Crimes sexuels : Dénoncer ou accuser ?

Par Nathaliedansereau

Dans le milieu juridique, les vagues successives de dénonciation d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux demeurent un sujet délicat. D’une part, on veut encourager la prise de parole des victimes, mais d’autre part on veut éviter les procès sur la place publique. Nous avons rejoint le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), l’organisme indépendant responsable d’appliquer le Code criminel, pour tenter de comprendre le phénomène.

Dans un dossier criminel, ce sont les procureurs du DPCP qui portent des accusations, en fonction de la preuve (réf. Sonia dans District-31 ). Ils conseillent aussi les policiers sur les questions d’ordre légales et agissent en concertation avec la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) lorsque des mineurs sont en cause. À Saint-Jérôme, une équipe spécialisée de cinq procureures s’occupent des dossiers de crime à caractères sexuels et de maltraitance envers les enfants.

L’organisme admet qu’il y a beaucoup à faire en ce moment pour démontrer la valeur du système judiciaire et convaincre les victimes d’utiliser les tribunaux plutôt que leur souris d’ordinateur. Parmi les mesures mises de l’avant pour tenter de faciliter le passage devant les tribunaux, il y a la ligne d’information publique : 1 877 547-DPCP (3727) et des vidéos thématiques, comme celle portant sur la notion du consentement. L’information est donnée et après la personne est libre de choisir, si elle va porter plainte.

« Nous essayons de rencontrer rapidement la victime pour lui expliquer notre rôle et les prochaines étapes avant le dépôt des accusations. Nous donnons des références. La victime est mise en contact avec des intervenants du CAVAC présent dans les palais de justice et les CALACS répondent au suivi psychologique. La poursuite verticale est privilégiée, c’est-à-dire que le procureur qui traite le dossier est le même du début jusqu’à la fin », explique Me Audrey Roy Cloutier, procureure aux poursuites criminelles et pénales.

Le manque de preuve

Les raisons pour ne pas porter plainte à la police en matière de violence sexuelle sont multiples. Les victimes croient, souvent à tort, qu’elles manquent de preuve, par exemple.

En droit criminel, il est vrai que le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d’innocence enchâssée dans nos Chartes des droits et libertés, la poursuite doit en effet faire une démons-tration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé devant le tribunal.

« Même si c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre, ça ne veut pas dire qu’on ne devrait pas porter plainte. On n’a pas besoin de corroborer pour prouver le hors de tout doute raisonnable », souligne Me Audrey Roy Cloutier.

La décision de poursuivre en Cour ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l’exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d’ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique.

« Dans ces cas particuliers, précise Me Roy Cloutier, ça passe beaucoup par la préparation du témoignage, la déclaration de la victime et l’accompagnement : on peut avoir oublié un peu certains détails et rester très crédible. Ce n’est pas un examen sur le nombre de questions auxquelles la victime a répondu. On explique à la victime ou au témoin que, si elle n’a pas la réponse à une question, la bonne réponse serait de dire : je ne m’en souviens pas. Parce que si on se souvenait de tout-tout-tout ce qui s’est passé il y a 15 ans, c’est plutôt ça qui serait suspect. Le temps fait son œuvre un peu, mais sur des faits importants, les souvenirs vont être là. »

La publication des motifs qui expliquent la décision de ne pas porter d’accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s’appuie sur des lignes directrices. Certaines décisions sont expliquées et archivées sur le site Internet du DPCP.

« On sait que le système n’est pas parfait, mais est-ce qu’il y en a un de parfait ? Les victimes qui s’impliquent s’en sortent souvent avec la tête haute et la fierté d’avoir été jusqu’au bout », renchérit Me Roy Cloutier.

L’impact des dénonciations publiques

Le DPCP confirme avoir constaté une forte hausse des plaintes officielles auprès des policiers à la suite de l’épisode #MeToo en 2017, mais « il est trop tôt pour se prononcer sur l’impact de la vague de dénonciations de 2020, parce que la majorité des récentes plaintes sont encore entre les mains des policiers. Ça peut prendre un certain temps pour que les rapports d’enquête arrivent au DPCP », conclut Me Roy Cloutier.

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