Courtoisie

Sobriété : « Un moment donné, tu baisses la tête et tu pédales »

Par Simon Cordeau

Jean-Philippe Coderre ne boit plus. Pour y arriver, il a dû demander de l’aide et, plus difficile encore, affronter son passé et ses blessures. Au Centre Attitude de Sainte-Adèle, il a trouvé un chemin vers la sobriété. « Ils te mettent un miroir dans la face, et tu n’as pas le choix de te regarder », illustre-t-il. Et pour se garder sobre, Jean-Philippe s’est lancé un défi tout aussi fou : une course de 200 km en vélo de gravel, en Islande. Il espère maintenant que son histoire inspirera d’autres à suivre le même chemin. Portrait.

S’enfoncer

« Toute ma vie, toutes mes jobs, ç’a toujours été le party. J’ai travaillé dans la bière et au Club Med. Donc, qu’est-ce que tu fais dans ce temps-là ? C’est tout le temps l’alcool, la bière, le party », raconte l’homme de 45 ans. L’alcool est imprégnée dans notre culture, souligne-t-il, autant dans les moments de joie que ceux de tristesse. « Dès que tu as une émotion qui monte, tu la noies dans l’alcool. »

Mais sa dépendance trouve d’abord son origine dans son enfance, confie Jean-Philippe. « Mon père est parti quand j’étais jeune, donc je n’ai pas eu de présence paternelle. J’étais trouble-fête parce que je cherchais l’attention. J’étais toujours dans le trouble et un peu mal à l’aise socialement quand j’étais jeune. » Au secondaire, il découvre le cannabis, puis l’alcool. « Ça t’aide quand tu es un peu pogné. Ça délie. Je suis plus à l’aise quand je bois », illustre-t-il.

En vieillissant par contre, la relation qu’il entretient avec l’alcool et les drogues devient malsaine, voire même problématique. « L’alcool me menait toujours à d’autres substances encore plus néfastes pour moi. Je n’avais pas de contrôle. »

Se regarder en face

« On dit qu’il faut vraiment toucher son bas-fond pour se rendre compte que ce n’est pas bon pour toi. J’en ai touché quelques-uns avant de toucher le bon. » C’était en novembre dernier. Il appelle un ami qui est sobre et demande son aide. « Dans les étapes du rétablissement, la douzième c’est ça : quand quelqu’un te tend la main pour s’en sortir, tu la prends et tu l’aides », raconte Jean-Philippe. Son ami l’amène à une rencontre et lui parle du Centre Attitude, à Sainte-Adèle.

Il y fait une session intensive de cinq jours, où il explore la cause de sa dépendance et apprend des outils pour la vaincre. « C’est beau dire : j’arrête de boire ou de consommer. Mais pourquoi es-tu là ? Pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi as-tu besoin de ça ? », illustre Jean-Philippe.

Le séjour est difficile. Il doit revisiter son enfance et les périodes difficiles de sa vie. Il doit pardonner aux gens qui l’ont blessé, mais aussi demander pardon à ceux qu’il a blessés. « J’ai eu plusieurs relations gâchées par l’alcool. J’ai perdu plusieurs jobs aussi. » Être confronté à soi-même, ses propres décisions et en prendre la responsabilité est très éprouvant. « Il faut vraiment que tu y ailles avec une ouverture d’esprit et du coeur. » Certains doivent y aller deux, trois ou quatre fois avant de s’en sortir pour de bon, raconte-t-il. Soit ils ne vont pas au fond d’eux-mêmes, soit ils ont trop de bagages à déballer.

D’ailleurs, Jean-Philippe ne croit pas qu’il y serait parvenu seul, sans aide. « Ça me prenait vraiment un coup de poing dans la face », admet-il en riant. Mais une fois qu’il parvient à comprendre ses comportements et leur origine, il peut trouver d’autres chemins, ceux-là hors de la dépendance.

Pédaler

En l’écoutant, on comprend que Jean-Philippe carbure aux nouveaux défis. Lorsqu’il voit la course The Rift passer sur les médias sociaux, il se laisse tenter. « En septembre, les inscriptions sont sorties. Je me suis inscrit sur un coup de tête. »

Le défi : 200 km de vélo de gravel en une journée, en Islande, à travers des « paysages fous » de champs de lave séchée où pousse du lichen, décrit-il. « J’avais une bedaine, je n’étais pas en forme, j’avais mal aux genoux. Je me suis dit que ça me forcerait à m’entraîner. J’avais quasiment un an pour faire ça. »

Toutefois, c’est d’abord le défi de la sobriété qui occupe son automne et son hiver. « En mars, je me suis réveillé. Je n’avais rien fait depuis septembre ! » Il commence à s’entraîner, va au gym et pédale avec des amis.

Malgré ses efforts, au moment du départ, Jean-Philipe n’est pas sûr s’il parviendra à relever le défi. « Je vais essayer de le faire et donner tout ce que je peux. Ça se peut que je ne sois pas capable non plus », se dit-il. S’il échoue, ce ne sera qu’une opportunité de plus de se reprendre en main, de continuer, et de réessayer l’année prochaine, croit-il.

Jean-Philippe Coderre s’est ouvert une Sans Limite, bière sans alcool de Shawbridge, au fil d’arrivée. Courtoisie

Tout le long de la course, Jean-Philippe garde le focus et se motive. Il avance en se disant qu’il fait 20 km à la fois, ce qui lui permet d’arriver tout près de la ligne d’arrivée. Mais il sait qu’à partir d’une certaine heure, la ligne d’arrivée est retirée. Et le temps commence à manquer. « Il me reste 10 km à faire. Parfait : je donne tout ce que j’ai. Je vais être capable de passer la ligne d’arrivée en 14 h. Je pédale, pédale, pédale. Puis j’arrive à 200 km et… elle est où la ligne d’arrivée ? Elle était à 207 km ! »

Sa conjointe, qui est bénévole pour l’événement, convainc les organisateurs de garder la ligne d’arrivée en place pour trente minutes de plus. Jean-Philippe donne tout ce qui lui reste. Et après 14 h 20 min d’efforts, il parvient enfin à franchir la ligne d’arrivée. « Celui qui a fini le premier l’a fait en 7 h. J’ai fini 124e sur 125 dans ma catégorie d’âge ! [Rires] Et il y a beaucoup de monde qui n’ont pas fini la course. »

Mais tout ce qui compte pour Jean-Philippe, c’est d’avoir relevé le défi, surtout qu’il semblait insurmontable. « Je ne sais pas comment j’ai fait. [Rires] Un moment donné, tu baisses la tête et tu pédales. »

Redonner

Jean-Philippe voit un parallèle entre sa course et son rétablissement. « Le vélo, c’est un sport individuel. Ce n’est pas un sport d’équipe. Tu n’as pas quelqu’un à côté de toi qui t’encourage et qui te passe le ballon. Tu es tout seul, avec toi et ta tête. Il y a tellement de raisons pour abandonner. Tu pognes une roche, tu arrives devant une côte, etc. »

C’est pourquoi les haltes de ravitaillement sont si importantes durant la course. Elles donnent nourriture, boissons, musique et encouragements. C’est la même chose pour les rencontres du Centre Attitude, illustre Jean-Philippe. « Quand j’ai de la misère et plein de raisons de retourner boire, de retomber, je vais faire une rencontre. Là, il y a du monde, des sourires, des encouragements. Je reprends de l’énergie, de la confiance, et je repars, jusqu’au prochain. »

Il profite de sa course pour capter l’attention du public et amasser des fonds. « J’ai parti une campagne de sociofinancement et j’ai trouvé des commanditaires. J’ai amassé 10 000 $. Mon but est de 25 000 $, mais ce n’est pas encore fini ! » Les fonds serviront à donner au suivant, en aidant d’autres personnes à sortir de la dépendance. « Aujourd’hui, il y a une personne dans le besoin qui a pu entrer chez Attitude grâce à ces fonds-là. Ça, c’est trippant ! », se réjouit Jean-Philippe durant l’entrevue.

Jean-Philippe souhaite maintenant créer une conférence pour partager son parcours. Il espère que son histoire saura inspirer et motiver les autres. « La fierté que tu as, en traversant la ligne d’arrivée, personne ne peut te l’enlever. C’est toi qui a fait le travail. Et c’est la même chose pour la dépendance. C’est un défi de tous les jours. »

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