaire. Pierre Durocher a pris la parole en partant et a dit : « Michèle, je vais juste te dire que tu es la bienvenue ici, et qu’on te prend comme tu es. » Et Christian Jasmin a surenchéri là-dedans. Je les ai trouvés géniaux », raconte-elle parmi d’autres exemples.

S’assumer

Une fois sa transition terminée, Michèle voulait oublier, cacher qu’elle avait déjà été un homme. « Je ne voulais pas le dire à personne. » Mais à chaque fois qu’elle rencontre ou discute avec quelqu’un, un doute subsiste. Est-ce qu’il le sait? Elle a, encore, l’impression d’avoir un secret à cacher. Jusqu’à ce qu’elle décide de se lancer dans la course à la mairie de Sainte-Adèle.

Pour se préparer, elle demande conseil à Nadine Brière, la mairesse sortante. « La première chose qu’elle m’a dite, c’est : « Tu sais Michèle que ça va sortir, qui tu es. Es-tu prête? » J’ai dit oui, mais je n’étais pas sûre. »

Lors d’une entrevue dans nos studios, elle décide d’aller au-devant. À la question « Un moment dans votre vie où vous avez fait preuve de courage », elle répond : « J’ai arrêté de le cacher. J’étais autrefois un gars. Je suis maintenant une femme. »

Pour elle, c’est la dernière libération. « Ç’a déclenché quelque chose. J’étais tellement fière de moi. Je ne me cache même plus! Je disais aux gens : « Moi, que je perde les élections, je sors gagnante. » Parce que j’avais décidé de m’assumer, devant tout le monde. »

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