(Photo : Ève Ménard )
Le projet Inter-Loge à Sainte-Adèle, réalisé dans le cadre du Programme AccèsLogis, offre des logements locatifs abordables.

DOSSIER | Crise du logement : Augmenter l’offre, mais comment ?

Par Ève Ménard

Devant le manque de logements et l’explosion du prix des loyers, la solution est évidente : il faut construire plus de logements. Maintenant, comment on s’y prend ? Les visions divergent. La priorité du gouvernement est d’augmenter l’offre, qu’elle provienne du privé ou du milieu communautaire. D’autres groupes critiquent la vision gouvernementale et demandent qu’on priorise les logements sociaux.

Accélérer et construire

Pour la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, tout repose sur l’offre, qu’il faut augmenter. « Beaucoup de gens profitent du fait qu’il y a la crise pour dire qu’il faut légiférer sur ci, sur ça. Ce n’est pas légiférer qui va nous sortir de la crise du logement. C’est d’enlever les embuches, d’accélérer la cadence et de produire », affirme la députée de Bertrand.

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation et députée de Bertrand.

Mme Duranceau veut éviter le phénomène du « pas dans ma cour ». Pour y arriver, le projet de loi 31 prévoit simplifier le travail des municipalités en accélérant les processus d’approbation d’un projet d’habitation, explique-t-elle. Le projet de loi vise aussi à protéger les locataires, par exemple des évictions sauvages, indique la ministre.

La priorité reste toutefois de construire des logements. « Pour ça, on a besoin de tout le monde. On a besoin des groupes communautaires qui font ça depuis longtemps pour des clientèles particulières. On a besoin du privé qui fait ça naturellement et avec un rythme parfois plus rapide », affirme France-Élaine Duranceau.

Lancé en 2022, le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), qui a remplacé Accès Logis en matière de logement subventionné, mise sur l’efficacité des projets. Certains projets d’habitation peuvent prendre des années à voir le jour. À Val-David, par exemple, la coopérative d’habitation La Grande Ourse, initiée en 2019, a reçu une première tranche de financement en 2021 pour bâtir 20 unités abordables. Le groupe n’a toutefois pas encore de terrain.

« C’était un peu ça le problème d’AccèsLogis », souligne la ministre. « Tu arrives avec une bonne idée, tu te fais octroyer un petit bout de financement, mais finalement, ça fait trois ou quatre ans et tu n’as toujours pas de terrain. Mais pendant ce temps-là, il y a de l’argent de gelé », illustre-t-elle. L’objectif du PHAQ est d’éviter ce genre de situation, explique Mme Duranceau. « Nous avons un programme où à l’intérieur de 12 mois, il faut que tu sois en mode construction. »

Sortir du marché spéculatif 

Des groupes de pression et des organismes préféreraient qu’on s’attaque à la construction de logements sociaux. Serge Gilbert, coordonateur à l’Association de promotion et d’éducation en logement (APEL), croit que pour régler la crise, il faut augmenter l’offre en « logements qui ne sont pas soumis à la spéculation ». Cette solution s’accompagne d’un changement de vision. « Trop de gens voient le logement comme une occasion de faire de l’argent, alors que ça devrait être un bien essentiel », argumente le coordonateur.

La Place Prévost à Saint-Jérôme est un parc immobilier social géré par l’OMH.

Le logement social ou communautaire permet de mieux contrôler les loyers et offre une solution durable pour les ménages à faible ou à moyen revenus, estime l’Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ). L’offre actuelle peine d’ailleurs à répondre à la demande. L’Office d’habitation municipale (OMH) de Saint-Jérôme compte 633 habitations à loyer modique (HLM), 176 programmes de supplément au loyer (PSL) et 218 logements communautaires sur son territoire. « Ça ne répond pas à la totalité des besoins », affirme toutefois le président de l’OMH de Saint-Jérôme, Marc-Antoine Lachance. En moyenne, il y a un peu plus de 200 personnes sur la liste d’attente de l’organisme. Ça inclut  les nouvelles demandes et les demandes de relocalisation.

L’AGRTQ croit qu’il faut augmenter significativement l’offre. « On demande de financer 5 000 unités par année sur 10 ans, pour atteindre 20 % de logements communautaires », précise Ronald Dalbec, conseiller au Groupe de ressources techniques Réseau 2000+, qui couvre les régions de Laval et des Laurentides. Le logement communautaire représente environ 5 % du parc locatif au Québec. « Je pense qu’il faut l’augmenter », affirme la ministre de l’Habitation au sujet du nombre de logements communautaires. « Mais je ne pense pas que le 20 % soit réaliste. Il y a quelqu’un qui paye pour ça et notre capacité à payer globalement, ce n’est pas pour se rendre à 20 % », complète-t-elle.

Abordable et confus 

La définition d’un logement abordable varie et évolue à travers le temps et les programmes. De manière générale, on considère qu’un logement est abordable si un ménage lui accorde moins de 30 % de ses revenus. Le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ) semble toutefois créer de la confusion.

Pour qu’un projet soit admissible au PHAQ, il doit respecter la grille des loyers maximaux du programme, explique France-Élaine Duranceau. Ces loyers sont établis en fonction des loyers médians : un loyer est abordable s’il représente 90 % du loyer médian. Celui-ci est déterminé par la SCHL et ajusté selon la région concernée.

Un loyer considéré comme abordable ne l’est donc pas nécessairement pour tous les locataires, selon leur capacité à payer. « Même le loyer qu’on dit abordable, le coût est tel que si une personne paie ça, il lui reste peut-être 100 ou 200 $ dans le mois pour manger, s’habiller ou se déplacer », illustre Serge Gilbert. « Le nouveau programme ne favorise pas nécessairement la construction de logements abordables, dans le sens où on l’entend », complète le coordonateur chez Apel.

Mieux implanter le PSL

Pour aider les gens qui n’arrivent pas à se payer les loyers disponibles sur le marché, le gouvernement ajoute une autre subvention, précise Mme Duranceau : le Programme de supplément au loyer (PSL). Le PSL permet à des ménages à faible revenu d’habiter dans des logements du secteur privé ou qui appartiennent à des coopératives ou des organismes, et de payer un loyer qui correspond à 25 % de leurs revenus.

« En principe, le programme est bien fait, mais son application est complexe », souligne Louis-Philippe Dupuy, intervenant social au comité Un toit pour tous. D’abord, il faut trouver un logement dont le loyer respecte les prix autorisés par le programme. Mais dans un contexte où les logements sont rares et les prix sont élevés, il est difficile de trouver un logement qui corresponde à ces critères, explique Louis-Philippe. Il faut aussi trouver un propriétaire qui accepte le PSL. Certains sont réticents, constate l’intervenant. « Il y a des préjugés. Mais ils [les propriétaires] ont le gros bout du bâton parce que tellement de gens cherchent un logement. »

France-Élaine Duranceau reconnaît qu’il y a du travail à faire pour mieux implanter ce programme dans les Laurentides et sensibiliser les propriétaires. « Avant, dans les Laurentides, il n’y avait pas ce problème. Donc, les offices [municipales d’habitation] étaient peut-être moins dans cet accompagnement-là, alors qu’à Montréal, ça fait des années qu’ils font ça », explique-t-elle. « Je pense qu’il faut rassurer les propriétaires ».

Pour ceux et celles qui ne sont pas admissibles au PSL, mais qui doivent quand même octroyer 40, 50 ou 60 % de leurs revenus pour se loger dans les Laurentides, la ministre mise encore une fois sur l’offre pour rééquilibrer le marché.


Le PHAQ expliqué et critiqué

Le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ) fonctionne par appels de projets, où la Société d’habitation du Québec (SHQ) sélectionne des projets pour leur offrir une subvention. Les entreprises du secteur privé, les organismes à but non lucratif, les coopératives et les offices d’habitation peuvent soumettre leur candidature. Lors du dernier appel de projets, en septembre 2023, le gouvernement a reçu des demandes pour 8 000 unités. Parmi celles-ci, 5 000 étaient recevables et 1 000 ont été retenues, précise France-Élaine Duranceau.

Des acteurs du milieu de l’habitation critiquent le PHAQ. Ronald Dalbec estime que le nouveau programme est compétitif et non pérenne. D’abord, son fonctionnement positionne le communautaire en compétition avec le secteur privé, dit-il. Selon le conseiller au Réseau 2000+, les groupes communautaires sont désavantagés, puisqu’ils ont moins de moyens financiers. La ministre de l’Habitation dément cette information. Au contraire, elle affirme que la grande majorité des projets sélectionnés proviennent du milieu communautaire. « Les balises du programme sont très restrictives et le privé n’a pas embarqué tant que ça », ajoute-t-elle.

M. Dalbec craint aussi pour l’abordabilité des loyers, à long terme. Selon la subvention reçue, la durée du PHAQ peut varier entre 10 et 35 ans, période durant laquelle le demandeur doit maintenir des loyers conformes aux limites du programme. « Au bout de 10, 15 ou 20 ans, le propriétaire pourrait revendre son immeuble et spéculer avec », et les loyers pourraient alors augmenter, déplore Ronald Dalbec.

« Je ne crois pas qu’il faut être dogmatique », répond à ce sujet France-Élaine Duranceau. « On a besoin de logements communautaires hors marché parce que ces logements-là, effectivement, comme le but n’est pas de maximiser le profit, on est capable de contrôler les loyers plus longtemps. Mais en ce moment, on a tellement besoin de logements que si j’ai un privé qui est capable de m’en sortir rapidement pour que les gens aient une option, on ne devrait pas dire non à ça non plus. L’un n’exclut pas l’autre. On a besoin des deux. »


Pour se démêler dans le lexique

Logement social : Une unité de logement qui est extraite du marché spéculatif et donc sans but lucratif. Sa vocation est de loger les gens à revenus faible et modeste. Étant subventionné, il offre des logements à un prix qui respecte la capacité de payer des locataires ou qui est inférieur aux prix du marché. Il y a trois grandes formes de logement social : les habitations à loyer modique (HLM), les coopératives d’habitation et les organismes sans but lucratif (OSBL) d’habitation.

Logement communautaire : Le logement communautaire fait référence aux projets d’habitation gérés par un OSBL d’habitation ou par une coopérative d’habitation.

Logement public : Le logement public fait référence aux HLM, qui sont gérés par les offices d’habitation municipales (OMH). Les locataires qui bénéficient d’un HLM paient un loyer correspondant à 25 % de leurs revenus.

Logement abordable : Un logement est considéré comme abordable si un ménage y consacre moins de 30 % de ses revenus avant impôts. Les frais de logement englobent non seulement le loyer, mais également l’électricité et le chauffage.

Sources : FRAPRU, Apel, AGRTQ, SCHL, Statistique Canada

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