Des mesures bien ciblées, mais en manque de moyens financiers

Par Ève Ménard

À la lumière des récents drames, il faut reconnaître que des enjeux de sécurité et d’accès aux ressources subsistent. Plus jeune, Milène Baillargeon a grandi dans une famille d’accueil où régnait un climat toxique et violent. Des années plus tard, elle tisse des liens entre ce qu’elle a vécu dans son enfance et dans sa vie adulte. Elle déplore le peu de progrès qui a été réalisé entre ces deux époques.

« C’est vraiment très frustrant de voir qu’on connait les solutions, qu’il y a des rapports remplis de recommandations pour éviter les féminicides, pour mieux accompagner les victimes et prévenir la violence. Ces solutions ne sont pas mises en œuvre, non pas parce qu’on les cherche, mais par manque de moyens financiers », déplore Christine Labrie. En décembre dernier, le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale a remis 190 recommandations. Isabelle Charest, ministre de la Condition féminine, avait aussi déposé avant Noël un plan d’action stratégique en matière de violence conjugale.

« Il suffit que ça leur tienne à cœur »

Madame Labrie fait partie du comité transpartisan dont la mission est maintenant de mettre en œuvre les recommandations du rapport. Depuis, des ministres ont été rencontrés au sujet des mesures qui relèvent de leur ministère. Ils doivent présenter, dans les prochaines semaines, un plan pour la mise en œuvre des recommandations et leur évaluation du temps nécessaire pour les mettre en place. La députée souligne avoir ressenti une réelle volonté d’engagement chez les politiciens rencontrés.

Or, elle rappelle qu’il faut que cette volonté se traduise à travers tout le gouvernement et par de l’investissement financier, ce dont elle doute. La politicienne a été témoin de la vitesse à laquelle le gouvernement a débloqué des sommes et mis en place des actions concrètes lorsque la pandémie a secoué le Québec. « Il suffit que ça leur tienne à cœur et qu’ils y voient une urgence », indique-t-elle. « Il y a des femmes en ce moment qui ne dorment pas la nuit parce qu’elles ont peur de se faire tuer. Le premier ministre, si ça l’empêchait de dormir la nuit, il aurait déjà annoncé des investissements pour assurer qu’il y ait de l’espace pour accueillir toutes les femmes qui ne se sentent pas en sécurité chez elles. »

Bonifier au lieu de seulement consolider

En 2020, au moins 10 000 demandes d’hébergement ont dû être refusées par manque de place. Dans une lettre du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, à l’intention de Monsieur Legault et co-signée par 53 maisons à travers le Québec, on affirme que malgré les investissements de l’an dernier, le réseau est « à bout de souffle. » Christine Labrie abonde dans le même sens : il ne suffit plus de financer les services habituels, il faut aussi bonifier et augmenter le nombre de places en maison.

Fannie Roy, coordonnatrice à la Maison d’Ariane, rappelle aussi l’importance de la formation et de la sensibilisation.

Fannie Roy a accueilli favorablement les recommandations du comité transpartisan et le plan stratégique du gouvernement, qu’elle qualifie de très riche et pertinent. Les mesures ont été bien ciblées, mais nécessitent rapidement un soutien financier « accru » et « croissant ». La Maison d’Ariane remarque le besoin d’augmenter le nombre de places disponibles. Or, un rehaussement de la capacité doit naturellement se traduire par un rehaussement des services    externes, qui comprennent par exemple la ligne téléphonique, l’accompagnement post-hébergement et les rencontres individuelles ou de groupe. Il faut assurer un continuum de services.

Dans la lettre du Regroupement, on déplore aussi que le débordement des services oblige à prioriser l’intervention mais à délaisser la prévention, un volet tout aussi important. Fannie Roy rappelle l’importance de la formation continue chez les professionnels et de la sensibilisation aux rapports égalitaires dans la société.

Un fondement à revoir?

Parmi les 14 actions du Plan stratégique du gouvernement, il y a une étude de faisabilité quant à l’implantation de bracelets anti-rapprochements. Milène Baillargeon est sceptique. « Du moment où tu as fait des torts suffisants pour devoir porter un bracelet électronique, tu devrais être derrière les barreaux, au moindre doute que la sécurité des femmes et des enfants est compromise. Le fondement doit être revu. Ce n’est pas assez sévère. » L’intervenante déplore que même avec un bracelet au pied de son ex-conjoint, la femme demeure emprisonnée dans un climat de peur. « Le droit à la sécurité devrait être un droit acquis, et non à revendiquer. »

Au final, c’est l’argent qui déterminera à quelle vitesse les mesures pourront être implantées. Le budget caquiste, à venir dans les prochaines semaines, est attendu impatiemment.

Lisez notre dossier sur la violence conjugale en cliquant ici.

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