« C’est un long processus de guérison, mais il n’est jamais trop tard pour commencer »
Par Journal-le-nord
Dominique Rankin, chef héréditaire algonquin et résident de Val-des-Lacs, a beaucoup pleuré après avoir appris le décès de Joyce Echaquan à Joliette. « J’étais très ébranlé. Quand j’ai vu la vidéo, j’ai vu mon fils. »
Ce n’est pas la première fois que l’aîné algonquin expérimente de près la violence en milieu hospitalier envers les Autochtones. À l’époque, son fils avait lui aussi enregistré le personnel médical, mais seulement de manière audio. « Mon fils était paralysé. Il ne pouvait pas se retourner par lui-même. On entend un homme derrière lui dire “Mon tabarnak je vais réussir à te virer même si t’es gros” ». La vidéo de Joyce lui a donc rappelé ce pénible souvenir, d’où notamment la colère et la tristesse qu’elle a suscitées en lui.
Le 1er octobre, trois jours après ce décès qui a secoué le Québec, Dominique Rankin nous accorde une entrevue dans laquelle il confie d’entrée de jeu s’être réveillé aujourd’hui habité d’une vision plus positive tournée vers le changement et la lumière. La journée précédente, il s’était adressé, via la page Facebook de l’organisme Kina8at, à la population : « La façon que notre petite sœur Joyce nous a quittés, je pense que nous sommes tous touchés. J’en suis un. Ça m’a bouleversé toute la journée. […] Il faut que nous soyons prêts ensemble, et embarquions tous dans le même canot, dans la même direction que la rivière nous amène. » Il s’agissait d’un appel non pas à la colère, mais à la paix, à l’amour et à la solidarité. Refusant d’être prisonnier de la frustration et de la haine, le chef promeut une approche optimiste.
Être humain avant tout
Aujourd’hui âgé de 73 ans, Dominique Rankin est lui-même un survivant de la terrible époque des pensionnats indiens créés pour assimiler les enfants autochtones à la culture eurocanadienne. Il a vécu l’agressivité qui a accompagné ce passage et toute la douleur d’être arraché à ses parents. « Ma vie a été bouleversée ». L’aîné a aussi connu le poids des préjugés, lui qui raconte avoir été diagnostiqué à tort d’alcoolique et envoyé dans des cliniques de désintoxication ou aux Alcooliques anonymes. Dominique Rankin reconnait qu’à l’époque, il renfermait beaucoup de violence en lui. Ce dernier retrouvait la paix et la sérénité uniquement lorsqu’il retournait à ses racines et se reconnectait à la nature, lui qui a toujours préféré la forêt à la ville. « J’ai fini par trouver qui j’étais quand je retournais dans ma communauté. » Tranquillement, il a forgé son identité et trouvé le bonheur. Aujourd’hui, malgré l’adversité, l’aîné porte une vision positive axée sur l’amour et la paix. Il ne souhaite aucune séparation entre les peuples qui doivent tous être perçus avant tout comme des êtres humains – une mentalité qu’il rêve de voir gravée dans le cœur et l’esprit de tous.
L’appui que la communauté autochtone a reçu dans les derniers jours l’a d’ailleurs beaucoup touché. « Je voudrais remercier la population. J’ai reçu des mots extraordinaires. C’est l’appui moral et c’est la preuve que ce n’est pas la fin, mais le début de notre amitié et de notre confiance. »
Guérir par l’éducation et la connaissance
Pour Dominique Rankin, c’est par l’entremise de l’histoire et de l’éducation transmise de génération en génération, que se sont bâtis les préjugés vis-à-vis des peuples autochtones au Québec. Pour l’aîné, la réconciliation et la guérison doivent donc aussi passer par l’éducation, la sensibilisation et la formation afin de renverser les mentalités. Il a lui-même été témoin de l’efficacité de cette approche.
De ce fait, le cofondateur de Kina8at donne des formations chez des fonctionnaires généraux et dans différents domaines comme le corps policier. Ce genre d’enseigne-ment permet de mieux se familiariser avec la philosophie autochtone, en apprendre davantage sur les peuples et comprendre comment aller à leur rencontre. « Il faut se connaître; on ne se connait pas assez », déplore-t-il. « C’est un long processus de guérison, mais il n’est jamais trop tard pour commencer. C’est maintenant qu’il faut commencer. Pas demain, maintenant. »
Migwech Joyce
Est-ce le bon moment de tout simplement être à l’écoute? « Je pense qu’il faut ouvrir le cœur au complet. […] Le premier ministre du Québec doit mettre ses culottes. Il doit parler avec son cœur. J’aimerais qu’il mette son poing sur la table et qu’il dise c’est assez, c’est terminé. » Pour le chef héréditaire algonquin, il faut prioriser une vision de vivre-ensemble et d’harmonie et ainsi devenir « des frères et des sœurs égaux. »
Le 30 septembre dernier, Dominique Rankin terminait sa vidéo qu’il adressait à tous en disant « migwech Joyce », ce qui signifie dans sa langue, « merci Joyce ». Bien qu’il espère que plus jamais un tel drame ne survienne de nouveau, le chef héréditaire remercie Joyce Echaquan d’avoir ouvert une « grande porte » pour tout le monde, elle qui, jusqu’à la toute fin, nous a offert à tous des enseignements et une leçon importante. « Il faut aller dans cette direction, dans l’ouverture de la lumière. »
Dominique Rankin poursuit sa généreuse mission la tête haute et le cœur rempli d’espoir et d’amour. Il souhaite maintenant supporter la douleur de tous ceux qui ont été affectés par ce drame et de transmettre sa vision aux générations futures afin de léguer le flambeau à l’avenir. « Espérons que nous allons être écoutés, surtout dans ta génération; nous avons besoin de vous », affirme-t-il. « C’est trop maintenant, il faut que ça arrête. »