Dirigeante et patiente : « Quand rien ne nous prédit un avenir meilleur en santé » – Chantal Maillé
Par Luc Robert
« En laissant lentement le réseau public se désintégrer, le gouvernement pousse les soins de santé vers le privé, vers des gens d’affaires qui s’enrichissent sur le dos de la maladie. Comme patiente, mais aussi comme représentante des travailleuses et des travailleurs, je souhaite au contraire qu’on mette le ou la patiente au centre du réseau et qu’on l’accompagne humainement, dans sa région, dans sa collectivité, dans sa communauté. »
C’est en ses termes que la présidente du Conseil central des Laurentides-CSN, Mme Chantal Maillé, s’est exprimée dans une lettre envoyée au journal Le Nord. Patiente de l’hôpital de Lachute, elle réside dans Argenteuil, mais travaille à Saint-Jérôme.
« J’ai appris que j’avais le cancer du sein en 2020. Il m’a fallu attendre deux mois supplémentaires avant de recevoir le diagnostic final : cancer du sein métastatique, stade quatre. Depuis, je vis avec cette réalité. Je n’ai jamais arrêté de travailler. J’aurais pu. En fait, je le souhaitais. Histoire d’encaisser la nouvelle et, peut-être, me préparer à mourir. Dans un monde déshumanisé, le médecin de l’époque m’a demandé machinalement : « Pourquoi souhaites-tu faire une pause du travail ? ». J’ai été surprise par la question. Étrangement et sans raison, je me suis tout de suite sentie coupable. En pleine pandémie, j’ai réorganisé mon horaire de travail, accompagnée par les membres de mon équipe. J’ai assumé la décision déconnectée de ce médecin », s’est-elle résolue.
Rares plages horaires
Malgré sa grande volonté, Mme Maillé a constaté un recul dans l’offre des services.
« J’ai constaté la dégradation des services de médecine. Je ne parle pas de l’équipe soignante et accompagnante, qui me fait sentir patiente et humaine à part entière. Je parle précisément des médecins que je ne connais pas et pour qui je suis un numéro parmi tant d’autres. En quatre ans, j’ai aussi vu la disponibilité des services d’hémato-oncologie s’amoindrir. Au début de mes traitements, il y avait deux plages de disponibilité par semaine, puis, une seule et maintenant ? Zéro. Depuis mars, nous n’avons plus d’hémato-oncologue à l’hôpital de Lachute. Il en reste 12 sur 17 dans la région du CISSS des Laurentides. Le personnel craint que le service d’oncologie ferme à Lachute. Qui dit zéro service de proximité, dit aussi recevoir les services dans les plus grands centres, dans mon cas à Saint-Eustache, voire à Saint-Jérôme », a-t-elle ajouté en entrevue téléphonique.
Le privé ?
La dirigeante syndicale espère que du changement surviendra pour inverser la tendance.
« Les services de proximité devraient être la priorité du gouvernement, pas juste en faisant de la politique. Lors de mes traitements à l’hôpital, je suis témoin de patients qui arrivent en taxi, avec des accompagnateurs et des proches aidants qui doivent prendre congé de leur travail. […] Il y a de la douleur et un coût économique à la délocalisation des soins. Des élus caquistes semblent dire qu’il faut nous résigner à nous faire soigner dans les grands centres. Des élus, étrangement, qui souhaitent une plus grande part au privé en santé. Je suis sensible à la réalité du manque de médecins et à la pénurie de main-d’œuvre », souligne Mme Maillé.
« Ceci dit, investir dans les lieux de travail pour les rendre attrayants serait déjà un pas dans la bonne direction. Au lieu d’ouvrir des cliniques privées subventionnées, investissons dans notre réseau public et donnons les moyens au personnel soignant de faire leur travail. La population doit de se mobiliser : ne pas attendre que des services ferment les uns après les autres pour bouger. Un système de santé et de services sociaux publics est un choix de société à protéger pour les Québécois », a-t-elle scandé.
Constat
Pour sa part, M. Youri Chassin, député de Saint-Jérôme et adjoint parlementaire au ministre de la Santé, a aussi invoqué le manque de main-d’œuvre dans le milieu pour expliquer une partie de la situation.
« C’est triste et nous souhaitons vivement une amélioration de santé à Mme Maillé. Nous sommes conscients que l’élastique est étiré en santé et qu’il n’y a plus beaucoup de jeu, mais on essaie de s’adapter. La réalité, c’est qu’au CISSS des Laurentides, sur 18 000 emplois, il y a encore 3 000 postes affichés à combler. Ce n’est pas évident comme contexte », a-t-il pointé du doigt.
Dans cette optique, M. Chassin assure que des efforts sont déployés par les autorités.
« On peut être attractifs dans la région. Nous avons une nouvelle PDG proactive au CISSS, Mme Julie Delaney. Elle saura faire une petite ou grande séduction pour améliorer les choses. On a encore des gens extraordinaires dans le milieu. À Saint-Eustache, des nouveaux locaux sont en construction en médecine nucléaire (NDLR : un nouveau pavillon de trois niveaux, en remplacement des modulaires situés en façade de l’hôpital). Il y a de l’espoir. Par ailleurs, l’opposition au parlement nous met sur le nez que la liste d’attente pour une chirurgie devait être réduite à 7 600 en mars, pour l’ensemble du Québec. Elle est tout de même passée de 23 000 à 12 000 cas », rapporte M. Chassin.
« Quand les citoyens nous appellent au bureau de comté, c’est souvent dans une situation de détresse. Mais quand il survient des petites victoires, comme le dit mon collègue Christian Dubé (ministre de la Santé), soulignez-les nous aussi, qu’on puisse les fêter. Quand on change les principes de fonctionnement du milieu, notamment infirmier, ça prend un certain temps pour voir ces petites victoires survenir », a-t-il plaidé.