Des camionneurs tannés d’être pointés du doigt
Par Luc Robert
Plusieurs camionneurs estiment être victimes d’un dénigrement massif de la part d’une minorité d’intervenants de leur milieu, au point de saper les efforts visant à attirer la relève aux circuits de longues distances.
Ancien professeur de conduite de camions lourds, Jean (nom fictif ) possède de nos jours deux camions semi-remorques, qui effectuent moultes va-et-vient vers le marché américain.
« Présentement, ce n’est qu’une question de gagner la guerre de l’image. Les dix pour cents de camionneurs non vaccinés qui manifestent sont les mêmes qui causent du trouble à chaque fois qu’une mauvaise nouvelle survient : hausse du prix du diésel, ils crient et menacent d’utiliser du stove (huile à chauffage colorée, illégalement utilisée comme carburant). Là, c’est le passeport santé qu’ils invoquent pour monter aux barricades. C’est de la bouillie pour les chats. Ils auront toujours une raison de chialer », a-t-il estimé.
Les deux camions de Jean sont de type « remorque à plateau » (flat beds). Il transporte de l’acier vers le pays de l’oncle Sam sans anicroche, avant de ramener des billots ou du bois franc lors du retour.
« J’ai tous mes vaccins et je ne suis aucunement affecté quand je me présente aux douanes. Le système de passage rapide Nexus (enregistrement électronique de la cargaison à l’avance) a été suspendu quelque temps, mais il est de nouveau en application aux lignes. Si la minorité de chialeurs parle des effets sur leurs enfants et le reste, c’est pour se donner bonne conscience. Je n’ai aucune misère à franchir la frontière, pas plus que ceux qui déplacent les denrées premières. Ça ne devrait pas changer dans le futur », a-t-il prédit.
Rareté de main-d’oeuvre
Dans un métier extrêmement exigeant, Jean et son ami demeurent les seuls conducteurs de leur fardier à couchette.
« Le recrutement de relève vaccinée peut causer un problème. Les grandes compagnies de transport étaient déjà à court de candidatures avant la pandémie. Maintenant, ils veulent des candidats vaccinés et non contestataires, pour mener leurs affaires à bien. À Ottawa, ce sont majoritairement des camionneurs individuels (qui manifestent), qui n’ont pas d’attache et dont le camion appartient souvent aux banques (prêts personnels). Les grandes bannières de transport refusent catégoriquement que leurs couleurs et noms soient associés à des images négatives et aux manifestations. En fait, des proprios offrent à leurs chauffeurs un boni allant jusqu’à 1 500 $, s’ils dénichent des nouveaux (chauffeurs) fiables. »
Demande exponentielle
Jean se fait courtiser par des clients qui multiplient les demandes de transports.
« Nos clients réguliers savent que nous utilisons le système ArriveCan pour ramener leur marchandise et qu’elle sera là à temps. Un client majeur m’a dit que si j’avais une dizaine de camions, il me les noliserait tous dès maintenant. La fiabilité est plus rare et se monnaie chèrement. »
Vieux lion
Sans endosser toutes les causes des manifestants à Ottawa, Jean rappelle qu’il a déjà été jeune et contestataire.
« Tu dois choisir tes batailles. J’étais là, lors du blocus des camionneurs à Chambord, dans les années 1990, quand ils ont dérèglementé le transport. Tu passes ton message, mais tu passes à autre chose ensuite. Quand la police décide de saisir ton gagnepain, tu sautes derrière ton volant et tu libères la place au plus vite. Avec l’état d’urgence décrété par la ville Ottawa, c’est vers ça qu’ils se dirigent », a-t-il fait valoir, selon les informations disponibles en date de dimanche dernier.