Mont-Rolland retrouve son artiste et ses œuvres
Par Simon Cordeau
Le musée Zénon-Alary est rouvert depuis jeudi, 23 juin, à Sainte-Adèle. Pourtant, il y a quelques mois à peine, son avenir était plus que précaire. Son bâtiment était sur le point d’être vendu. Encore une fois, c’est la dévotion et la ténacité de femmes et de bénévoles qui lui permettent de survivre. Tout comme elles lui ont permis d’exister. Reportage sur un sculpteur de bois unique, et les efforts déployés pour préserver ses œuvres et sa mémoire.
J’ai failli me perdre dans Mont-Rolland en me rendant au musée. On pourrait facilement en manquer l’entrée, si ce n’était d’une petite affiche au bout de ce qui ressemble à un cul-de-sac. En haut de la colline, caché par de grands arbres, le musée Zénon-Alary rappelle un trésor oublié.
Pourtant, l’endroit a longtemps été un lieu de rencontres pour la communauté. Autrefois, c’était l’hôtel de ville de Mont-Rolland. Et avant ça, c’était l’école des garçons. L’objectif de Christine Comeau, la nouvelle directrice du musée, est d’ailleurs d’en refaire un lieu culturel pour les citoyens de Mont-Rolland.
Zénon Alary, sculpteur de bois
Lorsque j’arrive, la bénévole Sylvie Pontbriand a déjà commencé une visite guidée du musée. Entourée de sculptures de bois, elle raconte la vie de Zénon Alary. Né en 1894, il fait partie des familles pionnières du lac des Becs-Scie, à Saint-Sauveur. Le jeune Zénon n’ira pas longtemps à l’école, étant seulement bon en dessin.
Il travaille d’abord sur des chantiers, où il commence à sculpter dans ses temps libres. Il vivra même au Manitoba quelque temps, où il se mariera. Alary est d’abord un artiste autodidacte, explique Mme Pontbriand, mais il a bien passé trois mois à l’École du meuble de Montréal. « Il étudie avec des maîtres comme Elzéar Soucy et Alfred Laliberté, qui sont parmi les plus grands sculpteurs qu’on a eus au Québec. Il raffine sa technique avec eux. »
Dans le musée, on réalise rapidement la qualité des œuvres d’Alary. Ici, un hibou qui me fixe du regard. En-dessous, un chevreuil victime de deux loups. Là, une Sainte-Vierge, voile au vent. Chaque œuvre est détaillée, vivante, dynamique.
Zénon Alary revient s’installer à Mont-Rolland dans les années 1940, après s’être séparé de sa femme.
« Il faut imaginer l’époque : quelqu’un qui est séparé et qui veut vivre de son gossage de bois. Il passait vraiment pour un hermite! Mais contre vents et marées, il a réussi à en vivre », continue Mme Pontbriand.
Alary est un sculpteur animalier avant tout, souligne-t-elle. On le voit aux poissons qui donnent l’impression de nager sur le mur, ou aux oiseaux suspendus en plein vol. Certains sont des hirondelles des granges, précise la bénévole, une espèce aujourd’hui en voie de disparition. Un bas-relief impressionnant par sa taille et ses détails, la dernière œuvre d’Alary, représente des castors à l’ouvrage sur leur barrage.
« C’est un homme qui aimait beaucoup la nature. D’ailleurs, avez-vous remarqué qu’il y a beaucoup de lupins un peu partout à Sainte-Adèle? », demande Mme Pontbriand aux visiteurs. « Oui! », s’exclament-ils, curieux. « C’est un héritage de Zénon, qui vendait des fleurs ici. C’était un écologiste avant l’heure. »
Devant sa maison de Mont-Rolland, le sculpteur tenait un petit kiosque où il vendait ses œuvres. Les touristes venus de Montréal, des États-Unis et même d’Europe s’arrêtaient pour acheter ses sculptures. Et même s’il ne cherchait pas la gloire et qu’il vivait humblement, il était fier de ses œuvres qu’il travaillait avec minutie, jusqu’à la perfection. Un jour, raconte Mme Pontbriand, un Américain souhaitait lui acheter un poisson qui n’était pas terminé. M. Alary a refusé, malgré la surenchère de l’Américain. Pour le sculpteur, vendre une œuvre incomplète, imparfaite, était impensable.
Simone Constantineau, voisine tenace et infatigable
Mais derrière Zénon Alary et ses sculptures de bois, il y a une autre histoire, m’explique Mme Pontbriand en entrevue, après la visite. Sans Simone Constantineau, sa voisine, tant les œuvres d’Alary que sa mémoire auraient pu disparaître.
« Mme Constantineau était très admirative de ce que M. Alary faisait. Elle en prenait soin. Dans sa maison et sa fabrique de bois, elle passait le balai, elle lui apportait à manger. Et elle lui avait dit : “Un jour, M. Alary, vous aurez votre musée.” »
L’artiste n’y croyait pas. Mais lorsqu’il décède en 1974, Mme Constantineau met en place un comité pour préserver son œuvre. Elle fait le tour des résidents de Mont-Rolland, pour que ceux-ci donnent ou vendent leurs sculptures. « Ceux qui les donnaient ont droit à une petite plaque en argent
avec leur nom. Ceux qui vendaient ont leur nom au crayon feutre en dessous de la sculpture », raconte Mme Pontbriand en riant.
Elle insiste sur la ténacité de Mme Constantineau, qui a permis d’ouvrir ce musée sans soutien financier, mais avec l’aide de bénévoles de la communauté, des femmes pour la plupart. Mme Pontbriand pointe vers un caribou, grandeur nature et réaliste, en exemple. « Il était au Lac-Supérieur dans une auberge. Il était tout en train de se briser dehors, et le propriétaire ne voulait pas le vendre. Mais il faut connaître la détermination de Mme Constantineau. Elle a dit à son mari un dimanche : “Attèle le trailer, on revient avec.” » Le caribou se tient maintenant fièrement dans le musée.
Grâce à l’énergie infatigable de Mme Constantineau et à son insistance, le musée compte aujourd’hui 300 œuvres d’Alary. « C’est l’artiste canadien qui a le plus de ses oeuvres au même endroit », souligne Mme Pontbriand.
Des bénévoles, qui reprennent le flambeau
Simone Constantineau est décédée en août dernier, à l’âge de 99 ans. Elle était atteinte de l’Alzheimer durant les 10 dernières années de sa vie. Le bazar, qui sert à financer le bâtiment, a continué pendant ce temps. Il se tient encore tous les samedis. Mais le musée, lui, battait de l’aile sans sa présence et son implication soutenue.
C’est la dévotion de Mme Constantineau qui a inspiré Mme Pontbriand à s’impliquer. « Pour l’époque, c’était une femme qui n’avait pas d’instruction. Mais regardez ce qu’elle a réussi à créer! Parce qu’elle était déterminée, elle y croyait. J’étais en admiration devant cette dame-là. Après son décès, je me suis dit qu’il ne fallait pas que le musée tombe. »
« Madame Constantineau a permis de rassembler tout ça pour qu’ici, à Mont-Rolland, où M. Alary vivait, les gens puissent retrouver ses œuvres et y avoir accès. Je ne sais pas si vous avez vu, sur la première œuvre qu’ils ont acheté pour le musée, la petite plaque qu’ils ont mis? C’est écrit : « Cette œuvre est la propriété des citoyens de Mont-Rolland » », conclut Mme Comeau.
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Musée Zénon-Alary
1425 rue Claude-Grégoire, Sainte-Adèle
Ouvert du mercredi au dimanche,
de 10h à 17h
Entrée gratuite. Les dons sont acceptés.